Dialogue et témoignage

Complet Diversité culturelle

Quelle est la mission de l’Église dans une société non seulement multiculturelle mais aussi multireligieuse ? Comment articuler sa vocation à être « sel et lumière » dans le monde, dans un tel contexte ? Le sujet est vaste et complexe. Dans ce dernier chapitre, je ne peux qu’en donner une esquisse, en traduisant « sel et lumière » par « dialogue et témoignage arc-en-ciel ». 

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Dialogue et témoignage

Regard

Pendant les colloques, plusieurs personnes ont parlé de la manière dont cette mission chrétienne se traduit en actions concrètes. Ces témoignages nous enseignent sur l’importance du regard que nous portons sur nous-mêmes et sur autrui. Face au « spectacle silencieux de la misère », disait le major Didier Chastagnier, engagé pour l’Armée du Salut dans un travail auprès des enfants des quartiers difficiles de plusieurs villes d’Alsace, « il faut veiller à ce que notre regard ne soit pas condescendant sur les jeunes des cités, avec leurs modes de vie particuliers »(1).

Un thème récurrent dans ces témoignages était le contact avec nos concitoyens qui confessent une religion non chrétienne. Aujourd’hui, les chrétiens pratiquants constituent une minorité religieuse parmi d’autres. Le défi à relever est de dépasser le simple fait de coexister. Au lieu de vivre côte à côte, en tant que différentes religions, de façon séparée, l’enjeu est d’aller plus loin et de vivre ensemble. Or, vivre ensemble, c’est créer du lien social.

Avec ces quelques mots nous sommes au cœur du travail dirigé par le révérend Toby Howarth, chargé des questions interreligieuses au diocèse anglican de Birmingham. Il est affecté à des paroisses, dans un environnement marqué par une grande pluralité ethnique et religieuse, au sein d’une population majoritairement musulmane. Toby Howarth a souligné l’importance d’apprendre à vivre avec des croyants d’autres religions, même si les difficultés économiques et une certaine morosité sociale rendent de fait ce vivre-ensemble difficile. « Il s’agit de développer une sociabilité dépassant les frontières confessionnelles, dans le respect d’autrui », résume-t-il la mission d’une Église dans un tel contexte. Nous devons avoir le courage d’entendre et de chercher à comprendre les préoccupations d’autrui. Alors communiquer l’Évangile devient possible, une fois établie une relation personnelle sincère avec autrui, ou, du moins, une fois gagnée la confiance des vis-à-vis. Cela vaut en particulier pour le témoignage auprès des musulmans, que nous pourrions certainement rapprocher analogiquement des Samaritains du Nouveau Testament »(2).

Le major Anne Thöni, de l’Armée du Salut, a parlé de son ministère d’aumônier au sein d’un hôpital franco-musulman où sont représentées beaucoup d’ethnies. Dans cet environnement particulier, son ministère est avant tout « un ministère d’écoute », comme elle l'a expliqué. Une écoute qui émane d’un certain regard. « Ce qui importe avant tout, est la qualité de notre regard porté sur autrui. Ce regard doit être plein de respect envers la personne à rencontrer »(2).

Ainsi, un dialogue devient possible. « C’est une démarche bienveillante qui doit être accomplie au nom de l’Évangile, a-t-elle précisé. Une démarche refusant la contrainte, la manipulation, une démarche qui évite aussi l’écueil du syncrétisme, ce poison mortel pour le dialogue. Ce regard, c’est celui du témoin du Christ, et il ouvre un chemin jusqu’à autrui pour que l’Évangile puisse être reçu »(2).

Dialogue

De ces exemples nous pouvons retenir deux mots clés, qui nous aideront à concrétiser la mission de l’Église dans un contexte multireligieux. Le premier mot est dialogue. Voilà un mot devenu suspect parmi les chrétiens convaincus de l’unicité de Jésus-Christ, sauveur du monde. Et pour cause. De nos jours, il est de bon ton de prôner le dialogue interreligieux au lieu d'évangéliser les adhérents des autres religions, au lieu de toute tentative de faire du « prosélytisme », comme on le dit.

Certains représentants des Églises œcuméniques qui participent à de tels dialogues, ont l’idée que finalement toutes les religions se valent et que nous croyons tous en un seul ‘Dieu’. Cette idée, qui traverse la théologie libérale de tout genre, a été renforcée par la science des religions qui depuis la fin du XIXème siècle a mis en évidence les traits communs de toutes les religions. Elle est héritière de la philosophie rationaliste occidentale, qui considère que les rites et les symboles des différentes religions ne seraient que des expressions humaines d’un mystère métaphysique que l’on considère cosmique ou divin. En plus, les pratiques religieuses d’un peuple seraient façonnées, voire déterminées par sa culture.

Un dialogue basé sur de telles présuppositions va relativiser les points qui opposent les adhérents des différentes religions les uns aux autres, et se concentrer sur ce que les participants ont en commun, afin de favoriser la bonne entente et la collaboration.

Cette approche s’associe bien au relativisme qui prédomine dans l’opinion publique. Le politiquement correct d’aujourd’hui se méfie du militantisme religieux. Ceux qui se réclament d’une vérité absolue sont vite taxés de fondamentalistes et d’intégristes. En revanche, les dirigeants religieux qui entrent en dialogue peuvent compter sur l’approbation des médias et de la classe politique.

Le relativisme en matière de religion et d’idéologie est l’un des caractères de notre société ultramoderne (postmoderne, disent les Anglo-saxons). Désabusés par les ravages causés par les idéologies du XXème, les gens ne croient plus à un grand récit quelconque qui prétend être, à lui seul, le chemin vers un avenir glorieux. À chacun sa vérité ! Les opinions religieuses et les différences culturelles sont valorisées, pour autant qu’elles sont des références pour des individus situés dans une société sécularisée et pluraliste. Dans ce domaine, les gens se veulent tolérants. Mais cette tolérance devient intolérance dès lors qu’un groupe donne l’impression de vouloir « imposer » sa religion aux autres.

– DIALOGUE « PLURALISTE »


Toute la question est donc de savoir sur quelle base on entre en dialogue, et avec quel agenda. Il existe un agenda, que je qualifierais d’idéologique, qui considère que le dialogue est le chemin qui mène vers une collaboration entre les religions pour construire un nouveau monde. Chaque religion ne représente qu’un chemin vers le salut de l’humanité. Suivant cette approche, il faudrait admettre que chaque religion n’est qu’une expression de la vérité comme elle l’entend. Finalement, la question de la vérité pour tous les hommes ne se pose pas.
Mais cette question est incontournable pour les chrétiens convaincus de l’unicité du Christ. On appelle leur point de vue exclusiviste. C’est-à-dire, il n’y a qu’un seul chemin vers Dieu, un seul moyen d’obtenir le salut, cela exclut d’autres options. Pas question donc de renoncer à la communication de l’Évangile qui invite tous les hommes, quelle que soit leur religion, à mettre leur confiance en Jésus-Christ, pour être réconciliés avec Dieu.
Est-ce que cela veut dire qu’il n’y a pas de place pour__ EXTRAIT__ un dialogue et que l’on ne peut collaborer avec ceux qui appartiennent à une autre religion ? Mais non ! N’empêche qu’il y a une certaine tension entre dialogue et évangélisation. L’Église catholique romaine a essayé de surmonter la tension entre les deux, en créant des instances séparées qui fonctionnent côte à côte : d’une part la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, d’autre part le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux.
C’est peut-être un modèle à adopter. Mais quand on sépare les choses de cette manière-là, on court le risque de négliger l’un ou l’autre. Comme si on devait oublier la communication de l’évangile quand on est engagé dans le dialogue, et comme si on pouvait évangéliser sans dialoguer.


Nous pensons qu’on peut faire l’un sans oublier l’autre.
Pour cela il faut concevoir le dialogue autrement. Pieter Boersema a introduit le terme « dialogue pluraliste »(3). Cela veut dire un dialogue qui tient compte du contexte pluraliste en Europe occidentale. Nous les chrétiens, disciples de Jésus, nous sommes une minorité religieuse parmi d’autres. Une grande partie de la population ne pratique aucune religion. Il faut vivre et travailler ensemble, sur le plan local comme sur le plan politique. Dans une démocratie pluraliste, les élus qui représentent l’électorat dans toute sa diversité politique et religieuse, sont amenés à prendre des décisions ensemble, en tout cas à la majorité.
D’un côté nous avons notre conviction exclusiviste quant à la foi en Christ, d’un autre côté nous devons être réalistes et tenir compte du fait que la plupart de nos concitoyens ne sont pas de cet avis. Nous ne pouvons pas faire comme si les autres n’étaient pas là. Inutile d’essayer de nous maintenir dans un isolement.

– NIVEAU CITOYEN


Cela nous amène au premier niveau du dialogue « pluraliste », le niveau citoyen. Nous sommes avec les autres sur la place publique, dans le monde du travail, à l’école, à l’hôpital, dans les associations et au sein du mouvement politique. Nous les rencontrons et nous collaborons. Nous échangeons. Bref, le dialogue existe. À nous de l’approfondir. Dans un dialogue il est essentiel d’accepter l’autre tel qu’il est et de reconnaître son droit de cité. Cela veut dire que les adhérents d’une autre religion ont les mêmes droits civils que nous, et nous devrions les défendre. Démocratie oblige.
Nous pouvons collaborer avec eux dans plusieurs domaines : éducatif, associatif, politique étant donné que nous partageons une même responsabilité par rapport à la paix sociale.
Il va de soi que cette acceptation doit être réciproque.
La pratique religieuse des uns suscite des réactions négatives chez les autres ? Dans un tel contexte, il est nécessaire que les représentants des différentes religions se rencontrent. Qu’ils se parlent. L’enjeu est de trouver un moyen de coexister en paix, d’éviter des conflits, de combattre des préjugés de part et d’autre, de promouvoir la collaboration dans la société, et de contribuer ensemble à la paix sociale.
Les autorités vont de plus en plus souvent encourager les communautés religieuses à entrer en dialogue. Leur objectif est tout à fait pragmatique : promouvoir une meilleure entente afin de diminuer les tensions ethniques surtout dans les grandes villes. En tant que chrétien évangélique je suis persuadé que nos Églises se doivent d’y participer. C’est avant tout la responsabilité des dirigeants des Églises, ceux qui les représentent dans la cité. Mais d’autres membres peuvent y participer, bien évidemment.
Notre présence dans de telles rencontres va nous donner, dans la cité, une visibilité dont nous avons tant besoin. Dans la ville où j’habite, Perpignan, je représente notre Église baptiste dans l’Amitié Interreligieuse du Roussillon, une association créée à la demande de Monsieur le Maire après les confrontations violentes entre musulmans et tziganes dans un quartier « chaud » de la ville.

– NIVEAU PERSONNEL


Le dialogue peut s’arrêter là, disons sur un niveau citoyen. C'est déjà pas mal quand on arrive à s’entendre dans la cité. Mais il existe un deuxième niveau de dialogue : le niveau personnel. Si le dialogue au niveau citoyen a un caractère plus ou moins officiel, ce deuxième niveau concerne le contact avec nos collègues, nos voisins, les membres de nos familles qui confessent une autre religion. Il s’inscrit dans la durée et peut aboutir à un échange de choses spirituelles.
Mais n’allons pas trop vite en besogne. Si nous voulons communiquer des choses qui nous tiennent à cœur, nous devons mieux connaître l’autre. Et cela passe par le dialogue. Des rencontres autour d’une table, ou dans une association humanitaire, ou lors d’un pot après avoir fait du sport ensemble…
Le dialogue avec les musulmans a ceci de particulier, qu’ils sont à la fois proches et éloignés des chrétiens. Nous pouvons bénéficier de plusieurs livres et des séminaires qui nous éclairent sur les points de convergence et de divergence entre le Coran et la Bible, au sujet de Dieu, et singulièrement au sujet de Jésus.
Cependant, il ne suffit pas d’avoir lu un bouquin sur les cinq piliers de l’islam pour réussir un véritable dialogue avec un voisin musulman. Est-ce que je suis vraiment intéressé par cette personne ? Comment est-ce qu’elle vit ? Quelles sont ses préoccupations ? Quand j’entre en contact et commence à dialoguer, j’apprends à mieux connaître l’autre.
La communication va dans les deux sens. Et quand nous en arrivons à des sujets spirituels, je ne renonce pas à mes convictions les plus profondes, mais je tiens compte également des convictions de l’autre. Toutes les religions ont des points de vue exclusivistes. Un musulman a des convictions profondes aussi bien que moi.
Je dois le respecter. Si l’occasion se présente de donner des explications, j’en serai content, mais si je m’intéresse vraiment à l’autre, je vais lui poser des questions également. Bref, la communication est réciproque, elle se fait sur la base de l’égalité. Ceci est délicat. Mais si on arrive à respecter l’autre par l’amour que le Christ répand dans notre cœur, nous serons ouverts, et une confiance mutuelle pourra s’installer. On peut même devenir amis.
Il est possible que l’autre se montre désireux de me convaincre, qu’il essaie de me « gagner » à sa religion. Que cela ne nous étonne pas. Si quelqu’un croit fermement en « sa » vérité, on peut s’y attendre.
Certains chrétiens ont un peu peur de cela et le ressentent comme une menace. Mais quand on se sent faible, la solution n’est pas d’esquiver la confrontation, mais de faire davantage confiance au Seigneur. Quand on en revient déstabilisé, c’est peut-être une occasion de travailler des interrogations par rapport à sa propre foi, et d’approfondir notre relation avec le Seigneur.

– NIVEAU ÉVANGÉLISATION

À un moment donné, quand l’autre est vraiment intéressé par mon expérience avec le Seigneur, un troisième niveau de dialogue est envisageable, celui de l’évangélisation.
Au contact des personnes engagées dans leur religion, on réalise que l’on ne gagne pas le débat par des seuls arguments, aussi bien-fondés soient-ils. Nous dépendons du Saint Esprit, qui est le seul à pouvoir convaincre l’autre de la vérité en Christ, dont je ne suis qu’un humble témoin.

TÉMOIGNAGE

Le deuxième mot clé pour décrire la mission de l’Église est témoignage. Il en était question dans le cadre du dialogue, mais il ne se réduit pas à ce seul cadre d’un contact personnel avec les personnes au plus près de nous.
En tant que témoins du Christ, nous avons vocation à « rendre compte de l’espérance qui est en nous, en veillant sur notre propre conduite », comme le dit l’apôtre Pierre (1 P 3.15-16).
Pas besoin de le souligner. Les Églises s’activent, de plusieurs manières, pour faire connaître l’Évangile dans le monde. Que tout cela continue
Néanmoins, il est utile de réfléchir plus précisément à notre témoignage face à la multiculturalité.
Comment ?

–MARQUER UNE DIFFÉRENCE EN TANT QU’ÉGLISE


La présence des communautés de cultures différentes sur un même territoire, avec toutes les difficultés que cela représente, nous interroge sur le vivre ensemble au sein de nos Églises qui sont, elles aussi, de plus en plus multiethniques. Cela pose des problèmes de communication et des frictions au niveau des susceptibilités culturelles. Les chapitres précédents les ont abordés. Mais la diversité est aussi une chance de se laisser transformer. Nous avons beau penser que « nous ne sommes pas racistes » et que « nous sommes dans l’amour fraternel », au contact des frères et sœurs d’une autre culture, nous allons découvrir que ce n’est peut-être pas tout à fait le cas. Alors, reconnaissons nos préjugés, du Français vis-à-vis du Maghrébin, du Congolais vis-à-vis du Brésilien, de l’Antillais vis-à-vis de l’Européen…, et laissons la lumière de la Parole briller dans nos cœurs. Apprenons à nous aimer les uns les autres.
Les Églises sont des lieux qui permettent de véritables rencontres et une vraie collaboration au-delà des clivages culturels. En cela, elles peuvent marquer une différence dans une société où les gens ont du mal à s’ouvrir à l’autre qui ne partage pas leurs coutumes, leur langage, leur façon de vivre, leur vision du monde, leur couleur de peau, leur histoire, et tout ce que l’on peut encore imaginer dans le domaine de la culture.
En tant que communauté où toutes les ethnies trouvent leur place, sur un pied d’égalité, nous sommes un témoignage « arc-en-ciel » de l’amour du Christ pour tous les êtres humains, quelle que soit la couleur de leur peau et leur culture.

– NOTRE PRÉSENCE DANS UN MONDE MULTICULTUREL

Dans la mesure où la vie de l’Église change nos regards et nos comportements vis-à-vis des frères et sœurs d’une autre culture, elle changera aussi notre attitude envers les autres que nous croisons en dehors de l’Église. Cela nous permet de discerner les préjugés, de combattre la discrimination, et de créer des liens personnels avec ceux qui sont marginalisés. Formés à l’école du Seigneur qui fait bon accueil à tous, nous pouvons être des artisans de paix dans la société. Paix dans le sens biblique du mot chalom : vivre en harmonie avec son prochain.
Une telle présence dans un monde multiculturel va certainement créer des occasions de « rendre compte de l’espérance qui est en nous ».Elle rendra d’autant plus crédible le témoignage que nous allons donner.

LES ÉGLISES ISSUES DE L’IMMIGRATION

Je remarque que les discussions sur la mission de l’Église dans le monde d’aujourd’hui se concentrent trop souvent sur la mission des Églises « autochtones » vis-à-vis d’une population de plus en plus multiethnique. Certes, elles ont vocation à diffuser l’Évangile à tous leurs contemporains. Je dirai : qu’elles le fassent, de toutes les manières appropriées possibles.
Mais n’oublions pas la mission des Églises issues de l’immigration. Je pense qu’elles ont un rôle important à jouer, et c’est cela que je veux mettre en avant sous ce dernier point.
Par ailleurs, je ne les appelle pas Églises « ethniques », car toutes ces communautés ou presque, représentent plusieurs ethnies. Du point de vue théologique, l’idée d’une Église « ethnique » est un contresens. En Christ, il n’y a ni Ghanéen, ni Mexicain, ni Américain, ni Laotien. C’est pourquoi je préfère l’appellation utilisée dans d’autres pays : « Églises d’immigrés » (Migrant Churches), ou alors « Églises issues de l’immigration ». Un autre terme de plus en plus en vogue est « Églises de diasporas » (Diaspora Churches).

CONTRIBUTION À LA MISSION

Il est communément admis que ces Églises sont les plus à même d’évangéliser les immigrés dans nos pays, selon leurs origines différentes. Une Église où prédominent les Togolais saura atteindre des Togolais sans attache ecclésiale, en train de se perdre dans une France sécularisée, que les autres Églises ont du mal à attirer.
Mais leur rôle missionnaire ne s’arrête pas là. Écoutons, par exemple, ce qu’en dit Israel Olofinjana, un pasteur nigérien en Angleterre, dans son étude très intéressante sur la « mission inversée » des Églises africaines dans le « continent noir de l’Europe »(4). Il parle, plus exactement, des Églises dirigées par des Africains, car il s’avère qu’elles réunissent en général plusieurs nationalités. Quelle a été leur contribution à la mission en Europe ? L’auteur résume : (5)


– Ces Églises sont une sorte de centre social, pourvoyant à des besoins socio-économiques, spirituels et éducatifs d’un grand nombre d’immigrés africains et de minorités ethniques. En cela, elles aident à trouver leur chemin, dans un environnement nouveau et étrange.
– Elles permettent aux noirs de développer leur identité complexe, et de se sentir inclus dans un pays qui les exclut.
– Elles leur donnent de l’espoir, surtout par la musique et le chant, et cet espoir donne courage dans une société où ils sont sans cesse découragés.
– Elles contribuent également au renouveau et à la préservation du christianisme dans le monde occidental. Leur spiritualité aide à mieux tenir dans la foi, face à la sécularisation. Certaines communautés ont racheté des bâtiments désertés par les Églises historiques.
– Par leur présence, elles sensibilisent les Églises autochtones, non seulement à la mondialisation du christianisme, mais aussi au potentiel des chrétiens en provenance de l’hémisphère sud pour l’évangélisation de l’Europe.
– Elles s’engagent dans les œuvres sociales, d’autant plus que leurs membres appartiennent aux catégories marginalisées et discriminées de la société.
– Disposant de leurs ressources financières considérables, elles achètent des locaux des institutions chrétiennes, souvent désaffectés, contribuant ainsi à la sauvegarde d’une infrastructure sociale importante.


Un dernier point. Les Églises issues de l’immigration posent des questions critiques à l’égard de la culture dominante dans le pays. « Les chrétiens européens doivent faire l’effort de “mieux” comprendre leur propre culture en écoutant les observations critiques de leurs frères et sœurs Africains. Ce regard de l’extérieur sur la culture est nécessaire pour discerner les préjugés et les injustices raciaux, dont ils ne se rendaient pas compte avant »(6).
Par conséquent, nous serons davantage en mesure de prendre nos distances avec ces injustices, et de communiquer l’Évangile qui montre un autre chemin.

POINTS FAIBLES


Israel Olofinjana émet également quelques critiques à l’endroit des Églises dont il est un représentant, pour ce qui concerne leur responsabilité missionnaire(7). Je laisse aux Églises issues de l’immigration en France le soin de voir dans quelle mesure cette critique s’applique à elles aussi.

D’abord, leurs efforts d’évangélisation se concentrent en général sur leur propre ethnie. « Cette critique vaut également pour bien des Églises européennes, d’ailleurs. Des Églises mono-ethniques ont leur place et leur fonction. Cependant, elles doivent être prêtes à devenir multiculturelles, puisque c’est dans un tel contexte qu’elles servent le Seigneur(8) .
Force est de constater que ces Églises n’ont pas développé de stratégies pour évangéliser les Européens de souche, ni les autres minorités ethniques et religieuses.

Deuxièmement, si l’engagement social est important, le champ d’action en est limité. Autant ces Églises s’activent pour venir en aide aux immigrés et pour défendre leurs droits, autant leur engagement est faible dans le domaine des problèmes mondiaux, tels que la protection de l’environnement.

– TÉMOIGNER ENSEMBLE

Une dernière interrogation par rapport aux Églises issues de l’immigration porte sur leur tendance à fonctionner dans leurs propres réseaux, plutôt que de créer des liens œcuméniques et de collaborer avec d’autres Églises. Le résultat est un affaiblissement du témoignage de l’Évangile. « Le mandat missionnaire incombe aux chrétiens européens et aux chrétiens africains, ensemble »(9).
Ce point est capital, me semble-t-il. Églises franco-françaises, Églises internationales, Églises issues de l’immigration, nous avons besoin les uns des autres. L’heure est à développer des partenariats, à collaborer, à témoigner dans l’unité.

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1.
Cité par Sylvain AHARONIAN, dans sa synthèse de la deuxième consultation, texte non publié.
2.
Idem.
3.
Pieter Boersema et al., Christenen verkennen andere godsdiensten in West-Europa, La Haye, Boekencentrum, 2007, ch.15.
4.
Israel Olofinjana, Reverse in Ministry & Missions – Africans in the Dark Continent of Europe, An Historical Study of African Churches in Europe. Central Milton Keynes, Author House, 2010.
5.
Ibid., pp.47-50. L’auteur mentionne quelques points encore, mais je les ai omis, puisqu’ils ne portent pas directement sur la mission de l’Église dans la société.
6.
Ibid., p.73.
7.
Ibid., pp.53-57. Je ne reprends que les points qui portent sur la mission de l’Église.
8.
Ibid., p.54.Ibid., p.54.
9.
Ibid., p.74.Ibid., p.74.

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