LA CRITIQUE DE JOËL RICHERD
D'abord, bravo d'oser relancer le débat (qui de fait ne s'est jamais tari). Et bravo de le faire de manière brillante et sympathique. De mon humble point de vue, c'est ce que j'ai lu de mieux depuis longtemps comme écrit "charismatique" sur la question.
Ensuite, un immense oui pour l'écoute mutuelle (j'essaie de pratiquer cette écoute à l'intérieur de moi-même aussi car je suis un ancien pentecôtiste qui a pas mal bourlingué dans des milieux charismatiques divers). A propos, et toi ? Quel rôle joue ton expérience dans ta théologie ?
Sur la question du respect, elle mérite d'être précisée ; j'ai du respect pour mes frères d'autres persuasions, mais pour leurs idées, c'est selon. Je veux en tout cas les considérer attentivement (c'est peut-être du respect) et débattre s'il le faut, sans animosité (c'est peut-être aussi du respect). Quant aux attitudes, il y a des attitudes de supériorité ou d'exclusion que je ne souhaite pas vraiment respecter ; j'en dirai un mot à la fin.
Alors, j'ose tenter une réponse ; ça te permettra de dire si tu as l'impression d'avoir été écouté, compris, et de re-débattre à ton tour. J'espère que malgré la polémique, j'arriverai à garder le ton qui convient à un dialogue vraiment fraternel. Je dis j'espère, parce que, dans nos milieux évangéliques qui n'ont guère l'habitude du débat, le simple fait de débattre est souvent vécu de part et d'autre comme désagréable et agressif. On y va !
1) Un premier mot sur les (supposées) faiblesses des deux positions
Tu as l'air de te présenter en arbitre non partisan de deux positions à peu près équivalentes en respectabilité exégétique et théologique (cf. ton introduction). Or, tu es très critique vis-à-vis de "La réponse non-charismatique", alors que tu donnes visiblement ton accord à "La réponse charismatique" qui te semble trancher nettement la question. Même si à la fin, tu parles des faiblesses de ta position (p. 13, col. 2), on ne voit nulle part un endroit où tu les reconnaisse précisément ; on trouve tout juste cette formule générale que "les points forts d'une position sont les points faibles de l'autre", ce qui ne dit pas grand chose, et semble renvoyer dos à dos deux adversaires (fraternels) alors qu'en fait tu donnes assez vigoureusement raison à l'un et tort à l'autre. En plus, tu rajoutes deux raisons finales pour appuyer encore ta position. Tu courrais peut-être moins le risque d'irriter tes frères "non-charismatiques" en reconnaissant franchement d'entrée que, toi pas plus que les autres (et pas plus que moi !!), tu n'es insensible à la tentation de "prouver ce que tu penses déjà", comme tu le reproche à Dunn (p. 10 col. 1).
Et si j'ai bien compris ta conclusion, ce que tu penses... encore (!), après ton étude, c'est que la plénitude du Saint-Esprit est "une expérience consécutive à la conversion", et qui introduit à la vie charismatique.
2) Une première remarque sur ton titre : La plénitude de l'Esprit
Cette expression ne se trouve pas dans l'Écriture ! Eh non ! Il n'y a que des verbes et des adjectifs : Être rempli du Saint-Esprit, plein d'Esprit Saint. Remarque sans importance ? Si, c'est important ! Parce que si l'on dit "plénitude du Saint-Esprit", on fait rapidement comme si c'était un concept bien précis, et une chose, qu'on a ou qu'on n'a pas, qu'il faut chercher à posséder. Or, ce n'est pas un concept, c'est une image, une métaphore (même chose pour "être baptisé dans l'Esprit Saint", ce que tu reconnais p. 12 col. 2). Le Saint-Esprit n'est pas un liquide, c'est la troisième "personne" du Dieu trinitaire. La conséquence, c'est que la signification de l'expression "être rempli du Saint-Esprit" est peut-être aussi diverse que la manière d'agir du Saint-Esprit. Car en plus de la métaphore, il faut souligner, plus encore que tu ne le fais, le langage phénoménologiste de Luc ; il s'intéresse aux manifestations(1). J'en veux pour preuve Actes 8.18 ! Tu ne soulignes d'ailleurs peut-être pas assez le fait que ce passage est une difficulté sérieuse et pour les non-charismatiques, et pour les charismatiques(2). Il ne suffit pas de dire que Paul et Luc utilisent un vocabulaire différent (p. 11, col. 2). Le problème d'Actes 8, c'est que le vocabulaire est le même que celui de Paul. Il me semble qu'on est obligé de conclure que le vocabulaire de Luc est peu théologique. Attention, je ne veux pas dire que ce que dit Luc a moins de poids que ce que dit Paul, mais que son langage est moins "métaphysique" ; c'est peut-être ça d'abord, sa différence avec Paul, Luc a un langage plus "phénoménologique" ; il s'intéresse à ce qui se voit, à ce qui se passe, à ce qui se manifeste (il est médecin, il se dit que ce qui se passe à l'intérieur se voit à l'extérieur, ce qui est vrai). Jusque-là, j'approuve et je renchéris sur ce que tu dis. Mais avant de conclure trop vite qu'il s'intéresse surtout à la 2ème expérience-don prophétique, il faut voir ça de plus près.
[...]
LA RÉPONSE DE RANDY HARRISON
Moi aussi, je voudrais garder un "ton qui convient à un dialogue vraiment fraternel". Je choisis de croire que les remarques telles que "je suis quatre fois plus charismatique que toi" sont écrites, non pour mépriser ma position mais pour me taquiner. Je suis d'accord avec toi que les "attitudes de supériorité ou d'exclusion" ne conviennent pas. J'ai déjà vu de telles attitudes venant des deux côtés du débat.Je vais donc essayer de répondre à quelques unes de tes questions, rectifier quelques incompréhensions de mon article, et re-débattre certaines de tes conclusions. Je ne peux pas en quelques lignes refaire un débat sur tout le sujet.
DEUX QUESTIONS PRÉLIMINAIRES
1) "Quel rôle joue ton expérience dans ta théologie?
"J'ai grandi dans une église baptiste sans trouver le Seigneur. Ma conversion a eu lieu lorsque j'ai été témoin d'une guérison miraculeuse à un week-end de jeunes conduit par un évangéliste pentecôtiste. Le lendemain de ma conversion il nous a parlé du baptême dans le Saint-Esprit, et du signe du parler en langues. J'ai adopté la position pentecôtiste. A travers les années de mon ministère comme missionnaire/pasteur j'ai eu plus d'occasion de travailler avec des "non-charismatiques", qu'avec des "charismatiques". En 25 ans je n'ai travaillé que deux ans dans une église charismatique. C'était parmi les plus difficiles de mon ministère. J'ai vu et je vois encore beaucoup d'abus dans le mouvement charismatique. Dans mon pays natal, j'évite l'étiquette charismatique parce qu'elle y est si étroitement liée à "l'évangile de la prospérité". Mais des abus ne doivent pas embrouiller notre interprétation. J'ai déjà vu beaucoup d'abus dans la prédication, mais je ne cesse pas de prêcher pour autant. À plusieurs reprises, j'ai réexaminé ma doctrine. Bien que je l'ai modifiée, je reste encore persuadé qu'une position charismatique est plus cohérente dans le contexte de Luc-Actes.
2) Suis-je un "arbitre non partisan" ?
Je ne suis pas sûr que cet "animal" existe. Ce n'était pas mon but. Si mon introduction n'était pas assez claire, celle de l'éditeur ne devait pas laisser douter que je cherchais à examiner les points de vue sans masquer mes propres convictions. Je n'avais pas pour but de convaincre beaucoup de personnes de changer d'avis. J'espérais apporter deux éléments positifs au débat en France. Premièrement, je voulais que les partisans des deux côtés reconnaissent la complexité du problème et l'existence des points forts et des point faibles de chaque position. Deuxièmement, je voulais donner un exemple d'une présentation académique de la position charismatique. Je ne suis pas étonné que tu ne sois pas impressionné par des écrits "charismatiques". Les œuvres académiques qui présentent une position charismatique existent en anglais, mais sont très rares en français(3). Le plus souvent une position non-charismatique académique est comparée à une position charismatique populaire.
Tu sembles vouloir dire que je n'ai pas atteint mon premier but. Tu m'accuses de ne pas dire grand chose lorsque je dis que "les points forts d'une position sont les points faibles de l'autre". En voulant économiser de l'espace, j'ai peut-être surestimé la capacité de mes lecteurs à se rappeler les points forts que je venais de décrire. Il me semble évident que si le contexte de Luc-Actes semble montrer à plusieurs occasions que les croyants sont "remplis de l'Esprit" dans une expérience postérieure à leur conversion, c'est à la fois un point fort pour la position charismatique et un point faible pour la position non-charismatique. De même, il me semble aussi évident que la difficulté de réconcilier la théologie de Paul sur le Saint-Esprit avec une "réception de l'Esprit" postérieure à la conversion est à la fois un point fort pour la position non-charismatique et un point faible pour la position charismatique. Le point sur le caractère programmatique d'Actes 2.38-39 est pareil. Dans la suite de mon article, j'essaie de résumer et d'évaluer quelques réponses aux points faibles données par les deux camps. Je ne cache pas que je trouve les réponses non-charismatiques insatisfaisantes et ma réponse charismatique plus cohérente. Ta réaction sert à confirmer mon analyse de la position non-charismatique, puisque tu utilises les mêmes points forts et les mêmes arguments contre les points forts de la position charismatique. Il me semble qu'un interprète honnête doit reconnaître les points faibles de son argumentation et essayer de trouver des solutions. Il doit aussi reconnaître les points forts des avis contraires. Je ne suis pas sûr que tu sois prêt à le faire, lorsque tu dis qu'il ne reste "pas grand-chose" de "la force de la position charismatique". J'ai du mal à comprendre comment tu arrives à cette conclusion. Néanmoins, je vais essayer de commenter certaines de tes remarques, surtout celles qui expriment un désaccord avec mon article.
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