Introduction
La question de l'autorité est à l'ordre du jour. Si on parle de ce sujet en faisant allusion aux Eglises de type charismatique, on les trouvera sans aucun doute davantage soumises à une autorité centrale et moins congrégationalistes. Y aurait-il là une résurgence d'une certaine hiérarchie ou d'une structure pyramidale au détriment de l'autorité de l'Eglise ? Ne dénature-t-on pas la structure congrégationaliste d'une Eglise pour en assurer la marche spirituelle selon un certain type ? Ou alors, y aurait-il différentes manières de fonctionner ? Autant de questions qu'il nous faudra élucider dans cet exposé.
Voici comment nous allons traiter ce sujet :
1°) Nous commencerons par aborder ce qui caractérise une Eglise charismatique et, d'une certaine manière, explique son fonctionnement.
2°) Nous continuerons par un survol de l'histoire pour découvrir les développements de la réflexion sur le gouvernement de l'Eglise. L'histoire est révélatrice à bien des égards.
3°) Nous terminerons par un essai sur la cohérence dans l'exercice de l'autorité dans nos Eglises.
I.- Le fonctionnement des Eglises charismatiques.
La nature de ces Eglises explique certains aspects de leurs structures.
Comme chacun sait, la place de l'expérience y est importante. Or, le domaine de l'expérience spirituelle dépend de la personnalité du leader, de sa manière d'aborder, de maîtriser, d'enseigner, de rassurer etc. ce qui signifie en clair que, déjà la nature de la vie spirituelle entraîne la nécessité d'une certaine conduite. Dès les premiers temps de l'Eglise, les apôtres ont dû se déplacer en Samarie pour aider Philippe dans l'exercice du discernement face aux agissements de Simon (Ac 8.13ss). L'action de l'Esprit peut prendre au dépourvu, voire dérouter, et c'est au responsable de prendre des décisions sur le champ (Ac 10). Ce n'est pas toujours évident.
Laisser, par exemple, la liberté à l'expression prophétique dans un culte public est un défi pour les responsables d'une Eglise. L'exercice de l'autorité est par moments nécessaire pour maintenir l'Eglise dans une ligne conforme à la pensée biblique. Cette autorité est indispensable, elle va même de soi ! Souvenons-nous à quel point Paul a dû être particulièrement directif avec les Corinthiens. Mais, du coup, l'Eglise peut devenir dépendante d'un responsable, à cause de sa capacité de percevoir et discerner. De plus, une Eglise s'habitue à la manière de procéder d'un responsable et risque de parfois mal accepter un autre. D'où leurs tendances, à certains moments, à cultiver malgré elles une forme de " culte " de la personnalité.
b) On rencontre souvent des gens très sûrs de leur inspiration pour qui la soumission à Dieu passe avant toute soumission à l'homme, se croyant plus inspirés que tout autre ! D'où parfois la nécessité pour le conducteur de prendre des dispositions fermes. Ce phénomène est encore plus fréquent dans un contexte hors Eglise. Citons par exemple une phrase relevée dans le texte de présentation d'une association interconfessionnelle : " cette équipe fut composée par la volonté de Dieu et non celle des hommes "… On peut se poser légitimement la question de leur relation avec les Eglises …
c) L'exercice de la prophétie entraîne l'Eglise vers une vision pour son travail. Qui dit vision dit visionnaire pour la mettre en œuvre. Cela s'applique à toute Eglise active sans pour autant être de type charismatique. Je citerai une des figures connues des " nouvelles Eglises " d'Angleterre, Terrry Virgo, qui dit ceci : " Si l'Eglise est perçue simplement comme un rassemblement de personnes qui assistent à des services religieux, un minimum d'autorité (leadership) est requis. Si, par contre, l'Eglise est vue différemment, comme le point de mire pour l'évangélisation du monde et un centre de formation de disciples, de communication de sa vision et de lieu pour libérer des ministères, alors la conduite de l'Eglise prend un sens tout nouveau " (" A people prepared ", p 121.)
Ceci soulève l'une des problématiques d'une Eglise de type charismatique, et nous y découvrons un fonctionnement visionnaire, au risque d'avoir un langage hyperbolique imprimant à l'Eglise une marche plus militante. Cependant, ce programme ne correspond pas toujours aux réalités locales, ce qui peut engendrer un comportement autoritaire des responsables. En d'autres termes, vous pourriez êtes moins bien vus, voire mal vus si vous ne suivez pas ! D'une manière générale, on privilégiera la vision par rapport à la gestion de l'Eglise. Ce n'est pas le " marche ou crève " ; cependant, ce comportement peut engendrer facilement le rejet de ceux qui ne marchent pas d'un même pas. Le verset de Ph 3.16 où Paul dit : " au point où nous sommes parvenus, marchons d'un même pas " est mal compris dans certains milieux : il ne s'agit pas de l'activité du chrétien, même si Paul utilise l'image de la course. Il est fait allusion à la communion du chrétien avec Christ au regard des exigences de la loi. Le chrétien apprend justement à vivre de la grâce de Dieu, ce qui est diamétralement l'opposé.
Peter Wagner, un conférencier connu pour ses analyses sur la croissance de l'Eglise souligne tous les facteurs de croissance indépendamment de leur valeur. Dans ce milieu, on aura davantage tendance à privilégier ces facteurs par rapport à la qualité de l'Eglise.
d) On peut arriver à la réduction suivante, à mon avis dangereuse, illustrée par cette parole d'un pasteur qui m'a déclaré : " une vision, un homme, pas de division ". Il a renoncé à entrer dans notre Fédération(1), reconnaissant que sa conception ne pourrait pas coïnider avec la nôtre ! Il était au moins honnête.
e) L'administration d'une Eglise nécessitant une autorité, celle-ci s'exprime, soit par une centralisation du pouvoir (modèle pentecôtiste), soit par la nomination d'anciens (modèle des Eglises charismatiques). Actuellement dans l'un et l'autre des cas, le rôle de l'Eglise dans l'autorité peut présenter toutes les variantes possibles. Nous aborderons cela plus loin. De plus, bon nombre de ces Eglises ont été fondées par un pionnier qui en est devenu le pasteur ; l'Eglise est entrée dans une aventure de foi sous la houlette d'un pasteur, d'où la manière très personnelle et souvent un peu " musclée " de fonctionner qui peut marquer l'Eglise et même ses statuts.
Nous étudierons 4 types de gouvernements qui se sont succédés dans l'évolution des milieux revivalistes .
1°) Le fonctionnement épiscopal.
Qu'on le veuille ou non, le pentecôtisme a influencé toutes les sensibilités charismatiques dans leurs pratiques, dans notre pays.
Georges Raymand Stotts, dans son livre, " Le Pentecôtisme au pays de Voltaire ", en a fait ressortir les origines. Fruits de l'évangélisation, ancrées dans le protestantisme (réformé et baptiste), et influencées par les Eglises scandinaves, ces Eglises ont défendu farouchement l'indépendance de l'Eglise locale. Il y eut de longs et durs débats en conventions nationales où seuls les pasteurs représentaient les Eglises. L'établissement des anciens n'existait pas encore dans les années 30. Reprenant le modèle du synode de Jérusalem, ces conventions ont fixé la ligne doctrinale, la discipline, et l'organisation du mouvement en 1948. Elles se sont penchées ensuite sur le problème de la reconnaissance des pasteurs, " affaire très délicate " (citation) ! En fait, nous assistons à la naissance d'un pouvoir pastoral local sans contrôle réel. Tout le monde s'accorde pour une unité nationale, c'est le but affiché. Le prix de cette unité est l'indépendance des Eglises, sous-entendus des ministères. Le non-dit est souvent plus important que le dit ! Ses conséquences furent déterminantes pour le mouvement : les Eglises locales sont verrouillées doublement, d'une part par une indépendance farouchement défendue, et de l'autre, par une confrérie épiscopale quasi inconditionnelle dans son unité.
Nous assistons à un phénomène paradoxal : le renforcement de l'unité du mouvement national et en même temps un accroissement de l'indépendance de l'Eglise locale ( pp117,118). Disons au passage qu'on n'a finalement retenu du congrégationalisme que " l'enveloppe extérieure ", c'est-à-dire, l'autonomie. Or, le vrai congrégationalisme, c'est l'expression de l'autorité de l'Eglise locale également. Nous aborderons ce sujet dans notre 3ème chapitre. Plus tard, en 1963, il y aura le refus de toute organisation nationale répétée de manière virulente, et parallèlement un retranchement dans l'Eglise locale. Ajoutons que la formation est uniquement sur le tas, et la reconnaissance finale du stagiaire comme pasteur se fait en convention nationale. De plus, je cite Stotts, " si le Pentecôtisme français a eu la sagesse de refuser de s'enfoncer dans de longs débats doctrinaux " (fin de citation), ses jeunes pasteurs ont été avant tout des évangélistes. Entraînant ainsi une forme d'autoritarisme très pyramidale ( ministère oblige !…).
2°) Le Mouvement apostolique.
Branche du Pentecôtisme, ce mouvement eut pour souci la remise en valeur des cinq ministères d'Ephésiens 4 : apôtres, prophètes, évangélistes, pasteurs et docteurs. Si ce mouvement n'a pas pris racine largement en France, il est plus implanté ailleurs. Son influence va bien au-delà de sa dimension. Il y a également une remise en évidence des anciens (Jacques Gloaguen : " Les anciens : ces méconnus "), et une saine compréhension de l'autorité et de la soumission dans l'Eglise (John Carr, apostolique écossais). S'il ne s'était pas institutionnalisé, ce mouvement serait aujourd'hui très important. La remise en évidence de l'autorité apostolique et du ministère de prophète fut courageuse. Disons tout de suite qu'une distinction réelle est faite par rapport au ministère apostolique du Nouveau Testament. Cependant, le souci de gestion ministérielle l'ayant emporté sur la vision, il y a eu stagnation.
L'autorité resta cependant très proche du Pentecôtisme classique, en privilégiant les ministères, tout en développant une meilleure prise en compte de la place de l'Eglise dans les décisions. Mais la centralisation des décisions sur le plan national a eu pour effet un frein dans sa croissance en France.
Il faudra attendre la venue du Réveil charismatique des années 70 et l'éclosion des nouvelles Eglises pour qu'il y ait un prolongement de la réflexion.
3°) Les mouvements de restauration.
Le souci de formation de disciples fut un des fers de lance de cette mouvance. Elle eut ses exagérations dans les débuts, mais finit par trouver un équilibre. Arthus Wallis, venu du mouvement de frères en Angleterre y eut une influence prépondérante. Dès lors, la notion d'anciens et celle des 5 ministères furent développées à fond.
Une des grandes qualités de ce mouvement fut de privilégier non la hiérarchie mais avant tout la relation entre les ministères. On peut dire que cette sensibilité prévaut un peu partout, même en Amérique du Sud, plus orientée vers l'évangélisation. Les apôtres ne se sont pas transformés en évêques mais restent surtout porteurs de visions, stimulants pour le peuple. Peut-on cependant parler de structure ? Oui, sur le plan local avec des anciens. Au-delà, il y a des réseaux autour de la vision d'un apôtre ou d'une équipe d'hommes. Il y a beaucoup de concertation entre différents apôtres et leaders, mais on ne parle pas de superstructure.
John Carr, une des figures connues des Eglises apostoliques en Angleterre, avait quitté le mouvement apostolique dès les années 70 pour remettre en cause leur centralisation. Il fut en contact étroit avec le mouvement charismatique et, récemment, il réintégra les Eglises apostoliques pour y exercer une influence vivifiante. Ses récents écrits remettent en évidence la place de l'Eglise dans la gestion de l'autorité. Dans son livre : " Biblical Balance on submission and Authority ", il dit ceci : " Ce ne fut jamais le but de Dieu qu'il y ait un clergé ayant toute la responsabilité et des laïcs qui sont de simples spectateurs et auditeurs " (p. 114).
Il faut noter au passage que les Eglises baptistes et apostoliques du Danemark ont des projets de fusion, selon les dernières informations données par le secrétaire général de la Mission Intérieure Baptiste danoise à Prague en mars. C'est dire que leurs fonctionnements sont tout à fait proches !
4°) Les réseaux d'Eglises
Il s'agit de nombreux réseaux divers marqués presque essentiellement par un enseignement ou une pratique spirituelle plus particuliers. L'autorité y est exercée par des leaders nommés de l'extérieur ou autoproclamés. Il y a une forte concentration du pouvoir entre quelques mains. Ces réseaux sont parfois sujets à des éclatements ou tensions internes. La forme de vie y est plus militante sous une direction plus centralisée.
En conclusion : le refus du pouvoir central est considéré comme suspect en milieu revivaliste quand il est représenté par une structure visible, moins quand il s'agit d'hommes exerçant un ministère. D'une manière générale, on privilégiera les ministères par rapport aux structures considérées comme paralysantes. En revanche, l'abus de pouvoir local n'est pas rare ! Restant figés sur la pratique de l'Eglise primitive, les mouvements revivalistes ne se livrent pas ou peu à la réflexion sur l'autorité dans l'Eglise. Ils se limitent au schéma expérimental du Nouveau Testament, y associant malgré tout une forme de congrégationalisme comme expression de l'autonomie, mais peu comme fonctionnement interne local. A cela s'ajoute toutes les variantes propres à chaque Eglise, où tour à tour le congrégationalisme et l'aspect plus directif des ministères se relaient pour la gestion de l'Eglise !
III.- Un essai sur la cohérence dans l'exercice de l'autorité à l'intérieur de nos Eglises.
Peut-on allier vie charismatique nécessitant une certaine autorité et congrégationalisme ? Je le crois et en suis même persuadé. Abordons quelques arguments :
1) La double source d'autorité dans l'Eglise du Nouveau Testament.
Le Nouveau Testament ne nous donne pas un enseignement tout fait sur l'autorité dans l'Eglise. Je ferai une double constatation :
-D'une part, le dynamisme et la spécificité des ministères y est bien explicite dans les Actes des Apôtres et les épîtres.
-D'autre part, le sacerdoce de tous les croyants y sont tout aussi explicites : pas seulement dans 1 P 2.9, mais aussi dans les Actes : Apollos (Ac 18.24), Aquilas et Priscille (Ac 18.26). Leur place est bien reconnue.
-A partir de là, ne peut-on pas dire que l'Eglise se doit de développer une forme d'autorité en son sein qui tienne compte de cette double réalité ? Si les ministères ont un contour défini en Ephésiens, c'est du corps lui-même de l'Eglise que ces ministères vont émerger. C'est au sein de l'Eglise que Dieu parlera pour affirmer cette reconnaissance. C'est à ce point (souvenons-nous de la difficulté qu'ont eue les Assemblées de Dieu au moment de la reconnaissance des ministères dans leur histoire) que l'Eglise jouera pleinement son rôle dans son autorité de reconnaissance. En parlant de ministère, surtout ne nous limitons pas à celui de pasteur : ce serait par trop étriqué et ne correspond pas à la vision biblique du ministère en équipe. Se limiter au ministère pastoral, c'est à coup sûr perpétuer la tension entre deux pôles où l'on voit un conseil jouer un rôle d'arbitre des tensions ou des influences et un clerc administrant le troupeau. N'a-t-on pas fait une confusion dans nos milieux en octroyant au pasteur une place trop grande ? (Il n'y a à proprement parler qu'un pasteur, c'est Jésus).
- Il y a divers dons et ministères (1 Co 12.4). En fait , l'Eglise est un défi charismatique constant au profit du fonctionnement du corps. Cela a trait à sa nature propre. Parler d'autorité dans l'Eglise devrait revenir à parler d'une équipe et non essayer de situer l'homme par rapport à l'équipe et l'équipe par rapport à l'homme !
Ceci m'amène à considérer deux aspects de l'exercice de l'autorité dans nos Eglises : la vie spirituelle et notre congrégationalisme d'une part, les divers lieux d'autorité dans l'Eglise, d'autre part.
2) Congrégationalisme et spiritualité
Un incident fâcheux avait marqué l'Eglise de Roubaix dans le passé avant ma venue : on avait soumis au vote de l'Assemblée Générale la possibilité de prier librement au culte. Cela a abouti à un déchirement dramatique de l'Eglise ! D'où la question : " dans quelle mesure la vie spirituelle de l'Eglise doit-elle être soumise à l'autorité de l'Assemblée, et comment ? " Ou présentée différemment : " dans quelles limites une autorité peut-elle gérer la spiritualité des membres de l'Eglise ? " C'est une question brûlante quand toute spiritualité nouvelle fait sa première incursion dans l'Eglise. Nul doute que cela amène des perturbations. Comment gérer cela ?
Reprenons la pratique biblique de l'autorité pour nous en inspirer. J'y verrai quatre défis :
a) Tout d'abord, dans sa méthode d'approche de la vie spirituelle, Jésus n'est pas venu imposer sa propre spiritualité. L'exercice de son autorité ne s'est pas fait au niveau de la forme de piété des Juifs. Il en visait davantage le fond, c'est-à-dire la mentalité. C'était la nature prophétique de son enseignement. L'autorité ne s'impose pas ici. Seule la vie peut se proposer . C'est ce qu'il fit ; il a vécu ouvertement sa piété personnelle. Le responsable ne doit pas projeter ses souhaits ou ses rêves, il doit avant tout vivre authentiquement sa foi. L'Eglise suit un exemple vécu et pas seulement un enseignement. C'est le défi de l'authenticité.
On pourrait éviter bien des erreurs en ayant cette attitude.
b) Quant à la pratique de la prière, Jésus a recherché le consensus avec un dénominateur commun plus restreint pour bien s'assurer de l'unité spirituelle avec ses équipiers, ce qui en a donné toute l'efficacité : 2, 3 ,12 personnes. C'est ici un défi relationnel pour le responsable. Là ou il y a relation, il y a plus de facilité à exercer l'autorité. C'est le premier défi dans le ministère : être apte à constituer son équipe et non imposer sa vision. Il se peut que celle-ci soit considérée comme un groupe exclusif. Cependant, il s'agit de proposer cela à chacun sans restriction. Au pasteur de gérer cette situation.
c) Certains remarqueront avec justesse qu' il y a des formes de piété très différentes les unes des autres. C'est ici qu'intervient la vision de Dieu pour son Eglise : pourquoi ne pas subdiviser l'Eglise en groupes de maison, ayant chacun son expression ? Danger de division diront certains ; non, c'est le troisième défi du ministère : l'autorité partagée. Le pasteur est appelé à déléguer son autorité. C'est là que vont se dénouer beaucoup de problèmes d'incompréhension. Il y a une richesse dans cette proximité.
L'avantage d'une telle stratégie est de laisser se développer la vie spirituelle en groupes de proximité, là où les gens vivent. Les dons spirituels y trouvent une meilleure insertion.
d) Communiquer aux groupes le désir d'évangéliser va engendrer chez eux la découverte d'une nouvelle forme d'autorité : l'autorité du chrétien dans l'exercice de ses dons : c'est le quatrième défi. La vie spirituelle doit prouver ses fruits pour s'insérer dans la vie de l'Eglise. La crédibilité d'une action se vérifie aux fruits, pas seulement aux discours.
" Le Saint-Esprit ne nous est pas donné pour le réveil de l'Eglise, c'est une puissance pour être des témoins ". Par ce biais-là, la spiritualité trouvera sa place et se vérifiera sur le terrain. Elle sera un facteur de croissance, et non une forme de pression pour influencer l'Eglise.
Une remarque importante :
La vie spirituelle de l'Eglise ne peut en aucun cas faire l'objet d'un débat en assemblée générale. Il faut trouver des lieux de partage au sein de l'Eglise pour mieux en comprendre la nature et les formes. Quand il s'agit de débat de fond, n'y a-t-il pas lieu de rassembler le conseil ou un cercle de responsables pour mieux cerner la question, puis de répercuter la réflexion à tous pour que cela soit étudié en petits groupes ?
3) Où sont les lieux d'autorité dans une Eglise ?
Partant du vécu de nos Eglises, j'aimerais aborder la nécessité du déploiement des lieux d'autorité dans l'Eglise.
a) Le diaconat
Quand je suis devenu jeune pasteur, j'ai constaté que l'Eglise était administrée par un conseil appelé " conseil de diacres ". Je trouvais l'appellation très étrange et peu biblique. On m'a demandé ce que j'entendais alors par diacres. Je le leur ai expliqué assez simplement. Un jour, je les ai accueillis pour la réunion du Conseil en habits de travail, près de la bétonneuse. Ils ont compris. Cela a permis d'aborder les ministères avec plus de clarté. Ministère veut dire service et non palabres ! Le fonctionnement d'un service nous fait découvrir les enjeux de l'Eglise. L'Eglise primitive n'a-t-elle pas commencé ainsi selon Actes 6 ? Il s'agissait de répondre à un besoin urgent. Le corps a d'abord fonctionné avant de s'organiser : la vie précède la structure, et la structure est au service de la vie.
Ainsi, le service suscitera une reconnaissance.
b) Les anciens
Beaucoup de nos Eglises n'ont qu'un ancien pour les conduire : le pasteur est cet ancien qui exerce le ministère pastoral sur elle. Qu'en est-il dans la Bible ?
Paul et Barnabas ont établi des anciens (au pluriel) dans chaque ville (Ac 14.23). Il y a un débat au sujet de l'interprétation du terme grec " ceirontonew " : les exégètes protestants privilégieront la signification de vote à main levée, les catholiques y voient l'établissement d'une personne par imposition des mains. Avouons que les charismatiques sont bien heureux de se contenter des traductions actuelles qui reprennent toutes le terme de nomination ! Serait-il plus proches des catholiques ? ! ! En tout cas, ça les arrange bien !
Cependant, la signification de " ceirontonew " désignant un vote se retrouve déjà au 5ème siècle avant Jésus-Christ en relation avec la forme de l'époque à savoir avec des objets tels que des pierres, des grains de haricots ou des rondelles de métal. Préciser ce détail est d'une grande importance : la nomination ne vient pas seulement des apôtres - bien qu'il soit reconnu que le Saint-Esprit donne son approbation. Il y a quelque part la reconnaissance de l'Eglise, selon le terme utilisé.
Par ailleurs, Paul, dans ses épîtres pastorales, s'attache à bien délimiter les qualités de l'ancien. Il demande à Tite (1.5) d'établir des anciens pour maintenir l'ordre dans les Eglises. Il est clair que le terme grec employé est " kathistemi " qui signifie bien : " établir ". La prérogative revenait à Tite. Il y a donc un aspect directif dans sa mission.
Peut-on combiner ces deux aspects de la nomination d'un ancien ? L'initiative du choix se situerait au niveau des apôtres ou des ministères en place, et la proposition serait soumise à l'approbation de l'Eglise ? Actes 13 nous montre à quel point le conseil des ministères est important dans les décisions. L'initiative revient aux ministères ; cependant, l'ancien doit être éprouvé avant cette nomination. Aussi, l'approbation de l'Eglise me paraît indispensable. S'il est exigé de l'ancien de recevoir un bon témoignage de ceux du dehors ( 1Tm 3.7), à plus forte raison de ceux de l'Eglise !
Le fait d'avoir une équipe d'anciens qui gèrent la marche spirituelle de l'Eglise évite la concentration du pouvoir sur une personne, ce qui est une richesse pour le corps. La Bible n'établit pas de lien explicite entre les 5 ministères d'Ephésiens 4 et les anciens chargés de la marche de l'Eglise. Chacun s'accorde pour dire que l'Eglise du 1er siècle est encore en recherche en ce qui concerne son fonctionnement.
Le modèle de l'équipe sera reproduit par Pierre et Jean, puis par Paul et Barnabas et d'autres&
b) Le Conseil de l'Eglise est responsable de la marche générale. Beaucoup d'Eglises de type pentecôtiste accorderont à ce conseil un rôle de simple gestion administrative pour satisfaire à la loi. Nos Eglises baptistes, par conviction, y voient par contre un lieu d'autorité évident et considèrent cela comme essentiel. Qu'en est-il des Eglises charismatiques de notre fédération ? Ont-elles cette pratique après avoir entendu ce que nous venons de dire ? Ici, nous sommes dans le flou, à mon avis. D'une manière générale, il y a la recherche du consensus dans un groupe de responsables. Je dirai que, d'une manière générale, la voix du responsable a plus de poids ! Cela entraîne une efficacité certaine, mais nécessite parfois des " correctifs de trajectoire " quand l'autorité du ministère pèse trop lourdement et déforme la marche harmonieuse de l'Eglise.
c) L'Eglise.
Le texte qui nous autoriserait à considérer l'Eglise comme un lieu d'autorité est 1 Pierre 2.9. Au-delà des exigences de la loi, la communauté, si elle est un lieu de croissance spirituelle, doit être associée aux décisions concernant la marche de l'Eglise. La Bible n'est pas explicite à ce sujet . Même le synode de Jérusalem (Ac 15) n'était formé que d'anciens et apôtres. Cependant , la nature même de l'Eglise, en tant que corps, fait d'elle un organisme vivant, interdépendant. La nature de l'autorité de l'Eglise est différente de celle des ministères. Il ne s'agit pas d'y voir une autorité de direction, mais bien plus un lieu de participation aux décisions importantes à prendre. L'autorité de l'Assemblée ne doit donc pas être mise sur le même plan que celle des ministères.
J'ai ici un regret à formuler : trop souvent, on fait des décisions de l'Eglise des actes démocratiques ; ceci revient à déformer la nature même de l'Eglise. Il y a toute une Suvre de l'Esprit de Dieu dans l'Eglise qui va favoriser nos décisions. Pour cela, il sera nécessaire de prier, d'échanger et de réfléchir et non de poser des actes spontanés trop hasardeux. Nos assemblées d'Eglise sont-elles préparées spirituellement ? Autre question : est-il juste de soumettre certaines questions délicates à l'Eglise ( par exemple des problèmes de discipline concernant des situations de caractère éthique de certaines personnes) ? Je crois que les ministères ont une délégation d'autorité pour régler certains problèmes. Ils doivent en rendre compte devant l'Eglise. Ils en ont le devoir. L'Assemblée doit être mise au courant de la marche spirituelle de l'Eglise et des grands thèmes qu'aborde le Conseil. Il ne s'agit pas de convoquer des Assemblées Générales à tous moments ! Il doit y avoir des lieux de partage ouverts pour que chacun participe à la vie de l'Eglise.
Nous en venons à la nécessité d'un Conseil d'Eglise pour régler un nombre important de questions afin d'éviter une certaine lourdeur dans la marche de l'Eglise. L'efficacité d'un corps se mesure à l'harmonie entre ses membres. Cette harmonie nécessite un cerveau (les anciens), mais aussi des organes vitaux (le conseil). Puis-je ici avancer une proposition ? Le conseil élu par l'Eglise a tout intérêt à être entouré par moments d'autres personnes compétentes. Peut-on ainsi imaginer une forme de conseil élargi pour débattre de questions importantes ?
d) Un mot sur la place des dons spirituels dans l'exercice de l'autorité.
Les dons spirituels peuvent avoir une place en certaines circonstances. Ce ne sont pas eux qui exercent l'autorité. Ils peuvent l'appuyer et jouer le rôle dans la conduite de l'Esprit. Il y a de nombreux exemples dans le choix des immeubles et leur achat, la conduite d'un culte, l'ouverture de nouvelles Suvres&
e) L'autorité de la Bible reste un point essentiel comme référence objective. Plus qu'en d'autres milieux, cette référence est fondamentale à cause du caractère subjectif des expériences et de la place par trop proéminente qui peut leur être faite. Il y a là une vérité élémentaire qu'il est bon de rappeler.
f) Autorité extérieure.
Il faut la voir à plusieurs niveaux :
-Au niveau des ministères : ceux-ci doivent être en communion avec d'autres dans la région et la Fédération. Le mot " accountability " n'est pas dans notre langue : il signifie " rendre compte ". Le responsable de l'Eglise doit avoir un vis-à-vis auquel il rend compte.
-Le contact fraternel et les conseils d'une autorité apostolique extérieure sont bienfaisants (exemple dans notre cas : invitation d'une équipe apostolique en complément des visiteurs fédératifs). Il est nécessaire de reconnaître l'autorité complémentaire de chacun. L'efficacité sera d'autant plus forte qu'il y aura partage entre les uns et les autres. Paul visita les Eglises qu'il avait fondées pour les édifier. Nous ne trouvons pas dans cette activité l'expression d'une autorité épiscopale, mais davantage l'expression d'un souci pastoral. Mais où situer la limite entre les deux ?
- C'est ici l'enjeu principal du suivi des Eglises. Je ne pense pas que les Eglises charismatiques soient réellement conscientes du problème tant elles dépendent de leur leader ou fondateur. Je proposerai la réflexion suivante : l'apôtre Paul s'est trouvé confronté à ce problème : dans sa relation avec l'Eglise de Corinthe, il n'a pas pu s'en dépêtrer facilement. Ayant un rapport direct avec cette Eglise, il s'est trouvé face à un phénomène de polarisation entre influences de ministère dans lequel il était aussi mêlé ! C'est logique. Il n'avait pas le choix à l'époque. Que faire ? Ce qu'il fit avec Timothée ou Tite : il y eu une autorité tampon qui reçut la délégation.
IV. Dans quel esprit l'autorité doit-elle être exercée ?
1) Pour bien exercer l'autorité, il faut en connaître les limites.
En 2 Corinthiens 5.11 nous lisons ceci " connaissant donc la crainte du Seigneur, nous cherchons à convaincre les hommes ". Paul exerça plutôt une autorité de persuasion, sans chercher à imposer. Ainsi en 2 Corinthiens 10.1 : " Moi, Paul, je vous prie, par la douceur et la bonté de Christ& ". De même, Paul respecte la conscience des autres (Rm 14.1-6). C'est le Saint-Esprit qui convainc.
2) Faire la distinction entre simple obéissance et soumission peut nous aider à gérer notre attitude de responsable : si la première notion signifie plutôt une acceptation inconditionnelle d'un ordre, la deuxième implique une volonté personnelle de se soumettre.
3) Dans la pensée biblique le terme obéissance, tant en hébreu qu'en grec, implique le fait d'entendre. Lorsque le peuple de Dieu entend (prête attention à) la Parole de Dieu, cela entraîne pour lui déjà une obéissance volontaire. C'est ici que se situe toute la problématique, surtout dans une Eglise de tendance ou avec une ouverture charismatique : il s'agit avant tout d'avoir dans la structure de conduite de l'Eglise des lieux de reconnaissance et de discernement de la Parole. Celle-ci entraînant une réaction soudaine d'obéissance, on a tout intérêt à être prompt à gérer ce qui est dit pour engendrer la bonne réaction !
C'est là tout l'art de développer l'autorité de Dieu dans l'Eglise, qui ne se confond pas obligatoirement avec celle des hommes ou de la structure.
4) Notre autorité est limitée à la responsabilité qui nous est attribuée. Actes 13 nous montre à quel point le conseil des ministères est important dans les décisions.
Don Loose, très connu pour sa sagesse dans les milieux charismatiques a dit : " il y a trois sources à notre autorité : le Seigneur, les dirigeants de l'Eglise et le peuple que nous servons. " Notre autorité est une autorité de service et non d'asservissement. Elle s'exerce pour le bien de l'Eglise.
En conclusion
Nous avons tous le souci que ce soit Christ le chef de l'Eglise. L'épître aux Ephésiens nous décrit l'Eglise comme son corps. Dans la mesure où chacun est en communion avec la tête, il participera à la marche générale sous l'inspiration de l'Esprit de Dieu. Il va sans dire que plusieurs au milieu de nous ont reçu une certaine sagesse et une plus grande dose de foi. Ceux-là apporteront leur contribution de manière plus évidente par leurs dons reconnus de tous. A nous de les encourager pour que l'Eglise voie se manifester au milieu d'elle ceux qui sauront lui prodiguer les meilleurs conseils, et ceci même s'ils n'ont pas une place reconnue : " c'est là toute la richesse de l'Eglise ". C'est en même temps un défi pour les ministères qui la dirigent de constamment discerner ses forces vives.