Contrairement à ce qui est parfois affirmé, le congrégationalisme ne date pas de la fin du XVIèmesiècle et de l’œuvre de Robert Browne (1550-1633). Le texte œcuménique de Lima, plus connu sous le nom de «BEM» (Baptême, Eucharistie, Ministère), dans la section consacrée au ministère (§26) a reconnu implicitement que le congrégationalisme était un système d’organisation que l’on trouvait dans l’Église primitive, à côté d’autres modèles. Reprenant une suggestion de la première conférence mondiale de Foi et Constitution tenue à Lausanne en 1927, il stipule: «Dans la constitution de l’Église primitive, on retrouve la charge épiscopale, les Conseils d’anciens, et la Communauté des fidèles. Chacun de ces trois systèmes d’organisation ecclésiastique (épiscopalisme, presbytérianisme, congrégationalisme) aété accepté dans le passé durant des siècles, et est encore pratiqué aujourd’hui par d’importantes fractions de la chrétienté».
S’il y a consensus parmi les baptistes pour affirmer le principe congrégationaliste, force est de constater que diverses compréhensions du congrégationalisme fleurissent en terrain baptiste. Un travail de clarification est par conséquent nécessaire. C’est à cela que nous nous emploierons dans les lignes qui suivent: préciser d’une part ce que l’on entend par «congrégationalisme» et, d’autre part, la manière dont l’autorité s’exerce dans un tel modèle d’organisation ecclésiale.
I. Qu’est-ce que le congrégationalisme?
Définir le congrégationalisme comme l’affirmation de l’autonomie de l’Église locale n’est pas faux, mais insuffisant d’un point de vue théologique. Le congrégationalisme repose, nous semble-t-il, sur deux affirmations fondamentales: 1) l’Église locale est pleinement Église et 2) l’autorité du Christ sur son Église est médiatisée par l’ensemble de la communauté locale.
1.1 L’Église locale est pleinement Église
La première conviction fondamentale du congrégationalisme réside dans l’affirmation de la pleine ecclésialité de l’Église locale. Autrement dit, lorsque deux ou trois sont réunis pour confesser la foi en Jésus-Christ de manière multiforme: par la prédication, l’enseignement de la Parole de Dieu, la célébration des sacrements, le culte, la prière, la louange, l’exercice des charismes, etc. alors le Christ est présent au milieu d’eux, et l’Esprit Saint les constitue en Église. Le texte considéré comme la première confession de foi baptiste, rédigé par Thomas Helwys en 1611, A Declaration of Faith of English People stipule en son article 11:
«Quoique, eu égard au Christ, l’Église soit une (Ép 4.4), pourtant, elle consiste en différentes communautés; aussi nombreuses qu’elles puissent être dans le monde, chacune de ces communautés, même si elles ne sont faites que de deux ou trois personnes, ont Christ qui leur est donné, avec tous les moyens de leur salut (Mt 18.20; Rm 8.32; 1Co 3.22). Elles sont le corps du Christ (1Co 12.27), et pleinement Église (1Co 14.23). Ainsi donc, [les croyants] peuvent et doivent, quand ils se rassemblent, prier, prophétiser, rompre le pain, et administrer toutes les saintes ordonnances, même s’ils n’ont pas de ministres ou que leurs ministres soient en prison, malades, ou pour une raison quelconque retenus hors de l’Église (1P 4.10; 2.5)» (1).
L’idée fondamentale est donc que l’Église une, sainte, universelle et apostolique existe concrètement sur terre, sous la forme d’Églises locales. L’Église locale est la manifestation, la concrétisation, sous la restriction du temps et de l’espace, de l’Église universelle (2). Les congrégationalistes ont souvent fait remarquer que pour désigner les communautés chrétiennes d’un lieu donné, les auteurs du N.T. parlent de l’Église de Dieu ou du Christ qui est à (Corinthe, Jérusalem, Antioche, etc.). L’Église locale n’est donc pas une partie d’un ensemble plus vaste qui aurait lui seul le droit de s’appeler Église, mais elle est l’Église de Dieu «qui est à…».
Ainsi donc, pour les premiers congrégationalistes historiques, lesquels étaient issus de l’Église anglicane, pour qu’il y ait Église, nul besoin de la présence d’un évêque ordonné dans la succession apostolique. La présence de quelques croyants régénérés, se réunissant régulièrement pour faire ce que l’Église est appelée à faire, suffit pour qu’il y ait Église, car en vertu de sa promesse, le Christ est présent par son Esprit au milieu d’eux (3). Cette compréhension de l’Église, qui se veut biblique, est cependant interpellée sur les questions de l’apostolicité et de la catholicité (l’universalité) de l’Église.
Considérons d’abord la question de l’apostolicité de l’Église: comment les congrégationalistes peuvent-ils garantir l’apostolicité de l’Église? Cette interpellation, plutôt de type catholique, s’adresserait en fait à toutes les ecclésiologies protestantes. Le théologien catholique, Yves Congar, affirmait par exemple que «le sens d’un lien visible, historiquement continu avec les acta et passa christi in carne [ce que le Christ a fait et subi pendant son séjour sur terre] est ce qui manque [le plus] à l’ecclésiologie protestante» (4). Pour le catholicisme, la présence d’un évêque ordonné dans la succession apostolique, appartient non au bien-être de l’Église, mais à son être même, car l’évêque ordonné dans la succession apostolique, rattache l’Église au Christ historique. Nul n’est besoin de s’attarder longuement sur cette question de l’apostolicité de l’Église, les arguments sont connus de part et d’autre. Avec tous les protestants, les baptistes affirment que l’Église est apostolique à cause de la présence en elle de l’Esprit Saint et parce qu’elle vit de la foi des apôtres, dont le témoignage se trouve dans les Écritures canoniques. La fidélité à la tradition apostolique est gage de l’apostolicité de l’Église.
Les congrégationalistes sont aussi interrogés sur la catholicité de l’Église. Il est clair que leur compréhension de l’Église peut dériver vers le localisme, l’isolationnisme, l’individualisme ecclésiologique et conduire à la multiplication d’Églises sans aucun lien les unes avec les autres : on ne peut contester que dans la pratique ce soit souvent le cas. Cette question est suffisamment sérieuse pour qu’on s’y attarde plus longuement. Nous lui consacrerons une attention particulière, mais pour l’heure considérons la seconde affirmation fondamentale du congrégationalisme.
1.2. La souveraineté du Christ sur l’Église locale est médiatisée par l’ensemble de la communauté
Toutes les Églises affirment que l’Église est le corps du Christ; Christ est la tête, c'est-à-dire le chef de son corps. Ainsi, l’Église n’est ni une autocratie (un seul individu exerçant l’autorité de manière absolue), ni une oligarchie (l’autorité est détenue par un petit groupe de personnes), ni même une démocratie (l’autorité appartient au peuple), mais une christocratie: c’est le Christ qui est le chef de son corps. La véritable question est alors la suivante: comment l’autorité du Christ sur son Église est-elle médiatisée? C'est-à-dire, comment cette autorité se manifeste-t-elle concrètement? Quelle est la structure la mieux appropriée à l’Église en tant que christocratie? Les premiers congrégationalistes, qui se sont détachés de l’Église anglicane, ont jugé que les structures intermédiaires entre le Christ et l’Église locale, nuisaient à cette souveraineté du Christ sur son Église. Ils luttaient contre l’emprise de l’État sur les affaires ecclésiastiques ainsi que sur la manière autoritaire dont ils jugeaient que les évêques administraient les Églises à leur époque. Lorsque les premiers baptistes ont affirmé le principe congrégationaliste, ils voulaient traduire concrètement l’affirmation selon laquelle l’autorité du Christ sur l’Église locale est médiatisée par la communauté dans son ensemble. L’autorité du Christ sur son corps s’exprime au travers de l’ensemble de la communauté: ce sont les membres de l’Église qui, dans l’Esprit Saint, gouvernent l’Église. Le Christ gouverne l’Église, signifie que l’ensemble de la communauté ecclésiale la gouverne et non pas exclusivement un seul (évêque, «apôtre», pasteur autoritaire, etc.) ou quelques-uns (anciens ou responsables).
Cependant, l’Église étant une christocratie, la communauté dans son ensemble, sous la conduite de l’Esprit, est appelée à discerner «la pensée du Christ» pour le corps. C’est donc la volonté du Christ pour son corps, et non pas leur propre volonté, que les membres de l’Église sont appelés à discerner. Toute l’Église participe à ce processus de discernement de la volonté du Christ, chacun intervenant en fonction de ses charismes, de son expérience et de sa maturité spirituelle. Les ministres de l’Église, par les charismes qu’ils ont reçus et qui sont reconnus par l’ensemble de l’Église, par leur bonne connaissance de la communauté et de ses besoins, auront un rôle spécifique de pilotage à jouer dans le processus de discernement de la «pensée du Christ», ils conduiront l’Église dans ce processus de discernement, mais le processus doit rester communautaire (cf. 1Th 5.21). Les ministres ne doivent pas, par conséquent, tenter d’imposer leur décision à l’Église.
Ce système présente ses avantages et ses inconvénients. Il requiert de la patience et parfois du temps. On lui reproche alors son manque d’efficacité. Mais il se veut néanmoins un modèle participatif d’Église, reposant sur les affirmations du sacerdoce universel, de l’effusion de l’Esprit sur tous et de la distribution universelle des charismes. Dans un tel type de gouvernement de l’Église, les manipulations, suggestions insistantes de la part des uns ou des autres, pressions financières, rétentions d’informations, etc., ne sont pas rares. L’assemblée cherchant à «discerner la pensée du Christ» peut n’être qu’une chambre d’enregistrement de décisions prises en amont par un seul ou quelques-uns. Le péché a un grand pouvoir explicatif, bien des choses qui se passent dans l’Église s’expliquent par la présence du péché même chez les régénérés. Mais cette réalité est difficile à prendre en compte dans la construction théologique d’un modèle ecclésial. Probablement que l’articulation entre tous et quelques-uns pourrait en limiter les effets.
II. L’articulation entre tous et quelques-uns
Le congrégationalisme, n’est pas la négation de la nécessité de ministères dans l’Église. Une nécessaire articulation entre tous et quelques-uns doit se mettre en place. Les baptistes ont toujours soutenu à la fois l’affirmation du sacerdoce universel et l’appel au ministère de quelques-uns. La confession de foi de Londres (1644), stipule dans son article 44 que le Christ a établi certains hommes pour gouverner, superviser, visiter, prendre soin de son troupeau (5). La confession de foi des baptistes généraux de 1660, affirme dans son article 15 que les «Anciens ou pasteurs ont été établis par Dieu pour gouverner (oversee) et nourrir son Église» (6).
D’ailleurs, lorsque le NT parle des ministères structurels de l’Église, il utilise des mots assez forts: Dieu a établi (tithèmi) dans l’Église des apôtres, prophètes et enseignants (1Co 12.28); Paul dit aux anciens de l’Église d’Éphèse: «Prenez garde à vous-mêmes et à tout le troupeau dont le Saint-Esprit vous a établis les épiscopes» (Ac 20.28); le Christ ressuscité a fait des dons à son Église: apôtres, prophètes, évangélistes, pasteurs et enseignants (Ép 4.11). Le ministère n’est donc pas une simple délégation de l’Église. Un ministère étant une activité chrétienne stable, reconnue et au bénéfice de l’Église. Un ministre de l’Église étant un(e) chrétien(ne) qui, à cause des charismes qu’il (ou elle) a reçus, jouit d’une reconnaissance publique et officielle de la part de l’Église, pour exercer certaines fonctions régulières, stables, pour le bénéfice de toute l’Église. Il ne faut pas trop opposer charisme et ministère. Ce sont les deux faces d’une même pièce. Les charismes sont des aptitudes conférées par l’Esprit, qui permettent d’exercer certaines charges dans l’Église pour «l’utilité commune». Mais parmi la grande variété des charismes on peut distinguer ceux qui sont structurels et ceux qui enrichissent la vie de la communauté. Les charismes structurels sont ceux qui structurent la communauté: ils sont liés au service de la Parole et au gouvernement de la communauté. En effet, l’Évangile doit être proclamé; l’Église doit être enseignée car elle naît et vit de et par la Parole; d’où la nécessité des ministères kérygmatiques (de la Parole): cf. 1 Co 12.28; Ép 4.11. L’Église, comme réalité sociale doit aussi être gouvernée. D’où la nécessité des ministères de direction dans l’Église: on les appelle dans le N.T.: épiscopes, anciens, présidents, conducteurs (7).
Les ministres sont en quelque sorte les «jointures» qui relient les diverses parties du corps. Leur rôle, consiste non à créer un sentiment de dépendance à leur égard, mais à «mettre les saints en état d’accomplir le ministère» (Ép 4.12). Ils le font en animant et en coordonnant l’exercice des différents charismes, en pilotant le processus de discernement communautaire de la volonté du Christ. Le N.T. dénonce fermement tout exercice de l’autorité dans l’Église qui dérive vers l’autoritarisme. L’apôtre Pierre écrit: «J'encourage donc les anciens qui sont parmi vous, moi qui suis un ancien comme eux, un témoin des souffrances du Christ ayant part à la gloire qui va être révélée: faites paître le troupeau de Dieu qui est chez vous; veillez sur lui, non pas par contrainte, mais volontairement, selon Dieu; non pas pour des gains honteux, mais avec ardeur; non pas en dominant comme des seigneurs sur ceux qui vous ont été confiés, mais en étant des modèles pour le troupeau» (1P 5.1). De même l’apôtre Jean dénonce fermement l’attitude d’un certain Diotrephès, qui exerce son ministère de manière monarchique (3Jn 9).
III. Congrégationalisme et communion entre les Églises locales
3.1 Interdépendance des Églises locales
Le congrégationalisme est confronté à la question de la catholicité de l’Église. Cette compréhension de l’Église ne dérive-t-elle pas nécessairement vers l’isolationnisme, l’indépendantisme, l’individualisme ecclésiologique? Comment vivre (et non pas simplement proclamer), la communion entre les Églises? Le congrégationalisme, nous l’avons vu, signifie que chaque communauté locale, du fait de la présence du Christ au milieu d’elle et de l’effusion de l’Esprit sur tous, a la compétence et la responsabilité d’organiser sa vie: célébrer le culte, administrer les sacrements, discerner les personnes à qui l’Esprit octroie des charismes pour l’exercice de charges spécifiques dans l’Église, exercer la discipline, gérer ses finances, etc.
C’est en ce sens précis que l’on pourrait parler de «l’autonomie» de l’Église locale, tout en insistant pareillement sur la nécessité de l’interdépendance des Églises locales. Affirmer l’«autonomie» de l’Église locale ce n’est pas dire que celle-ci devrait se gouverner selon ses lois propres, qu’elle se serait elle-même donnée (selon le sens étymologique du mot). L’Église étant d’abord une christocratie, c’est «la pensée du Christ», telle qu’en témoignent les Écritures, interprétées avec l’aide de l’Esprit Saint, que la communauté locale doit discerner et à laquelle elle doit se soumettre. L’Église n’invente pas sa propre foi. Elle la reçoit. C’est pourquoi le mot «autonomie» n’est peut-être pas le meilleur pour traduire cette réalité. Il serait probablement plus juste de parler de l’Église locale comme d’une Église «sujet» et une Église de «sujets». C’est une Église sujet, donc responsable, et composée de «sujets», de chrétiens responsables. L’autonomie de l’Église locale n’est pas non plus à confondre avec isolement, repli sur soi ou autarcie de celle-ci: quoique chaque Église locale, à cause de la présence en son sein du Christ soit pleinement Église, elle ne l’est cependant pas seule.
La présence de l’Esprit dans une communauté locale, la constituant en Église, la relie simultanément avec les autres Églises locales. La Confession de foi baptiste de Londres, stipule dans son article 47:
«Bien que les différentes communautés forment des organismes distincts et séparés, chacune étant en elle-même une cité complète et bien coordonnée, il n’empêche qu’elles doivent toutes, en tant que membres d’un seul corps, marcher selon une seule et même règle et rechercher par tous les moyens possibles les conseils et l’aide des Églises sœurs, pour toutes les affaires relatives à la vie de l’Église, dans une foi commune et une même soumission à Christ, leur chef» (8)
Contrairement à la dénomination congrégationaliste, les baptistes ont été, aux XVIIèmeet XVIIIèmesiècles en tout cas, «connexionnistes». Ils ont affirmé la nécessité de l’interdépendance des Églises locales. Cette interdépendance se traduit concrètement, chez les baptistes, par des alliances, associations, unions, fédérations de ces Églises. Dans la perspective des Églises baptistes, on part en effet d’abord de la réalité des communautés locales et on pose entre elles des liens qui en font une communion. Le lien fédératif est considéré comme l’une des formes concrètes que peut revêtir la communion. Du fait de leur confession de foi commune, de leur participation aux mêmes sacrements, de la reconnaissance mutuelle de leurs ministres et de leur adhésion à des règles qui structurent leur vie commune, ces Églises se trouvent en alliance les unes avec les autres; elles s'entraident spirituellement et collaborent dans différentes actions de témoignage de la foi. Elles sont par conséquent en communion les unes avec les autres.
Les Églises locales en communion ne peuvent pas vivre indépendamment les unes des autres. Elles «marchent selon une seule et même règle». Elles sont en alliance les unes avec les autres. Être en alliance, c’est nécessairement se doter d’une constitution ecclésiastique, c'est-à-dire d’une confession de foi et d’une discipline, qui gère le vivre ensemble de l’union des Églises. Les différentes Églises locales en communion s’accordent, par conséquent, entre elles sur un ensemble de textes qui scellent leur union et font autorité en leur sein. Ainsi, ces constitutions ecclésiastiques appartiennent, certes, au bien-être (bene esse) des Églises, mais elles ne relèvent pas de leur bene volens (bon vouloir). On ne peut pas être en communion tout en rejetant les textes et les règles qui scellent la relation, et régissent le vivre-ensemble. La communion a aussi une traduction juridique, elle n’est pas qu’un simple thème de spiritualité. Le spirituel et le juridique ne s’opposent d’ailleurs pas nécessairement (9) Les Églises en alliance, ou en communion, peuvent (et doivent) veiller les unes sur les autres et s’interpeller mutuellement.
La communauté locale, avons-nous dit, a la responsabilité de discerner «la pensée du Christ», mais on pourrait proposer une distinction entre trouver la pensée du Christ et reconnaître ou discerner la pensée du Christ. Une communauté locale ne peut pas se targuer à elle seule de pouvoir «trouver la pensée du Christ», indépendamment des autres, sur certaines questions délicates; en revanche, elle peut «reconnaître la pensée du Christ» dans la décision prise par une communion d’Églises; elle reçoit alors cette décision. Elle fait acte de réception. Qu’est-ce que la réception? Il s’agit d’un consentement de la part d’une communauté, par mode de jugement (de discernement), d’une décision qu’elle ne s’est pas donnée à elle-même, que d’autres qu’elle ont prise, mais où elle reconnaît sa foi ou des mesures qui conviennent à sa vie d’Église et qui scellent l’unité fédérative (10)
Le N.T. nous présente, dans le quinzième chapitre du livre des Actes, un cas important à la fois d’un processus de discernement communautaire de la volonté du Christ pour son corps et de réception. En effet, des judaïsants ont troublé des chrétiens venus du paganisme leur disant: «Si vous n’êtes pas circoncis selon le rite de Moïse, vous ne pouvez être sauvés» (Ac 15.1). Après de vifs débats, les frères de l’Église d’Antioche ont décidé d’en discuter avec ceux de Jérusalem. Un «synode», «concile», «congrès» a été convoqué à Jérusalem. Après des discussions animées, un consensus vécu comme venant de l’Esprit (Ac 15.28), a été trouvé. La décision prise a été communiquée à l’Église d’Antioche, cette dernière l’a reçue (Ac 15.31). Il est utile de faire preuve de créativité, d’innovation, mais sans se croire obligé à chaque fois de refaire le monde. L’Église locale n’est pas seule au monde, elle n’est pas réduite à toujours tout découvrir ou tout réinventer toute seule. Paul apostrophait les corinthiens comme suit: «Est-ce de chez vous que la parole de Dieu est sortie, ou est-ce à vous seuls qu'elle est parvenue?» (1Co 14.36).
3.2 La nécessité d’un ministère d’episkopè
Les Églises baptistes ont refusé l’épiscopat censé relier l’Église d’aujourd’hui au Christ et aux apôtres, mais ils n’ont pas contesté pour autant la nécessité d’un ministère d’episkopè, c'est-à-dire un ministère d’unité, de supervision, de visite et de cohésion des communautés locales. L’Alliance Baptiste Mondiale, par exemple, a affirmé, dans sa réponse au texte du BEM, que les baptistes acceptent l’importance du ministère de l’episkopè pour exprimer et sauvegarder l’unité du corps «dans la mesure où ce ministère n’est pas nécessairement identifié à l’une des formes particulières de l’épiscopat tel qu’il s’est développé historiquement dans certaines Églises». En effet, selon l’Alliance Baptiste mondiale, «les baptistes, depuis leur début, ont reconnu l’importance de l’episkopè comme un don du Christ à son Église pour le soin et la discipline du peuple de Dieu. C’est une charge qui est ultimement inhérente à la communauté rassemblée elle-même, qui se rassemblant, cherche à discerner la volonté du Christ sous la conduite de l'Esprit Saint. Cette communauté a la liberté et la responsabilité de nommer certaines personnes qui rempliront des aspects particuliers de l’episkopè, spécialement le ministère de la parole, le soin pastoral, et l’enseignement» (11)
Le congrégationalisme supporte donc ce genre de ministère. Mais les Églises baptistes se veulent simplement attentives à la forme que revêt un tel ministère.
Il ne faudrait pas, semble-t-il, le confondre avec ce que l’on appelle parfois, «ministère apostolique» (12). Dans certains milieux en effet, on considère qu’un «apôtre» est quelqu’un qui a implanté un ensemble d’Églises locales, a installé des responsables locaux à leur tête et «coiffe» de son autorité spirituelle ce réseau d’Églises; à moins que certains pasteurs aient accepté volontairement de se mettre sous son autorité, même si l’apôtre n’est pas le fondateur de l’Église locale. Les responsables locaux sont sous l’autorité de «l’apôtre», ils lui rendent compte de leur gestion des Églises locales. L’«apôtre» rend visite à ce réseau d’Églises, il installe ou destitue les responsables locaux. Quand surgit un problème, c’est «l’apôtre» qui intervient pour le régler avec autorité et fermeté. Si les responsables locaux doivent lui rendre compte, «l’apôtre» quant à lui ne rend compte à personne. Par conséquent, il a une autorité très forte et peu régulée sur son réseau d’Églises. Ce ministère dit apostolique correspond à de réels besoins: celui d’un accompagnement spirituel des pasteurs d’une part, et, d’autre part, celui d’un ministère d’episkopè. Ce type de ministère est possible, mais non sous cette forme, dans un système congrégationaliste fédératif et il existe de fait, dans de nombreuses fédérations d’Églises baptistes, mais peut-être doit-il être amélioré.
En effet, pour les Églises baptistes, l’episkopè réside d’abord dans le rassemblement des délégués des Églises, qui s’assemblent pour discerner la pensée du Christ, pour l’ensemble des Églises. Il réside ensuite dans le conseil de la Fédération: ses membres sont élus par les délégués des Églises. Le conseil jouit par conséquent d’une certaine reconnaissance pour jouer ce rôle de surveillance, d’unité, de visite, de cohésion au sein des Églises composant la Fédération. Il peut déléguer cette responsabilité à d’autres: des visites fédératives pourraient se développer. Les visiteurs fédératifs vérifient que les décisions sont reçues ou en processus de réception dans les Églises locales et que l’unité fédérative ou la communion entre les Églises est réelle. Le ministère de présidents de région remplit également cette fonction.
Est-ce une trahison de l’esprit des pères congrégationalistes? Il ne semble pas. En effet, les premiers baptistes anglais, surtout les baptistes généraux, s’étaient dotés d’un ministère itinérant, supra-local de visiteurs, les «messengers», qui accomplissaient d’une certaine manière, un ministère d’episkopè (13). Certaines confessions de foi, notamment la Midland Confession (The True Gospel-Faith, 1654, art.22) ou l’Orthodox creed (1678), art.31 mentionnent comme ministères dans l’Église, à côté des pasteurs (ou anciens) et diacres, les évêques (bishops) ou messengers (14).Ce ministère d’unité et de supervision négligé par les baptistes des XIXèmeet XXèmesiècles, mériterait d’être redécouvert plus largement par les baptistes d’aujourd’hui. Il pourrait être une concrétisation des différents liens de cohésion et de communion entre les Églises locales que l’on trouve dans le Nouveau Testament: visites des Églises par les apôtres (Ac 8.14; 15.36) ou leurs délégués (15); envoi de lettres aux différentes Églises dont certaines ont un caractère de circulaire (cf. Col 4.16); encouragement à la solidarité financière entre les Églises (2Co.8).
Conclusion
Alors que nous fêtons les 400 ans du baptisme,il est bon de se rappeler que les baptistes possèdent un riche héritage et s’inscrivent eux aussi dans une tradition. Il est parfois utile de retourner aux sources afin d’éclairer par le recours à l’histoire et à l’étude des documents des «Pères», des débats actuels dans les Églises. On s’aperçoit, ce faisant, que la tradition baptiste comporte des ressources insoupçonnables qui aideront à penser et à trouver des solutions appropriées aux questions auxquelles l’Église est confrontée aujourd’hui. Il n’est pas toujours nécessaire de tout recommencer de zéro. D’autres chrétiens nous ont précédés: le baptisme a 400 ans d’existence et le christianisme 2.000 ans. D’autres sont venus avant nous et ils ont réfléchi sur les problèmes qui se posent à nous. Ils ont proposé des solutions qui méritent d’être connues et simplement actualisées. La tradition baptiste est riche, elle mérite d’être connue et redécouverte. Elle peut aussi être enrichie au contact des autres traditions. En effet, certains animaux s’entourent d’une carapace, faute de squelette. Il s’agit d’être des vertébrés et non des mollusques…