Une enquête sur le comportement sexuel des jeunes face au sida, menée auprès de 6.445 jeunes de 15 à 18 ans par l'Agence Nationale de recherche contre le sida, le CNRS et l'Inserm, fait apparaître que 85% d'entre eux déclarent avoir eu des rapports sexuels. Qu'en pensez-vous ?
– Tout d'abord, cette enquête n'a concerné que la population adolescente des lycées et des centres d'apprentissage. Elle n'est donc pas représentative de la population en général. On peut aussi se demander si certains de ces jeunes ont bien répondu aux questions posées, ou si les réponses n’étaient pas plus ou moins influencées. Les auteurs de l'enquête s'en défendent, soulignant qu'elle a été faite sur questionnaire écrit, et non pas par une interview directe dans une classe. Je reste néanmoins sceptique, car les adolescents sont à mon avis plus pudiques qu'on ne le pense sur ces questions là.
Cependant, quelle que soit la crédibilité que l'on accorde à ce type d'information ou la valeur que l'on donne aux chiffres, cette enquête confirme que la sexualité de ces jeunes est à l'image de la société dans laquelle ils vivent : elle fait du plaisir son unique principe et de la jouissance sa seule raison d'être. C'est en quelque sorte la société de consommation appliquée à la sexualité, avec pour corollaire cette attitude si contestable : « je prends et quand ça ne fait plus l'affaire, je jette ». En effet, quand plus de 60% des garçons et 40% des filles interrogées dans cette enquête déclarent avoir cédé aux relations sexuelles par « attirance et désir physique », « par curiosité », « pour faire comme tout le monde » ou « pour y avoir été forcés », que faut-il en conclure ? C'est en fait une sexualité sans relation véritable et sans lien avec la personne.
Ce qui me frappe le plus cependant dans cette enquête, c'est la relative complaisance des adultes. Il faut dire aux jeunes que la sexualité est plus que cela. Que le plaisir fait certes partie de la vie, mais il ne leur donne pas le droit de traiter les autres comme des objets ou leur «chose». Son but est avant tout de mettre les êtres en relation.
Vous dites que le temps des fréquentations est un temps privilégié pour apprendre à se connaître et à se découvrir. Mais ne pensez-vous pas qu'avoir des relations sexuelles avant le mariage est une façon finalement de mieux se connaître ?
– Si la relation sexuelle n'était qu'une affaire de « technique », une expérience préalable pourrait se justifier. Mais il n'en est rien ! C'est à aimer qu'il faut apprendre et non pas à faire l'amour. La réussite sexuelle - la réussite du couple tout simplement - dépend d'abord de la qualité de l'amour et de la relation et non pas en priorité de nos aptitudes physiques. Loin de préparer à l'amour-don, les relations sexuelles avant le mariage peuvent au contraire être blessantes pour l'un et pour l'autre.
De plus, les gestes sexuels précipitent l'évolution de la relation car ils créent très rapidement une exigence de vie commune. Il est alors beaucoup plus difficile de remettre en question son choix, éventuellement d'interrompre la relation. Il arrive aussi que la vie sexuelle occulte, dans le couple, l'expression de la tendresse et la mise en place d'une communication : le langage des corps remplace très vite le dialogue en profondeur.
On oublie trop souvent de rappeler que la sexualité nécessite une maturation personnelle, qui fait parfois cruellement défaut, notamment chez les jeunes. Elle implique aussi un apprentissage de soi et de l’autre. La sexualité, c’est aussi, et peut-être surtout, la découverte de l’autre. Ce qui n’a rien d’évident, hommes et femmes ayant de la sexualité une idée intimement différente.
Le dialogue en profondeur : que voulez-vous dire au juste ?
– C'est tout ce qui va me permettre de vraiment connaître l'autre, par delà ses qualités et ses défauts apparents.
Trop de gens court-circuitent ce dialogue en profondeur, estimant que « se tester sexuellement » est l'atout le plus sûr et la meilleure garantie de succès de leur future vie commune. « Si l'on s'entend bien dans ce domaine, le reste suivra… »
Les faits démentent ce bel optimisme : jamais en effet la virginité avant le mariage n'a été aussi décriée, mais jamais non plus le taux d'échec des personnes vivant en couple n'a été aussi important. Il est donc fallacieux d'affirmer que « réussir sa vie de couple » implique nécessairement que l'on doive, au préalable, avoir des expériences sur le plan sexuel.
J'irai même plus loin. Quel que soit le bilan que l'on fait d'expériences sexuelles préconjugales, je ne pense pas que l'on puisse en tirer des conclusions fiables et engageantes pour l'avenir. On peut estimer, par exemple, que le bilan est plutôt positif, mais est-ce la garantie que l'on construira une relation durable et épanouissante ? Par contre, si on juge que nos relations sexuelles sont plutôt décevantes, devra-t-on conclure que l'autre n'est pas fait pour soi ? Que je peux donc en disposer librement ? Et que faire alors de l'intimité que l'on aura donnée et reçue ?
On le voit bien : la relation doit se construire autrement et sur d'autres fondements. Avant de fonder un couple, c'est mon aptitude à aimer l'autre pour lui-même que je dois avoir vérifiée, ainsi que ma volonté à aimer gratuitement, sans pression, ni chantage. Un tel amour n'est pas la négation du désir. Il dynamise la relation et la construit. Il me permet de gérer le «manque» et la tension en trouvant d’autres voies d'approfondissement et de maturation de la relation. Trop d'amours s'épuisent et se vident parce qu'elles sont consumées, court-circuitées par une sexualité trop précoce ! « Ne réveillez pas l'amour avant qu'elle le veuille » dit la Bible, dans le Cantique des Cantiques.
Apprendre à aimer plutôt qu'à faire l'amour. D'accord. Mais pensez-vous qu'il soit possible et raisonnable, dans le contexte de notre société, de demander à des jeunes d'attendre d'être mariés pour avoir des relations sexuelles ?
– Alors voilà une vraie question ! Une question à laquelle les adultes ne doivent pas se dérober. Qu'observons-nous aujourd'hui ? L'insertion socioprofessionnelle est de plus en plus difficile, les études de plus en plus longues, la puberté de plus en plus précoce et les exigences à l'égard du mariage de plus en plus élevées. Conséquence : ceux qui par fidélité à Dieu ou par convictions personnelles veulent réserver les relations sexuelles au mariage vont être confrontés à des tensions extrêmes qui leur sembleront parfois surhumaines.
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