Dans cette partie de sa lettre aux Éphésiens, Paul ne s’adresse pas spécialement à des étudiants en théologie. Pourtant, il me semble que nous pouvons légitimement entendre cette exhortation, qui concerne tous les chrétiens, dans notre propre situation en cette période de rentrée universitaire. Je vous propose d’écouter ces paroles en nous situant clairement comme étudiants ou enseignants.
« Je vous exhorte à vous comporter d’une manière digne de l’appel que vous avez reçu, en toute humilité et douceur, avec patience ». Ce qui est premier, c’est l’appel de Dieu. Si nous sommes ici, les uns et les autres, c’est que nous croyons avoir été appelés par le Seigneur. Certains appels montrent tout de suite le but. Nous avons été appelés à un ministère assez précis et nous nous formons en vue de nous préparer. Mais d’autres appels n’éclairent la route que sur une courte distance. Peut-être savons-nous que nous sommes appelés à nous former sans encore distinguer la suite du chemin. Dieu nous le montrera plus tard. Mais quoi qu’il en soit, Paul nous exhorte à nous comporter d’une manière digne de cet appel. Ce qui est ici en cause, ce n’est pas seulement la manière dont nous allons travailler correctement, la manière dont nous allons étudier. C’est notre vie entière. La formation qui doit être la nôtre concerne l’existence entière. Notre apprentissage à la faculté ne sera pas que théologique. Il sera également spirituel, humain, relationnel. Il prend en compte l’ensemble de ce que nous sommes. Et cette manière de se comporter, digne de l’appel reçu, nous parle de l’humilité, de la douceur et de la patience.
Ces trois vertus sont particulièrement importantes pour les études en théologie comme pour tout apprentissage.
En commençant une nouvelle année à la faculté, vous entrez dans une communauté. Complètement nouvelle pour certains, partiellement nouvelle pour tous puisque, depuis l’an dernier, certains sont partis et d’autres sont arrivés. Le premier apprentissage sera celui d’une vie communautaire. Elle sera plus ou moins dense, à la mesure de votre investissement. L’humilité, la douceur, la patience auront ici la même importance que dans toutes les relations humaines et fraternelles. Cherchez à mettre ces vertus en œuvre et vous participerez à une communauté harmonieuse.
Négligez-les et les tensions ne manqueront pas de survenir comme partout, ni plus ni moins. Pour ceux qui sont internes, ce sera peut-être la première expérience d’une vie fraternelle aussi proche et aussi longue. Les camps de jeunes ou de GBU ne durent que quelques jours. Il vous faudra tenir plus longtemps. Cette expérience aura aussi sa place dans votre formation au ministère qui pourra être le vôtre et plus largement à la vie chrétienne. Être humble, doux et patient simplifie tellement les relations et cela nous est si peu naturel. C’est bien pour cela que Paul en souligne l’importance.
Mais on peut également reprendre ces trois mots en ce qui concerne l’apprentissage plus spécifique de la théologie.
L’humilité d’abord. Je crois qu’elle est essentielle pour quiconque veut apprendre. Il s’agit d’abord de l’humilité de celui qui sait qu’il aborde une vaste entreprise. La révélation de Dieu est insondable et nous resterons toujours des apprentis. Mais il peut y avoir autre chose. Nous arrivons en effet tous avec nos convictions, et généralement persuadés qu’elles sont les bonnes, voire les seules possibles. Une partie de notre découverte sera la prise de conscience qu’on peut penser autrement. Nous allons trouver des personnes, parmi les enseignants comme parmi les autres étudiants, qui auront sur des points non négligeables à nos yeux des convictions différentes des nôtres. Nous nous apercevrons d’ailleurs que les professeurs cherchent tous de la même manière à être fidèles à l’Écriture, mais ne l’interprètent pas en tout point de la même manière... Et il en ira de même pour d’autres étudiants qui viennent d’autres Églises. L’humilité sera aussi de nous dire que l’Écriture seule est la vérité et que toutes nos interprétations sont des tentatives - faillibles à l’occasion - de la comprendre. Je ne suis pas le seul à lire la Bible et à l’interpréter. D’autres personnes qui sont à la fois pieuses, fidèles et compétentes le font aussi et encore bien plus nombreux sont tous ceux qui l’ont fait avant nous depuis 2000 ans. Il nous faudra donc essayer d’entrer dans ce que comprennent d’autres que nous. Ne pas nous contenter du rejet immédiat qui est le meilleur moyen de ne jamais rien comprendre à la théologie. L’humilité sera aussi de commencer par supposer l’autre supérieur à nous-mêmes. Il n’y a, dans cette démarche d’humilité, aucune relativisation de la vérité, simplement une relativisation réaliste de notre propre compréhension ou de celle que nous avons toujours entendue.
La douceur ensuite. Elle a sa place dans notre comportement à l’égard des autres dans cette découverte des autres positions. Je dirais même à l’égard des auteurs dont nous allons lire les œuvres et avec lesquels nous ne sommes pas toujours d’accord. Ils ont toujours droit au bénéfice du doute qui ouvre la possibilité d’une lecture positive, ouverte à la compréhension de ce qu’ils souhaitent transmettre. Peut-être finirons-nous par adopter une position symétriquement inverse à la leur, mais je ne comprendrai la leur que si je l’aborde avec douceur. C’est un peu une manière de faire aux autres ce que nos souhaiterions qu’ils nous fassent. Aimeriez-vous que vos convictions, que vos arguments soient balayés sans même être sérieusement examinés ? Je suis sûr que non. Ou alors nous sommes très différents. La douceur, c’est l’instrument indispensable pour aborder toutes les choses complexes. De même que le chirurgien qui opère ou l’archéologue qui fait des fouilles ne peuvent pas ne pas être doux dans la pratique de leur art, de même le maniement des idées suppose l’attention, la précision et le souci de ne rien déranger. Encore une fois, il arrivera un temps où vous devrez choisir, affirmer vos convictions, mais le faire trop vite risque de vous empêcher de le faire à bon escient.
C’est pourquoi la patience est une vertu si nécessaire. Penser trop vite, c’est un peu comme parler trop vite. On risque de dire bien des bêtises. La patience en théologie, c’est l’acceptation du temps qu’il faut pour se faire une conviction, du temps indispensable pour que l’enjeu de la question et les arguments en présence nous apparaissent clairement. Le but des études, c’est de vous donner les instruments nécessaires pour travailler une question. Voilà pourquoi vous vous réjouissez en ce moment de découvrir ou de reprendre les langues bibliques. Mais l’étude des grands théologiens qui vous ont précédés, des positions diverses qui s’affrontent, de l’histoire de l’Église et de ses pratiques, tout cela sert le même but : vous rendre capables de juger en connaissance de cause.
Et si vous arrivez à la fin de vos études, ne croyez pas pouvoir vous passer de l’humilité dont nous parlions. Vous êtes juste sur le point d’apprendre à travailler tout seul. Mais, plus vous avancerez, plus vous comprendrez sur certains points la complexité des choses et la nécessité de continuer à étudier. Il y a certainement parmi vous des dons différents. Certains pourront être pasteurs, d’autres évangélistes, d’autres enseignants et bien d’autres ministères encore. Mais tous, sans exception, nous sommes appelés à continuer à nous former jusqu’à la fin. Si vous venez à Vaux simplement pour emmagasiner des connaissances que vous ressortirez à l’occasion avec la certitude de celui qui sait, méfiez-vous. Vous seriez bien capables de réussir à le faire. Mais vous devrez vous souvenir que vous serez passés à côté du but des études. Elles n’ont pas leur fin en elles-mêmes. Elles veulent simplement vous permettre de continuer à travailler la Parole de Dieu toute votre vie. Vous serez simplement, après la fac, dispensés des sessions intensives de langues. Je suis sûr que cette espérance peut être une consolation pour certains.
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