Aumônerie en Psychiatrie

Extrait Psychologie et vie chrétienne

Ce texte du Docteur Andrea Paye pourra apporter un éclairage bienvenu à la question qui nous occupe. Il nous permettra de nous repérer et de donner d’utiles définitions à des termes souvent employés. Nous remercions la revue Ouvertures dans laquelle il a d’abord été publié.

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Aumônerie en Psychiatrie

La psychiatrie n'est pas statique, elle est dynamique. Depuis le XIXème siècle, la psychiatrie a beaucoup évolué. En effet. on comprend mieux le substrat biochimique des pathologies, et les progrès thérapeutiques sont considérables. Toutes les pathologies sont décrites dans le DM IV, ouvrage international de référence psychiatrique.

Mais où est la frontière entre le normal et le pathologique ? Il n'y a pas de réponse claire et nette, mais on peut parler de pathologie devant une souffrance importante chez le patient ou son entourage, et lorsque les conséquences dans les domaines familial, conjugal, social, professionnel, scolaire sont importantes ou graves.

Je m'attarderai maintenant sur quatre pathologies. La démence, la schizophrénie (et les délires dont les délires mystiques), les troubles de l'humeur (en particulier l'épisode dépressif majeur) et le deuil.

LA DÉMENCE

La démence est l'apparition de troubles cognitifs progressifs, mnésiques, phasiques (de langage, de communication), praxiques (d'accomplissement des gestes courants de la vie quotidienne), gnosiques (d'orientation temporo-spatiale, de perception de soi et des autres). La démence d'Alzheimer est la plus fréquente des démences.

Ces personnes se souviennent de ce qui s'est passé il y a 50 ans comme si c'était hier mais quand on leur demande ce qu'elles ont fait le jour d'avant, elles ne savent pas répondre. Elles vont par contre essayer de donner le change. Elles vont « faire » celles qui se souviennent, et inventer des souvenirs. La mémoire, c'est comme des sillons dans la terre. Plus les sillons sont anciens, plus ils sont profonds. Les sillons du jour d'avant ne sont que très légers et s'effacent tout de suite.

Les personnes démentes gardent les repères moraux qu'elles ont toujours eus, sauf dans la démence frontale où des personnes qui ont toujours été respectueuses des choses de Dieu peuvent se mettre à blasphémer par exemple. Le lobe frontal est le lobe des comportements, tics attitudes que nous avons envers le monde extérieur et les autres et quelqu'un qui a loué Dieu toute sa vie, peut se retrouver un jour à dire ou faire des choses dont il serait malade de culpabilité s'il en était pleinement conscient.

Les personnes en début de maladie en souffrent quand elles sont suffisamment conscientes de leur déclin et de leur dépendance progressive. Au stade final, elles vous regardent en souriant béatement. Cela me fait penser à ce que dit l'Écclésiaste « Souviens-toi de ton créateur au temps de ta jeunesse... ».

Ces personnes ont besoin d'un regard qui leur reconnaît leur dignité, sans les infantiliser, avec qui on doit être patient et qu'on doit aider à admettre leurs difficultés comme non dégradantes sous peine d'arriver à des tableaux graves où elles ne se lavent plus, ne se nourrissent plus, ne s'assument plus... tout simplement parce qu'elles nient avoir un problème et refusent d'être aidées.

C'est vrai, nous sommes des témoins, mais j'aime encore plus l'appellation d'ambassadeur qui, en plus d'être un témoin, apporte des nouvelles « d' ailleurs » et « des autres ». Dans la maladie d'Alzheimer et toutes les autres d'ailleurs, la façon dont j'aborde le malade et le regard que je porte sur lui, font partie de cette attitude d'ambassadeur de la société, de l'Église de Dieu. Le message n'a de poids que par le biais de l'attitude.

Ce qui est d'ailleurs difficile dans l'accompagnement en général, c'est de supporter sa propre impuissance à aider, à apporter une parole satisfaisante... avoir l'impression parfois d'avancer dans le noir sans savoir où on marche, si ça porte du fruit ou non. Cela produit toujours des fruits de passer un moment auprès de quelqu'un, même si les paroles n'ont pas l'air d'être entendues, voire dans le silence. Même si on ne peut rien dire à cette personne malade, on peut lui montrer, au travers de visites régulières, qu'elle n'est pas hors circuit, abandonnée par la société, rejetée des autres. Le seul moyen de rendre à ces personnes leur dignité et une place dans la société, c'est tout simplement le fait même de les visiter régulièrement.

Maintenant, l'oubli au fur et à mesure ne veut pas dire que la personne ne comprend pas l'information au moment où elle la reçoit, ni ne peut faire de démarche intérieure à cet instant-là. Elle peut tout à fait recevoir une parole et l'accueillir dans son cœur même si, dans l'avenir, elle ne s’en rappelle plus. Un acte est posé en un instant de temps, mais si l'homme ne s'en rappelle pas, Dieu s'en rappelle, et les conséquences de cet acte prennent une valeur d'éternité devant Sa Face.

Un moment de souffrance, de deuil, pour la famille, c'est quand la personne que vous aimez et à laquelle vous êtes attaché ne vous reconnaît plus. C'est comme si cette personne vous quittait.

Il y a aussi la culpabilité des personnes qui ont dû placer un membre de leur famille dans une maison de repos, avec le sentiment de l'avoir abandonné. N'est-il pas écrit, en plus, que celui qui ne s'occupe pas de sa famille est pire qu'un païen ? Ceci pose bien des interrogations dans l'Église de prendre ou non chez soi un parent malade ou amoindri.

J'aime beaucoup cet exemple du Samaritain qui a été cité en exemple par Jésus comme celui qui a fait ce qu'il fallait pour une personne en besoin de soins. Jésus met en avant la responsabilité que le malade soit pris en charge à la mesure de ses besoins, en l'occurrence le confier à une institution compétente pour les soins qu'il nécessite ; après cela, il ne nous reste plus qu'à lui rendre visite régulièrement. En effet, on est remplaçable quant aux soins à prodiguer, mais irremplaçable quant aux visites.

LA SCHIZOPHRÉNIE

La définition de la schizophrénie dans le DSM IV : « deux ou plusieurs de certains symptômes » dont les symptômes positifs, idées délirantes et hallucinations (visuelles, auditives, somatiques), discours désorganisés (passer du coq à l'âne, incohérence), comportements désorganisés et comportements catatoniques (mutisme et mouvements figés), mais aussi des symptômes qui sont plus négatifs, la perte de la volonté, des affects.

Ces personnes donnent l'impression de déambuler dans un autre monde. Elles ne savent plus prendre d'initiative, de décision... Il leur est difficile de faire des choix personnels. Il y a donc une perte de liberté de vie. Les personnes qui sont atteintes de schizophrénie peuvent aussi se voir atteintes de troubles de l'humeur (dépression, manie).

Il y a plusieurs types de schizophrénie qui se différencient par le type de délire, le type d'hallucinations. Définition du délire dans le DSM IV : « erreur d'appréciation de la réalité qui survient comme une conviction même si elle est en contradiction avec la réalité, les opinions et les croyances collectives ». Cela ressemble furieusement à la conviction de la foi : « c'est la ferme assurance des choses que l'on espère et la démonstration de celles qu'on ne voit pas ».

Quelques exemples de délire :

Il y a par exemple l'intuition délirante. C'est la conviction immédiate que quelque chose que l'on pense est vrai. On y adhère avec une conviction inébranlable. Dans la foi, on est censé avoir ce type de conviction. Il est donc difficile, même pour le schizophrène lui-même (et cela peut lui causer beaucoup de souffrance d'ailleurs), de savoir si la conviction émise par lui-même est de l'ordre de l'intuition délirante ou de la production de la foi elle-même. Rappelons cependant que la volonté de la personne est centrale dans l'acte de foi, et non dans le délire qui, lui, est subi par la personne.

Il y a les idées délirantes de préjudice, de jalousie, et la culpabilité délirante qu'on peut voir chez le schizophrène mais aussi dans certaines dépressions, et qui est la conviction inébranlable et démesurée que l'on est coupable de quelque chose. Il faut savoir faire la différence entre convictions de culpabilité spirituelle ou psychologique. Dans la culpabilité délirante, la personne exprime ses sentiments de culpabilité, vous l'écoutez, vous lui dites des paroles qui peuvent l'aider à se décharger, puis vous constatez qu'elle vous écoute et qu'ensuite elle vous répète exactement la même chose comme si vous n'aviez rien dit. La personne est souvent inaccessible, envahie qu'elle est par son délire.

Il y a aussi les idées délirantes hypocondriaques et de type devinement de la pensée, vol de la pensée, influence de la pensée...

On remarque que, dans tous ces cas de figure, la personne n'est pas libre face à son délire. Sa volonté est court-circuitée. Certains schizophrènes sont conscients de leur maladie. Ils reconnaissent leurs productions comme étant des délires et/ou des hallucinations. D'autres n'en sont pas conscients et le rapport avec eux sera différent. Ce ne sont pas des manipulateurs mais nous pouvons être leurrés quand ils expriment des convictions de foi, de culpabilité...

Être un témoin et surtout un ambassadeur va rendre sa valeur à la personne. Visiter régulièrement le schizophrène va restaurer sa dignité malgré toute sa perte d'autonomie. Mais suis-je capable d'être simplement à l'écoute ? Ai-je des projets pour la personne que je visite (projets de foi et/ou d'avenir...) car, bien souvent, cela parasite la relation et la mène à l'échec.

À la question de savoir s'il y a des problèmes spirituels ou des problèmes psychologiques ou les deux, et quelle est la part des choses, je trouve une réponse dans la parabole du blé et de l'ivraie qui me dit que je ne suis pas compétente pour discerner s'il s'agit de blé ou d'ivraie, si un délire est de nature psychotique ou spirituelle, si une déclaration procède de la foi ou non, les définitions de la foi et du délire étant superposables. Cependant, je sais que dans la foi, il y a la volonté de croire, et dans le délire, il n'y a pas la volonté de délirer.

Par ailleurs, des malades veulent savoir si c'est le délire ou la foi qui leur donne envie de prier. Les schizophrènes qui sont conscients de leur délire souffrent bien souvent de ne pas savoir si leur foi est spirituelle ou psychiatrique. Une réponse pour ces schizophrènes est en fait une question : « est-ce que c'est ce que j'ai : l'envie, le désir, de croire ou est-ce imposé de l'intérieur ? » Je peux aider une personne à mieux se comprendre elle-même et l'accompagner sur le chemin de ses désirs, de sa volonté propre, enfouis dans son coeur, mais Dieu reste celui qui, seul, sonde les coeurs et moissonnera en temps voulu sans se tromper. Ma responsabilité est d'avoir un regard bienveillant, attentif.

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Informations complémentaires

Médecin Généraliste. Médecin Inspecteur et Expert en Psychopathologie au Service Public Fédéral, Service de l'Intégration Sociale des Personnes Handicapées. Liège (Belgique).

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