Quelques remarques préliminaires
On entend de plus en plus parler du ministère apostolique sur les différents continents et ceci presque essentiellement dans les milieux charismatiques ou néo-pentecôtistes.
Les siècles précédents connurent des tendances semblables mais plus limitées. Il faut remonter aux années 1930-40 pour voir le développement de la notion de ministère apostolique, ensemble avec les autres ministères d’Éphésiens 4, particulièrement celui de Prophète. Ce qui donna, comme chacun sait, le mouvement des Églises Apostoliques. Plus tard, dans le sillage du réveil charismatique des années 1970, on voit réapparaître en force des ministères prophétiques et ce sont ces derniers qui souvent furent à l’origine de la reconnaissance de ministères apostoliques.
L’appellation «apostolique» sera d’ailleurs d’autant plus librement exprimée que les Églises concernées sont en dehors des dénominations déjà structurées. On observe ce développement essentiellement parmi les Églises nouvellement constituées. L’ordre établi peut être perçu comme un frein à cet élan. Pourtant, on a vu récemment apparaître cette reconnaissance au sein de quelques mouvements néo-pentecôtistes. Cela reste cependant une approche plutôt prudente. Elle est nettement plus téméraire et répandue dans les Églises africaines ou latino-américaines.
Comment allons-nous procéder?
• Il est d’abord utile de bien cerner la signification du terme dans sa langue originale et son utilisation dans la société grecque. • Ensuite, il faudra survoler le Nouveau Testament pour essayer de cerner la pratique de ce ministère et son développement. • À partir de là, nous pourrons voir comment peut se définir, s’exprimer, voir s’insérer ce ministère dans les réalités de nos jours. Y a-t-il une réelle pertinence de cette dimension pour l’Église d’aujourd’hui? Y a-t-il incompatibilité avec le fonctionnement des dénominations ou familles d’Églises? Ou bien faut-il adapter ce ministère et comment? • Les lignes qui suivent ne sont qu’une esquisse de réponse à ces questions.
I.- L’utilisation du mot grec «apostolos»
En grec classique. Ce mot vient du verbe «apostellein» qui signifie «envoyer». Il est utilisé en général dans la marine et plus particulièrement la marine de guerre comme un terme technique pour désigner une flotte «envoyée en expédition». Il est utilisé sous forme d’adjectif. On l’a utilisé aussi pour désigner une équipe d’hommes envoyée dans un but précis, par exemple des colonisateurs. Dans la plupart des cas, il s’agit uniquement d’un acte passif: l’apostolos n’a pas d’initiative. Il est simplement un envoyé. Un envoyé peut être un simple commissionnaire, pur transmetteur, remettant un objet ou un message à un destinataire et à propos duquel il n’a aucune responsabilité, aucun pouvoir. À un degré supérieur, un envoyé peut être un homme de confiance, qui aura un certain rôle: d’explication, voire de propagande (comme un représentant de commerce). Au sommet se trouve l’envoyé autorisé, l’ambassadeur reconnu, le plénipotentiaire, qui a le pouvoir d’agir au nom de l’instance, de la personne ou de l’assemblée qui le délègue.
Dans le judaïsme hellénisant. Le terme est utilisé lorsqu’on désigne quelqu’un pour l’envoyer et délivrer un message. La pratique de l’imposition des mains pour l’établissement des rabbins revêtait ce caractère de l’envoi au temps de la diaspora, une signification qui se rapproche de ce que nous trouvons dans le Nouveau Testament.
II.-Dans le Nouveau Testament.
Le terme envoyé apparaît 79 fois comme nom commun ou adjectif. 28 personnes ont été appelées apôtres: 12 d’entre elles sont bien sûr les apôtres désignés par le Seigneur; les autres jouant par la suite des rôles divers dans l’œuvre. L’apostolos reçoit une délégation, ou se voit confier une mission pour un but précis ou encore se trouve investi d’une réelle autorité pour un ministère spécifique. On retrouve ici la pratique de l’envoi dans le judaïsme de l’époque citée plus haut. Les douze se distinguent par une mission spécifique donnée directement par le Seigneur, ainsi que par l’autorité qui est liée à cet envoi. Cet aspect ne se retrouve pas chez les autres envoyés. Relevons ici en détail ces caractéristiques:
1°) Les douze et Paul
Il est utile de souligner le caractère unique de leur apostolat dans le Nouveau Testament.
1-1 les douze
a) Les douze apôtres sont choisis directement par Jésus Lui-même. Suite au suicide de Judas, Matthias est nommé pour le remplacer.
b) Après la résurrection, il les envoie avec un mandat précis: • Matthieu 28.19: «Allez, faites des nations des disciples…».
c) Ils se distinguent par la révélation qu’ils ont eue du Christ ressuscité: • Jean 20.21: Jésus apparaît aux disciples et dit: «La Paix soit avec vous! Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie». • Actes 1.21: «il faut que, parmi ceux qui nous ont accompagnés tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu avec nous, depuis le baptême de Jean jusqu’au jour où il a été enlevé du milieu de nous, il y en ait un qui nous soit associé comme témoin de sa résurrection».
1-2 Paul
Paul reçoit une vocation spécifique puisqu’il n’a pas connu Jésus comme témoin direct. Mais son ministère est reconnu (2Co 11.5; 1Co 9.1ss; 15.9; Gal 1.18-23) par les autres apôtres. Il fait véritablement partie du corps des apôtres. Paul reconnaît les limites de son ministère (2Co10.15,16). En cela, il est un exemple. • Romains 1.5: « par Lui, nous avons reçu la grâce de l’apostolat, pour amener en son nom à l’obéissance de la foi tous les païens». • 1Corinthiens 9.1: «Ne suis-je pas libre? Ne suis-je pas apôtre? N’ai-je pas vu Jésus notre Seigneur?» • 1Corinthiens 15.7: «…ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres. En dernier lieu, Il est apparu à moi, comme à l’avorton, car je suis le moindre de tous les apôtres; je ne mérite pas d’être appelé apôtre, puisque j’ai persécuté l’Église de Dieu». • Paul affirme son apostolat très clairement en Galates 1.1.
1-3 Les points communs de leur apostolat
a) Ils exercent la charge de l’unité de l’Église (Ac 1-2; 1Co 12; Ép 4)
b) Ils rendent compte de leur mission à l’Église: Actes 14.27. De même en Actes 15.6, la concertation assure la cohésion entre l’Église de Jérusalem et les Églises nouvellement créées par Paul. Les Églises de Jérusalem et d’Antioche sont associées au processus de clarification. Les apôtres ne ramènent pas l’œuvre à leur personne, mais recherchent toujours à rassembler et unir l’Église.
c) Ils ont eu un rôle unique dans l’histoire du Salut. Ils appartiennent plutôt au temps de l’incarnation qu’au temps de l’Église. La façon dont Paul parle de lui-même en 1Corinthiens 15.7 («ektröma» compris comme «né au mauvais moment») montre qu’il se considère rattaché au temps de l’incarnation. Ils sont associés au Christ comme fondement du nouveau peuple de Dieu (Ép 2.20; Ap 21.14). En ce sens, il n’y a pas de continuateurs de cet apostolat. Ils ont reçu leur mandat directement du Christ. C’est pour cette raison que ces apôtres ont une très forte autorité pour établir les fondements de la doctrine chrétienne et ordonner la vie de l’Église.
d) La dimension de l’envoi traduit une certaine mobilité dans l’exercice des ministères au premier siècle, et la dynamique missionnaire des premiers apôtres insufflée par l’Esprit. Ils perçoivent la direction prophétique de Dieu pour ouvrir des champs nouveaux: Actes 8,10 et 13.
e) Les apôtres exerçaient généralement leur ministère en équipe; mais ponctuellement, ils pouvaient l’exercer seul. C’est le cas de Pierre, lorsqu’il prend la décision de baptiser Corneille.
2°) Les «apostoloi», envoyés des Églises
D’autres personnes sont appelées «apostoloi». Cependant, la signification de ce mot peut différer d’un cas à l’autre.
Barnabas: Actes 13: parmi les prophètes et enseignants, il est envoyé avec Paul en mission, mais il précisé plus tard en Actes 14.14 qu’il est apôtre au côté de Paul.
Apollos: 1Corinthiens 4.6-9: «Dieu nous a assigné à nous apôtres la dernière place» v.9. Il inclut Apollos dans cette déclaration.
Andronicus et Junia: Romains 16.7: «ce sont des apôtres remarquables».
Épaphrodite: Philippiens 2.25: cité comme apôtre, mais faut-il le comprendre au sens de délégué pour subvenir aux besoins de Paul? Il semble exercer plutôt un diaconat. Le terme envoyé ou délégué semble plus approprié.
Tite: 2Corinthiens 8.23: apostolos, traduit aussi par «délégué» ou «envoyé». Il est nécessaire de considérer son ministère à la lumière de l’Épître que Paul lui a adressée.
Deux frères accompagnant Tite: même remarque.
Cette utilisation du mot «envoyé» ne nous permet pas d’y voir l’apparition d’une nouvelle génération d’apôtres. Elle traduit cependant le dynamisme missionnaire imprimé par les apôtres. On peut au moins dire que des hommes émergent pour accompagner les apôtres dans leurs déplacements et accomplir des tâches de plus en plus conséquentes: c’est le cas de Tite chargé par Paul de mettre de l’ordre dans les Églises et d’établir des anciens ou évêques dans chaque ville (Tt 1.5-7). Une charge très importante dans la gestion des Églises.
Ces remarques nous permettent au moins de dire que cette deuxième génération d’envoyés peut être comprise comme des missionnaires appelés à travailler sur le champ et étendre l’œuvre.
III- Le ministère apostolique est-il possible aujourd’hui? Une interpellation
Mais quelle forme ces ministères ont-ils prise dans l’histoire et doivent-ils prendre aujourd’hui? En fait, c’est le ministère épiscopal qui, dès l’Église des premiers siècles a succédé au ministère apostolique. La collégialité des tout premiers temps, qui correspondait au mode de fonctionnement de la synagogue a peu à peu été remplacée par une structure plus monarchique et plus conforme à la culture de l’empire, dans laquelle l’évêque unique a été perçu comme le successeur des apôtres en un lieu donné. L’évêque de Rome tenant au milieu du collège épiscopal le rôle qui était celui de Pierre parmi les apôtres. Jusqu’à ces dernières années, le ministère apostolique a donc été considéré comme lié aux premiers temps de l’Église. Lorsque le vocable a été utilisé, c’était toujours sous une forme imagée, pour dire qu’une personne a été «l’apôtre» d’une région du monde. L’adjectif «apostolique» a parfois été employé comme synonyme de missionnaire (Département Évangélique Français d’Action Apostolique: DEFAP).
Nous avons discerné une double dimension au terme «apôtre». La première est représentée dans le ministère des douze et de Paul. Leur vie, leur témoignage et leur enseignement les associent à Jésus-Christ comme fondateurs de la communauté chrétienne. Cette première dimension nous atteint à travers les écrits du Nouveau Testament. En effet, ces textes font pour nous autorité parce qu’ils sont l’expression de l’enseignement apostolique.
La deuxième dimension, la seule qui s’est perpétuée au-delà de la période du Nouveau Testament, concerne l’annonce de l’Évangile et l’implantation d’Églises dans des contextes nouveaux, qu’ils soient géographiques ou culturels. Cette dimension, déjà présente dans la précédente, reste une nécessité tout au long de la vie de l’Église. La racine du mot «missionnaire» n’est-elle pas simplement l’équivalent latin du terme grec qui a donné «apôtre»?
Si l’on exclut certains groupes de type sectaire ou marginal, ce n’est qu’avec le renouveau pentecôtiste que le terme d’apôtre revient sur le devant de la scène. Cette
Nouvelle apparition assure un certain ministère d’unité parmi des Églises très autonomes qui se constituent à travers le monde. On retrouve donc la dimension pionnière comme celle de la structuration de l’Église. Cette sorte de reproduction des débuts du catholicisme permet d’assurer une certaine cohérence à un mouvement spirituel en pleine expansion. En revanche, la tentation du pouvoir et de la main mise sur les communautés par celui qui les a fondées n’a pas toujours été évitée. On assiste parfois à une sorte de dérive autoritaire de ce ministère qui peut s’exercer sans véritable contrôle de l’Église. Une juste adaptation du ministère apostolique devrait nécessairement prendre en compte la différence de situation entre les temps apostoliques et l’époque qui est la nôtre. C’est sans doute une des principales difficultés d’utiliser un terme qui dans l’esprit des lecteurs de la Bible évoque nécessairement un type de ministère qui ne peut plus exister tel quel aujourd’hui. La place que l’on donne à ce ministère a une influence directe sur l’ecclésiologie. Dans le cas d’Églises indépendantes qui reconnaissent une autorité de type apostolique, ce ministère permet une structuration de type plus ou moins épiscopal qui vise à développer l’unité et la cohérence des Églises, ainsi que leur conscience d’appartenir à un ensemble plus vaste. Mais lorsqu’il s’agit d’Églises appartenant déjà à une tradition ecclésiale qui a son ecclésiologie propre, comme c’est le cas des baptistes par exemple, il est difficile d’imaginer que les deux types de structuration n’entrent pas en conflit. Pratiquement, risquent de cohabiter une ecclésiologie plus ou moins fictive qui relève de la tradition confessionnelle et une nouvelle qui régulera effectivement la vie des communautés concernées. La superposition de deux ecclésiologies différentes est impossible à terme. Il est donc indispensable, si l’on croit que cette dimension apostolique a sa pertinence pour l’Église d’aujourd’hui, de réfléchir à la manière dont elle peut s’intégrer à l’ecclésiologie et aux modes de fonctionnement réel des Églises. Comment la dimension apostolique est-elle vécue dans nos Églises? Doit-elle correspondre au ministère d’une personne ou peut-elle - doit-elle - être vécue collégialement? Faut-il conserver le terme d’apôtre au risque de la confusion presque inévitable avec le ministère des apôtres des premiers temps? Nous pensons que le Nouveau Testament ne nous fournit pas une ecclésiologie définitive, mais déjà l’exemple d’adaptation des formes en fonction des contextes culturels et historiques. L’ecclésiologie que nous avons reçue de notre tradition d’Églises est respectable, mais n’a pas d’autorité définitive. Il est toujours possible d’adapter la forme que prennent les ministères qui sont reconnus nécessaires à une époque. Nous ne devons donc ni nous attacher à des mots et à des formules, ni refuser de remettre en cause des habitudes déjà anciennes. Si l’on ne veut pas que la réapparition du ministère d’apôtre soit l’occasion de l’éclatement des unions d’Églises existantes, il faut demander à l’Esprit la sagesse d’un discernement communautaire pour dégager ensemble les lignes des ministères que le Seigneur veut donner à son Église en réponse aux besoins de notre époque.
Les défis que les premiers apôtres eurent à relever sont toujours actuels, et la manière qu’ils eurent de les affronter peut nous enseigner bien des choses sur la dynamique apostolique à la frontière de l’Église. • L’annonce de l’Évangile en terrain vierge: c’est le défi de la mobilité. L’Église doit être sensible aux directives du Saint-Esprit qui souvent bouscule les habitudes et nous fait sortir de nos murs pour atteindre de nouvelles populations. • Le maintien de la cohésion: c’est le défi de l’unité. Les apôtres du Nouveau Testament ne s’approprièrent pas les Églises pour les rendre dépendantes de leur autorité, mais cherchèrent à développer la communion des nouvelles Églises avec les Églises existantes. Aujourd’hui, l’apôtre n’est pas garant de l’unité de l’Église car ce ministère n’est pas une forme d’autorité épiscopale et n’est pas le seul ministère chargé de l’unité. Les apôtres restent dans un esprit de soumission mutuelle et travaillent en collégialité. • Le défi de la mise en place de nouveaux responsables des Églises: il fallut former des hommes au ministère et les établir pour conduire les Églises. Les apôtres prirent des hommes avec eux, pour leur communiquer leur piété, leur savoir-faire du ministère et leur vision pour qu’ils les communiquent à d’autres à leur tour.