Il y a quelques années j'ai rencontré pour la toute première fois de ma vie un franc-maçon membre d'une Église évangélique. Cela m'a beaucoup étonné. Car jusqu'à là les seuls francs-maçons dont j'avais eu connaissance étaient soit des athées soit des protestants libéraux. Jamais je n'aurais pensé croiser un jour un franc-maçon au sein d'une assemblée évangélique(1). Cela m'a également troublé. Quelle attitude devais-je adopter face à cette personne ? J'avais le souci de son "âme" bien sûr - cette personne comprenait-elle vraiment les "enjeux" de sa double appartenance à la franc-maçonnerie et à la foi évangélique ? J'avais à penser aussi aux membres de cette Église divisée sur la question - comment les aider à vivre cette tension sans en être perturbés ? Enfin je pensais aux gens de l'extérieur - quelles pouvaient être les conséquences pour le témoignage du fait d'avoir un franc-maçon dans l'Église ?
Ne connaissant que très peu ce mouvement j'ai décidé dans un premier temps de "bouquiner" la question. J'ai lu plusieurs livres de base pour essayer de comprendre ce qu'est la franc-maçonnerie(2). J'ai lu aussi des rapports d'Église (anglicane et baptiste) sur ses relations avec le christianisme(3). J'ai médité des témoignages de chrétiens qui sont sortis - souvent difficilement - de la franc-maçonnerie(4). Je me suis constitué une petite collection d'articles sur la franc-maçonnerie parus dans la presse religieuse(5). J'ai aussi eu un entretien avec notre ami franc-maçon et j'ai correspondu brièvement avec lui. J'ai pu ainsi me faire une idée non seulement de ce que représente ce mouvement aujourd'hui mais aussi (difficilement) des raisons qui décident une personne à penser pouvoir être à la fois franc-maçonne et chrétienne. Ici je ferai part de quelques-unes de mes réflexions concernant la franc-maçonnerie. Sans prétention aucune, car j'écris en tant que pasteur évangélique n'ayant qu'une tout petite expérience dans ce domaine. Mais j'écris avec deux objectifs clairement en vue. D'une part j'aimerais faire comprendre aux francs-maçons qui seraient amenés à fréquenter nos Églises que cette appartenance peut poser de réelles difficultés pour ceux qui ne sont pas francs-maçons. Je pense qu'il est important, en effet, que le franc-maçon le sache, qu'il nous écoute attentivement et qu'il essaie de voir cette appartenance du point de vue de celui qui ne la comprend pas et qui en est troublé. Puis, d'autre part, je voudrais aider d'autres pasteurs non seulement à gérer le "problème"(6) de manière générale, mais surtout à savoir quelle attitude adopter vis-à-vis du franc-maçon dans son Église. Avant d'agir il faut d'abord comprendre. C'est pourquoi avant de parler des aspects pratiques je me propose de répondre brièvement à trois questions fondamentales : qu'est-ce que la franc-maçonnerie ? pourquoi devient-on franc-maçon ? et, enfin, peut-on être franc-maçon et chrétien ? Après avoir considéré ces questions je proposerai quelques approches pratiques qui, je l'espère, aideront le chrétien qui a affaire à un franc-maçon à adopter à son égard une attitude positive et utile.
I. Qu'est-ce que la franc-maçonnerie ?
Beaucoup de chrétiens évangéliques, ne connaissant que mal la franc-maçonnerie, n'y voient qu'une oeuvre charitable de bienfaisance sans plus ; ils ignorent tout, ou presque, de ses pratiques ésotériques(7). D'autres, en revanche, voient dans la franc-maçonnerie une secte "occulte" (dans tous les sens du terme !) à la fois néfaste et dangereuse. D'autres enfin partagent la méfiance du monde non-chrétien quant aux ambitions sociales ou politiques du franc-maçon, le soupçonnant de malhonnêteté voire de corruption. Je ne toucherai pas à cette question (pourtant très inquiétante) qui est traitée régulièrement dans la presse profane(8). Alors qu'est-ce que la franc-maçonnerie ? Le Petit Robert propose la définition suivante : "association internationale, en partie secrète,(9) de caractère mutualiste et philanthropique, dont les membres se reconnaissent à certains signes et emblèmes (certains hérités des corporations anciennes de maçons)." Nous savons, en effet, que les rites et les symboles y jouent un rôle important. Par une série de rites symboliques, "utilisant les coutumes et outils des tailleurs de pierre comme modèles allégoriques"(10) le franc-maçon peut monter en grade - la franc-maçonnerie compte de nombreux "degrés" d'initiation - acquérant ainsi progressivement de plus amples connaissances des enseignements et des pratiques maçonniques. Le franc-maçon a le devoir de porter secours aux "frères" mais aussi le désir de faire du bien autour de lui. La franc-maçonnerie a comme grands principes : l'Amour fraternel, la pratique de la Charité et la recherche de la Vérité(11). Il convient de signaler qu'il existe de nombreuses branches à l'arbre maçonnique, ayant des points de vue différents en ce qui concerne leurs origines et leur credo. Surtout, nous devons relever l'existence parallèle de deux grandes tendances : d'une part, ceux qui exigent de leurs membres la croyance en Dieu et, d'autre part, ceux qui non seulement ne l'exigent pas mais qui professent très souvent un athéisme virulent. Ces différences sont importantes, bien entendu, mais je constate, pour ma part, que cette distinction est loin d'être absolue et ne doit pas être comprise de manière trop simpliste. Il est vrai que nous aurions tendance à dire que ceux qui croient en Dieu sont plus "proches" de nous, mais en réalité ce n'est pas toujours le cas. La croyance en "dieu" (de quel "dieu" s'agit-il ?) peut être un obstacle à la connaissance du Christ. Par ailleurs la démarche de l'"athée" entrant en loge peut aussi comprendre une dimension spirituelle. Il s'agit donc dans les deux cas de "parfaire" cette démarche en amenant l'ami franc-maçon à une connaissance du Christ qui lui fait (peut-être) défaut.
II. Pourquoi devient-on franc-maçon ?
Mais qu'est-ce qui décide un homme à entrer en franc-maçonnerie ? Ou encore, comme le dit ce titre d'un livre qui enquête sur la question : Comment peut-on être franc-maçon aujourd'hui ?(12) Pour beaucoup, en effet - et surtout dans une société qui se veut rationaliste - l'appartenance à tout type de mouvement ésotérique voire religieux paraît aberrante ou dérisoire. Mais si nous voulons comprendre le franc-maçon dans l'Église, nous nous devons de prendre au sérieux son engagement et de nous interroger sur son sens. Pour connaître les raisons profondes qui poussent un homme à devenir franc-maçon il faudrait poser la question au franc-maçon lui-même, bien sûr, même si l'on risque de recevoir des réponses très variées. Il faut être conscient, en effet, lorsqu'on a affaire à tel ou tel individu, que la motivation de l'un n'est pas forcément la motivation de l'autre. Malgré cela, il me semble possible d'établir une liste non-exhaustive des principales raisons de ce choix. Je ne m'en tiendrai ici qu'aux motivations "positives" préférant passer sous silence l'idée que l'on devient franc-maçon pour des raisons purement égoïstes : l'avancement social ou professionnel ou encore le pouvoir politique. Il ne s'agit ni de juger ni de condamner mais d'apprécier et de comprendre. À mon avis, ces raisons peuvent se regrouper sous trois titres : les motivations sociales, les motivations intellectuelles et les motivations spirituelles. Tout d'abord les motivations sociales. Un aspect important de la pratique maçonnique est la camaraderie, la "fraternité", le fait de se retrouver entre "frères". En particulier, l'on a souvent fait remarquer que la franc-maçonnerie répond à un besoin qu'ont certains de se retrouver entre hommes. On est même allé jusqu'à dire que la franc-maçonnerie apporte une dimension qui manque dans nos Églises, la franc-maçonnerie répondrait à une défaillance : nous avons peut-être nos réunions pour les femmes mais qu'en est-il des hommes ? Certains deviennent donc francs-maçons parce que recherchant un type particulier de "communion fraternelle" qui fait défaut dans nos milieux. Mais cette motivation sociale comporte aussi un deuxième aspect : la pratique de la charité. Il est indéniable que les francs-maçons font beaucoup de bien autour d'eux. D'ailleurs la pratique de bonnes oeuvres est un aspect important de la vie maçonnique, à tel point que certains vont jusqu'à dire que la franc-maçonnerie est une "religion" qui vise le salut par la pratique des oeuvres !(13) Quoiqu'il en soit, il est clair que pour l'homme qui veut être utile en rendant service aux autres cet aspect peut constituer une motivation importante à entrer en maçonnerie. Ensuite il y a les motivations intellectuelles. Pour beaucoup la franc-maçonnerie fournit un cadre dans lequel l'on peut se satisfaire et s'épanouir sur le plan de l'intellect humain. À propos de son départ de l'abbaye cistercienne de Boquen et de son éventuelle entrée en franc-maçonnerie, Bernard Besret écrit, par exemple : "J'éprouvai la nécessité de retrouver un lieu dans lequel je puisse à nouveau confronter mes idées à celles des autres et socialiser d'une autre manière mon existence. J'avais certes une vie professionnelle. Mais sur le plan de mes interrogations fondamentales, je n'avais plus aucun de ces échanges qui avaient beaucoup compté au cours de mon passage à Boquen."(14) Nous sommes en droit de nous demander : quelle satisfaction intellectuelle la franc-maçonnerie lui propose-t-elle qu'il ne trouve pas ailleurs ? La réponse semble être résumée dans le mot "tolérance". Besret parle en effet de "la qualité avec laquelle les points de vue peuvent se confronter sans s'affronter… La maçonnerie est une formation remarquable à la prise de la parole."(15) un pasteur d'ajouter : "La tolérance maçonnique aide à supporter ce qui pourrait être insupportable dans l'église."(16) Enfin, nous avons les motivations spirituelles. Lorsque j'ai demandé à un ami fréquentant une Église évangélique de me dire pourquoi il était franc-maçon, il m'a répondu immédiatement qu'il y voyait "un moyen de perfectionnement spirituel". Depuis lors, j'ai découvert que beaucoup envisagent la franc-maçonnerie comme une sorte de "quête"(17)) spirituelle. Cette motivation comporte plusieurs aspects. Tout d'abord il y a la recherche de la lumière. Besret témoigne, par exemple : "Dans la maçonnerie il est plutôt question de renoncer aux ténèbres de l'ignorance pour accéder à la lumière de la connaissance que de passage du vieil homme au nouvel homme tel que le conçoit le christianisme"(15). Pour le franc-maçon ce désir de connaître la lumière est clairement exprimé dès son entrée en franc-maçonnerie : l'initié, les yeux bandés, affirme être "dans les ténèbres" venant à la franc-maçonnerie pour y trouver "la lumière". Un deuxième aspect important est le désir du franc-maçon à "faire progresser une recherche d'humanité, indépendamment de l'appartenance à telle ou à telle religion, tel ou tel courant philosophique"(11). Enfin, troisièmement, certains protestants français semblent voir dans la franc-maçonnerie une sorte de "gardien" du protestantisme face à ce qu'ils considèrent être des déviations et des abus de l'Église Catholique Romaine. Mais, s'il est vrai que l'un des fondateurs de la franc-maçonnerie moderne était lui-même pasteur, l'on voit mal comment ceci peut cadrer avec le caractère manifestement inter religieux, ou plutôt areligieux (et non pas protestant), de la maçonnerie contemporaine. Pour ma part je pense qu'il est important de voir que ces trois motivations sont saines et positives. Il n'y a pas de mal à vouloir rechercher la communion fraternelle entre hommes. Il n'y a pas de mal non plus à vouloir cultiver son intellect, du moment que l'on ne fait pas de la recherche intellectuelle un but en soi. Il n'y a pas de mal enfin à vouloir connaître la lumière ni même de se garder de l'erreur ! Mais la question pour le chrétien est de savoir si l'on peut être à la fois franc-maçon et chrétien ? Quelle relation y a-t-il en effet entre le christianisme et la franc-maçonnerie ? La franc-maçonnerie et la foi chrétienne sont-elles complémentaires ? Ou sont-elles totalement incompatibles ? Les réponses apportées à ces questions nous aideront à répondre à d'autres questions d'ordre pratique. Quelle attitude le chrétien doit-il avoir à l'égard du franc-maçon ? Faut-il le réconforter dans ses convictions maçonniques ? Ou faut-il plutôt l'encourager à sortir de la franc-maçonnerie pour s'attacher pleinement et uniquement au Christ ?
III. Franc-maçon et chrétien ?
Un livre récent de Luc Nefontaine intitulé "Le protestantisme et la franc-maçonnerie : des chemins qui se rencontrent" affirme qu'il n'y a aucune incompatibilité entre ces deux traditions(18). L'auteur nous rappelle que non seulement de nombreux protestants contemporains sont - ou ont été pour un temps - francs-maçons, mais aussi de nombreux pasteurs protestants ont joué un rôle déterminant dans l'histoire de la franc-maçonnerie. Mais il reconnaît aussi que l'aile spécifiquement évangélique du protestantisme n'a jamais réellement approuvé la franc-maçonnerie. Si l'on peut être franc-maçon et protestant sans trop de peine, il est néanmoins clair que la franc-maçonnerie et la foi évangélique sont deux chemins qui ne se rencontrent que très difficilement. Pourquoi ? Parce que le désir de conformer sa vie à la volonté de Dieu oblige le disciple de Jésus-Christ à "fuir" toute pratique contraire à l'enseignement de la Parole divine. Pour le chrétien évangélique cela va de soi. Or, pour beaucoup, la seule lecture de la Parole de Dieu fournit de nombreuses raisons qui rendent incompatibles la franc-maçonnerie et la foi évangélique. Le fait même de l'appartenance à une société "discrète" en est une. Beaucoup voient difficilement aussi comment un chrétien "honnête" (c'est-à-dire qui veut vivre et dire la vérité) peut accepter de prononcer les nombreux serments que prête le franc-maçon tout au long de sa carrière(19). Surtout on ne voit absolument pas comment un chrétien évangélique peut participer aux nombreux rites des différents "grades" maçonniques. L'initiation même du franc-maçon en est un exemple. Comment un chrétien évangélique peut-il encore prétendre être dans les ténèbres ? Beaucoup s'interrogent. Certains disent que la franc-maçonnerie est "chrétienne" parce que la Bible y est présente et encore parce que le franc-maçon "régulier"(20) confesse sa foi en "un être suprême"(21) qu'il appelle par ailleurs le Grand Architecte de l'Univers (GADLU). Mais le chrétien évangélique ne peut se contenter de cet argument. En effet, pour être franc-maçon "régulier" il n'est pas nécessaire de croire en Jésus-Christ ; il suffit de croire en "dieu". Par ailleurs, il est interdit de parler de ses convictions religieuses au sein des loges. Non seulement la franc-maçonnerie n'est pas "chrétienne", mais le chrétien qui veut être franc-maçon doit accepter de taire ses propres convictions au nom de la "fraternité" maçonnique. Non seulement le nom "suprême" de Jésus n'y est pas mentionné, mais il s'y trouve remplacé par le nom d'un "dieu" qui n'est pas forcément le Dieu des Judéo-chrétiens. Beaucoup de chrétiens sont troublés aussi par le caractère manifestement ésotérique des origines et de certaines pratiques maçonniques. Je ne m'attarderai pas sur ce point mais j'aimerais tout de même attirer l'attention sur le fait que la franc-maçonnerie est un mouvement initiatique qui prétend pouvoir révéler à ses seuls initiés la connaissance de la vérité et le moyen de perfectionnement moral et spirituel. En cela, elle ressemble étrangement à ces sectes gnostiques condamnées dans les Écritures parce que contraires à l'esprit de l'Évangile. Je suis troublé aussi par les liens historiques et philosophiques entre la franc-maçonnerie, la Rose-Croix et la pensée cabalistique juive. Pour ceux qui lisent l'anglais, je conseille vivement la lecture du livre d'Ian Gordon "The Craft and the Cross" dont un chapitre est entièrement consacré aux origines occultes de la franc-maçonnerie moderne(22). Je n'écris pas ces choses pour "agresser" le franc-maçon ! Non, j'écris plutôt, comme je l'ai dit plus haut, dans un double but. Tout d'abord je cherche à faire comprendre au franc-maçon lisant ces lignes pourquoi pour nous évangéliques la présence d'un franc-maçon dans l'Église peut nous troubler. Qu'il se laisse convaincre par nos arguments ou non, il doit comprendre que pour beaucoup d'évangéliques la présence d'un franc-maçon dans l'Église les met très mal à l'aise. Nous ne le rejetons pas, mais cela ne nous empêche pas d'être troublés. Mais, deuxièmement, j'écris avec le désir sincère d'aider l'ami franc-maçon à entrer pleinement dans la foi. Je crois, pour ma part, que la maçonnerie est une spiritualité avec sa perspective propre, son cheminement et ses rites. Cette spiritualité me semble de qualité et très respectable et j'ai beaucoup d'estime pour les franc-maçons que je connais, protestants ou agnostiques. Mais justement, elle est une spiritualité spécifique, une "autre" spiritualité. Elle propose un autre chemin que celui de la foi chrétienne, fondé sur d'autres principes et, à ce titre, il est extrêmement difficile de vivre véritablement ces deux chemins. Si on est libéral, pas de problèmes. Mais ce n'est pas le cas du chrétien évangélique. La réalité, me semble-t-il, c'est qu'on ne peut pas pratiquer deux chemins spirituels parallèles ; il faut choisir d'en vivre un au dépens de l'autre. Je crois que le bouddhisme par exemple est infiniment respectable. C'est une spiritualité très riche, mais différente et on ne peut être, pour cette raison, sans incohérence, à la fois chrétien et bouddhiste. Je pense que c'est en gros pareil pour la franc-maçonnerie.
IV. Un franc-maçon dans l'Eglise ?
Mais venons-en au problème concret. Que faire d'un franc-maçon dans l'Église ? Quelle attitude adopter à son égard ? Peut-on baptiser un franc-maçon ? Faut-il l'admettre comme membre d'une Église ? Comment l'aider à sortir de la franc-maçonnerie ? Ne vaudrait-il pas mieux le laisser tranquille ? Les questions foisonnent. Il faut dire aussi que les réponses d'évangéliques à ces questions peuvent varier suivant les convictions personnelles de chacun. Là aussi il s'agit de respecter celui qui n'a peut-être pas les mêmes convictions que soi-même. Alors que faire ? Je proposerai quelques principes simples que je pense être utiles au chrétien désirant entretenir des relations harmonieuses et positives avec le franc-maçon dans son Église (ou dans son entourage). Je m'adresserai aussi au problème de frères et sœurs qui ne comprennent peut-être pas pourquoi l'on "tolère" la présence d'un franc-maçon parmi eux. Ceci est un réel problème et tout au long de cet article j'ai cherché à faire comprendre au franc-maçon les raisons pour lesquelles sa présence dans l'Église peut être vécue difficilement par le chrétien évangélique. Le franc-maçon doit tâcher de nous comprendre et accepter que beaucoup d'évangéliques ont du mal à admettre que l'on puisse être à la fois franc-maçon et chrétien. Mais ici je m'adresserai plutôt au chrétien qui n'est pas franc-maçon. Que peut-il faire pour encourager le franc-maçon dans sa démarche spirituelle ? Que peut-il faire pour que le franc-maçon soit accepté dans l'Église ? Que peut-il faire pour éviter que la présence du franc-maçon crée des problèmes pour l'Église et pour son témoignage ? Voici donc cinq propositions d'action concrète que je pense être utiles à cet égard.
a) S'informer On peut difficilement discuter d'un sujet sans savoir de quoi on parle ! Il est donc important dans un premier temps de se renseigner en se procurant quelques bons ouvrages sur la franc-maçonnerie. L'on ne doit pas non plus se contenter de lire seulement ces ouvrages évangéliques qui la condamnent ! Il est bon de lire aussi des ouvrages profanes, voire même des documents maçonniques, afin de se faire une idée toute personnelle de ce qu'est véritablement la franc-maçonnerie. Il ne s'agit pas de devenir un spécialiste mais seulement de se forger des convictions personnelles indispensables pour déterminer soi-même le type de relation qu'on pourra avoir avec le franc-maçon dans son Église.
b) Chercher le dialogue Il est bien entendu que chacun devra agir en fonction de sa situation propre. Car il y a plusieurs cas de figure possibles : s'agit-il, par exemple, d'un franc-maçon voulant intégrer l'Église ou d'un franc-maçon déjà baptisé et membre de l'assemblée ? Quoi qu'il en soit il est important de s'entretenir avec la personne pour lui expliquer les raisons précises de ses prises de position éventuelles à son égard. Personnellement, par exemple, je pourrais difficilement envisager de baptiser un franc-maçon. Un autre pasteur le ferait peut-être, mais personnellement cela me serait extrêmement difficile. Mais à ce moment-là je me dois de lui expliquer aussi clairement que possible les raisons de mon refus. Pareillement, dans le cas où le franc-maçon est déjà baptisé (dans une autre Église ou par un autre pasteur) et membre de l'Église, le fait qu'il soit ainsi entré dans l'Église ne devrait pas m'empêcher de lui faire connaître à la fois mon malaise (et/ou celui des frères et sœurs dans l'assemblée) et les raisons pour lesquelles je préférerais le voir quitter la franc-maçonnerie. Mais il doit savoir que je ne le condamne pas, même si je suis très troublé par ses idées. Il s'agit à tout moment de le "gagner", en cherchant à l'éclairer en ce qui concerne la véritable nature de la franc-maçonnerie. Il est important aussi de ne pas paraître dogmatique mais de lui faire comprendre que vous êtes réellement en souci pour sa vie spirituelle. Nous ne le jugeons pas ; plutôt nous voulons lui venir en aide.
c) Être discret Certains pasteurs ont estimé nécessaire de prêcher contre la franc-maçonnerie ou de donner un enseignement public sur le sujet(23). Mais d'une manière générale, je ne pense pas que ce soit sage de vouloir exposer le franc-maçon et de dénoncer ses erreurs du haut de la chaire ! Non seulement c'est manquer d'amour à son égard mais ce n'est pas très constructif non plus ! Il est de loin préférable de le voir si possible en tête-à-tête. Il peut arriver aussi qu'un franc-maçon fasse part d'une idée maçonnique qui contredise l'enseignement des Écritures (souvent sans s'en rendre compte) lors d'une réunion d'étude biblique par exemple. Là aussi, je pense qu'il est plus sage de ne pas le reprendre publiquement mais de lui parler ultérieurement seul à seul. On peut aussi envisager de rassurer les personnes qui auraient été troublées par son intervention, mais là encore, en dehors de la réunion d'Église. La discrétion est de rigueur aussi en ce qui concerne la prière. Il est tout à fait normal qu'un chrétien "troublé" par son appartenance à la franc-maçonnerie intercède pour le franc-maçon demandant à Dieu de l'éclairer. Mais ceci devra se faire sans donner l'impression au franc-maçon qu'il est un intrus ou un non-désirable. Il vaut mieux donc prier pour lui en dehors des réunions de l'Église. Il est préférable aussi qu'il sache que plusieurs prient pour lui, de manière à ce qu'il n'ait pas l'impression d'un complot malsain pour l'éjecter de l'Église.
d) Être accueillant Le franc-maçon pense avoir trouvé dans sa loge la "fraternité" qui à ses yeux fait peut-être défaut dans l'Église. Il me semble donc extrêmement important que l'Église locale apprenne à lui réserver à tout moment un accueil à la fois fraternel et chaleureux. Nous pouvons aimer le franc-maçon sans pour autant approuver ses idées ! Cela signifie aussi que nous ne douterons pas de sa sincérité mais que nous aurons de la compassion pour lui, sachant que sans l'action de l'Esprit il est incapable de comprendre l'incompatibilité de ses deux engagements. Il est important aussi qu'il sache que l'Église sera là pour l'entourer et pour l'aider le jour où il déciderait de rompre définitivement avec la franc-maçonnerie.
e) Dédramatiser Enfin, quelle attitude un pasteur doit-il adopter face aux membres de son Église troublés par la présence d'un franc-maçon parmi eux ? Personnellement je pense qu'il est important de dédramatiser - tout en disant ses propres convictions. Si l'on estime que la franc-maçonnerie et la foi évangélique sont incompatibles (c'est mon cas) on peut le dire, bien sûr, mais tout en exhortant les membres de l'Église à avoir une attitude fraternelle et accueillante envers le franc-maçon lui-même. Il faut leur faire comprendre que la présence du franc-maçon dans l'Église ne doit pas nécessairement être vécue comme une menace. Par ailleurs on peut expliquer que l'important n'est pas de le voir sortir de la franc-maçonnerie (même si cela nous paraît souhaitable) mais de le voir entrer dans une relation plus profonde avec son Sauveur. Notre vie doit lui parler de Jésus.
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Dans son ouvrage récent sur le protestantisme et la franc-maçonnerie, Luc Nefontaine affirme que César Malan (1787-1864), un pasteur évangélique de renom, a été initié franc-maçon à Genève(24). À cet égard il est intéressant de constater que ce même César Malan est aussi l'auteur d'un cantique célèbre, qui paraphrase le Psaume (25) : "L'Éternel seul est ma lumière, écrit-il, ma délivrance et mon appui, Qu'aurais-je à craindre sur la terre, puisque ma force est tout en lui ?"27 Dans ce cantique il est frappant de voir qu'il ajoute le mot seul qui ne figure pas dans le texte biblique ! Ce cantique serait-il la proclamation d'un ex-franc-maçon qui réalise enfin que la lumière ne se trouve justement pas là où il l'aurait cherché en vain (dans la franc-maçonnerie) mais en Christ seul ? Nous ne pouvons en être surs. Toujours est-il que nous devons faire comprendre au franc-maçon que Jésus est la lumière, que Jésus est la lumière et que Jésus est la seule lumière ! Nous devons aussi lui faire comprendre que c'est de le voir chercher apparemment cette lumière ailleurs qui nous trouble et nous met en souci. Que Dieu nous donne de la compassion pour nos amis francs-maçons ! Qu'Il nous donne aussi de la sagesse et de l'amour dans nos relations. Qu'Il nous donne surtout de pouvoir leur annoncer "les vertus de celui qui nous a appelés des ténèbres à son admirable lumière" !(26)