En France environ 500.000 couples consultent chaque année parce qu’ils n’arrivent pas à concevoir d’enfant. Cela veut dire qu’environ un couple sur sept a des difficultés à avoir des enfants. Sur ces couples, un sur dix suit des traitements. Il y a diverses raisons à ces difficultés : le fait que les femmes repoussent l’âge auquel elles veulent avoir un enfant ; or avec les années elles deviennent moins fertiles, la baisse de la fécondité masculine, etc. En fait la médecine ne peut tout expliquer car de multiples paramètres physiologiques mais aussi psychologiques entrent en jeu dans la fécondité humaine. L’être humain n’est pas une machine.
Cette réalité statistique fait qu’il y a peu de chance qu’un pasteur n’ait pas dans son Église, même s’il l’ignore, de couples ayant ou ayant eu des difficultés à avoir des enfants. Parmi ces couples, certains peuvent choisir de recourir à l’assistance médicale à la procréation (AMP). Les derniers chiffres de l’INED révèlent qu’aujourd’hui un enfant sur 40 naît par AMP en France(1). Cependant le taux d’échec reste important : sur 100 couples qui tentent une fécondation in vitro (FIV), 40 auront un enfant.
L’éthique
Comme on demandait au biologiste anglais Robert Edwards, inventeur de la technique de fécondation in vitro, s’il avait conscience des problèmes éthiques que soulevait son innovation, il répondit qu’il ne croyait plus en Dieu depuis l’âge de neuf ans ! Comme si l’incroyance supprimait toute interrogation morale ! Si Dieu n ‘existe pas, tout est permis ! disait Dostoïevski. Mais ne tombons pas dans le travers peu évangélique : si Dieu existe, tout est interdit ! Partons plutôt de la belle définition paulinienne de la liberté chrétienne : Tout m’est permis mais tout n’est pas utile ! Tout ne construit pas l’humanité.
On connaît l’opposition des instances officielles de l’Église catholique à toute procréation artificielle, au motif qu’elle dissocie la procréation de l’acte conjugal. Opposition que la congrégation pour la doctrine de la foi a rappelée le 12 décembre dernier avec l’instruction « Dignitas Personae » où elle renouvelle l’interdiction du recours à l’AMP(2) . Pourtant des éthiciens catholiques ont une position beaucoup plus nuancée. Ainsi Patrick Verspieren en reconnaît la légitimité pour : «…l’homme et la femme qui découvrent, après plusieurs années de véritable vie conjugale, l’existence d’une forme de stérilité tubaire telle qu’ils ne peuvent espérer avoir un enfant qu’en faisant se rencontrer « in vitro » leurs cellules génitales, ne témoignent pas nécessairement d'une volonté de mainmise sur l'identité de leur enfant. La fécondation externe peut alors n’être que le prolongement de leur vie sexuelle, le moyen de concrétiser le vœu même de leur amour»(3).
Du côté protestant, on ne trouve pas d’opposition de principe mais des questions. France Quéré s’est inquiétée des centres d’AMP qui gonflent leurs résultats : « il y a beaucoup plus de femmes déçues que satisfaites »(4). Du côté évangélique français, il n’existe pas, à notre connaissance d’interdit implicite ou explicite sur le principe du recours à l’AMP. Mais qu’en est-il de l’accompagnement pastoral de cette démarche ?
Notre sentiment est que chacun se débrouille comme il peut. Il y a certainement des accompagnements pastoraux au cas par cas ; un cas nous a été rapporté d’accompagnement par le CPDH(5), mais pas de réflexion de fond. Nous aimerions y remédier dans le présent article en essayant de d’esquisser des repères éthiques mais aussi pastoraux. Cette réflexion a été nourrie par le témoignage de couples chrétiens passés par l’AMP, qui ont accepté de répondre à nos questions. Nous voudrions ici les en remercier.
Le choc de l’infécondité
Il y a tout d’abord le choc de la découverte de l’impossibilité ou de l’extrême difficulté d’avoir un enfant. Choc qui ne survient pas du jour au lendemain : les difficultés du couple à concevoir, qui ont pu durer des années, l’ont préparé à recevoir cette mauvaise nouvelle. Nous avons interrogés plusieurs couples qui ont eu recours à l’AMP en leur demandant de décrire leurs sentiments à la découverte de leur infécondité. Les mots utilisés sont extrêmement forts : « handicap », « mutilation », « désespoir », « culpabilité ».
Voici ce que dit une femme :
« Le fait de ne pas pouvoir enfanter pour une femme correspond à une perte de sens de la vie.»
Voici ce qui dit un homme :
« C'est comme si j'étais amputé de la perspective de mon prolongement à travers l'existence d'un enfant... J'avais l'impression d'être un handicapé…Je me sentais responsable du malheur de mon épouse. La culpabilité m'envahissait régulièrement malgré toutes les bonnes paroles de mon épouse... Il m'arrivait de m'imaginer qu'un jour elle me quitterait pour pouvoir épouser un homme capable d'engendrer des enfants avec elle... »
Il y a une remise en cause de l'identité sexuelle, une perte de confiance en soi et en l’autre et pour le croyant en Dieu. Les questions surgissent : pourquoi moi ? Nous ? Qu’ai-je fait au bon Dieu ? Cette réalité est déstabilisante pour le couple au point qu'il peut se poser la question : « Que faisons-nous ensemble » ? L'entourage familial peut aggraver cette blessure par des questions pour lui anodines : « Et vous, quand est-ce que vous vous y mettez ? » La simple vue d'une sœur en mère épanouie peut susciter une amère jalousie.
...