23 décembre 1842. L’affaire Roussel
L’émotion était grande parmi les protestants de France. En ce 23 décembre 1842, une protestation fut signée par les pasteurs de l’Église luthérienne de Paris et adressée au garde des sceaux. Elle était signée des pasteurs Cuvier, Verny, Meyer et Jean-Louis Vallette. Cette protestation fut bientôt suivie d’une protestation analogue des pasteurs réformés. Ensuite ce furent 157 pasteurs de toute la France qui se joignirent à leurs collègues parisiens. Qu’est-ce qui avait pu ainsi provoquer une telle levée de bouclier ?
L’affaire Roussel !
La liberté religieuse était inscrite dans la charte de 1830. L’article 5 mentionnait que « Chacun professe sa propre religion avec une égale liberté, et obtient pour son culte la même protection. » Mais tout cela était loin d’être passé dans les mœurs. L’article 291 du Code pénal, qui interdisait les associations de plus de vingt personnes, n’avait pas été officiellement abrogé, bien qu’il soit en contradiction avec la Charte. Il pouvait être invoqué contre ceux qui se réunissaient sans autorisation préalable. Or, cette autorisation officielle, on pouvait bien la demander, mais dès qu’il s’agissait d’évangélisation, on ne réussissait pas à l’obtenir !
On reprochait au pasteur Napoléon Roussel d’avoir réuni plus de vingt personnes sans l’autorisation du gouvernement, sans la permission de l’autorité municipale. Il avait eu beau démontrer qu’il n’avait aucun but politique, mais simplement celui de l’exercice d’un culte, il avait été condamné une première fois puis en appel. Et lorsque le 22 avril 1843, l’avocat Jules Delaborde, avait porté l’affaire devant la cour de cassation, la cour avait rejeté le pourvoi.
Le feuilleton de l’Espérance, du 18 mai 1843, résumait la situation. L’article était intitulé : Ce qui est permis, ce qui est défendu. Il mettait en scène un jeune anglais, plus vrai que nature, traversant Paris pour se rendre en Italie. Il rendait visite au rédacteur du journal. Ensemble ils se promenaient à Paris et en arrivaient aux conclusions suivantes :
- C’est défendu d’avoir les vingt, trente, cent colporteurs qui seraient nécessaires pour diffuser la Bible. Mais pour vendre Voltaire ou Diderot la liberté ne manque pas…
- C’est permis de crier dans les rues pour faire connaître le dernier assassinat qui vient d’être commis, mais c’est défendu de distribuer gratuitement des traités religieux relatant la mort édifiante d’une chrétienne. Plusieurs de nos amis ont été mis en prison pour cela…
- C’est permis de chanter avec un orgue de barbarie des choses idiotes et obscènes, mais pas de prêcher l’évangile dans la rue…
- Sur les Champs-Elysées, on peut voir les spectacles les plus variés : escamoteurs, acrobates, jeux d’adresse et de hasards, théâtres forains, polichinelles, marchandes de fleurs et d’allumettes… mais pas moyen d’ouvrir une salle pour prêcher la vérité.
- Sur le boulevard, c’est permis d’aguicher le passant, mais c’est défendu de leur distribuer un traité religieux. Tout de suite en prison pour « distribution illicite d’imprimés sur la voie publique ! »
Décidément les protestants n’étaient que tolérés !
Napoléon Roussel (1805 -1878) est né le 15 novembre 1805 à Sauve (Gard) et est décédé le 8 juin 1878 à Genève.
Il a été en poste à l’église Réformée de Lyon-Terreaux de 1863 à l'été 1868 après avoir été en poste à St Étienne (1831-35), à Alger, à Marseille, et en Poitou, puis s'être retiré à Cannes en 1857.
Prosper Mérimée (1803-1870) meurt à Cannes le 23 septembre 1870, âgé de 67 ans. Le 25 septembre, il fut inhumé au cimetière de Cannes. Le pasteur protestant, Napoléon Roussel « prononça des prières et des discours sur la tombe ».
Dans le testament de Mérimée (30 mai 1869), on trouvait cette clause :
« Je désire qu’on appelle à mon enterrement un ministre de la Confession d’Augsbourg ».
Napoléon Roussel était réformé mais le souhait formulé par Mérimée a été satisfait : il fut enterré comme un protestant.