16 décembre 2011. Discours du Premier ministre du Royaume-Uni, David Cameron, à l'occasion du 4ème centenaire de la parution de la Bible du roi Jacques.
Le 16 décembre 2011, le 400e anniversaire de la traduction de la Bible en anglais, réalisée sous le règne du roi Jacques Ier, a été célébré dans la cathédrale de Canterbury, au Royaume-Uni.
Voici de très larges extraits du discours prononcé à cette occasion par le premier ministre du Royaume-Uni, David Cameron.
La Bible qui fit l'Angleterre
C’est un immense plaisir d’être ici aujourd’hui à l’occasion de la conclusion de ce très spécial 400e anniversaire de la Bible du roi Jacques. Je ne suis pas ici en tant que fervent chrétien chargé de convertir le monde, mais parce que, en qualité de premier ministre, il est juste de reconnaître l’impact d’une traduction de la Bible qui est, je pense, l’une des plus grandes réussites de ce pays.
La Bible est un livre qui a forgé non seulement notre pays, mais le monde entier. Avec trois Bibles vendues ou offertes toutes les secondes, il s’agit d’un livre qui est important non seulement pour comprendre notre passé, mais qui continuera à avoir un impact profond dans l’édification de notre avenir commun.
La Bible du roi Jacques est aussi importante aujourd’hui que tout au long de ses quatre cents ans d’existence. Et aucun d’entre nous ne devrait avoir peur de le reconnaître, et ce pour trois raisons.
La première est que la Bible du roi Jacques a laissé en héritage une structure de langage qui imprègne chaque aspect de notre culture et de notre patrimoine, des phrases quotidiennes aux plus grandes œuvres de la littérature, de la musique et de l’art. Nous vivons et nous respirons la langue de la Bible du roi Jacques, parfois même sans nous en rendre compte.
La deuxième raison est que, tout comme notre langue et notre culture sont imprégnées par la Bible, il en est de même pour la politique de notre pays. Des droits humains et de l’égalité à notre monarchie constitutionnelle et notre démocratie parlementaire, du rôle de l’Eglise dans les premières formes d’assistance sociale aux nombreux projets d’action sociale d’inspiration chrétienne actuels, la Bible a toujours été et demeure encore pour les croyants un encouragement à agir.
La troisième raison est que nous sommes un pays chrétien. Et nous ne devons pas avoir peur de le dire. Soyons clairs: je ne veux absolument pas dire qu’avoir une autre foi, ou ne pas en avoir, est en quelque sorte mal. Je suis conscient et je respecte pleinement le fait que de nombreuses personnes dans ce pays n’ont pas de religion. Et je suis également très fier que la Grande-Bretagne accueille de nombreuses communautés de fois diverses qui ont beaucoup contribué à la rendre plus forte. Ce que je veux dire, c’est que la Bible a contribué à donner à notre pays une série de valeurs et une morale qui font de lui ce qu’il est aujourd’hui. Des valeurs et des codes de morale que nous devons activement soutenir et défendre.
La neutralité morale ne peut être une alternative: on ne peut pas combattre quelque chose avec rien. Car si nous ne croyons en rien, nous ne pouvons résister à rien. Permettez-moi de m’arrêter sur chacun de ces aspects.
Tout d’abord, le langage et la culture. Un langage puissant est incroyablement évocateur. Il définit des pensées profondes et parfois complexes, et suggère une profondeur de sens qui va bien au-delà des paroles écrites, en nous donnant quelque chose à partager et à célébrer, faisant ainsi partie de ce qui contribue à nous maintenir unis. Avec Shakespeare, la Bible du roi Jacques constitue l’un des sommets de la langue anglaise, et a créé des expressions fascinantes qui émeuvent, encouragent et inspirent.
Comme pour Shakespeare, la traduction du roi Jacques eut lieu à une époque où la parole écrite devait être lue à haute voix. Cela lui confère une force poétique et un écho très pur qui, à mon avis, ne peut être comparé à aucune autre traduction successive. Elle a en outre beaucoup contribué à la diffusion de l’anglais dans le monde entier. La langue de la Bible du roi Jacques garde toute son actualité aujourd’hui: il suffit de penser à des expressions que nous utilisons communément, telles que «le sel de la terre», «rien de nouveau sous le soleil», «à chaque jour suffit sa peine», «rendre à César ce qui est à César». Selon une étude récente, il existe en anglais deux cent cinquante sept locutions et expressions idiomatiques provenant de la Bible. Ces phrases sont partout autour de nous, des salles de tribunaux aux feuilletons télévisés, des livres de recettes aux paroles de musique pop.
De Milton à Morrison, de Coleridge à Cormac McCarthy, la Bible sert de base à la trame, au contexte, au langage et parfois même aux personnages de certaines œuvres de notre plus grande littérature. Tennyson fait plus de 400 références à la Bible dans ses poèmes et cite 42 livres de la Bible.
La Bible a inspiré de grands discours, du rêve de Martin Luther King sur l’accomplissement de la prophétie d’Isaïe selon laquelle un jour «toute vallée sera comblée» (Is 40, 4), au discours d’Abraham Lincoln à Gettysburg, dans lequel non seulement il employa des paroles de la Bible, mais également une cadence et un rythme empruntés à la Bible du roi Jacques. Lorsque Lincoln dit que ses ancêtres avaient «enfanté» une nation nouvelle, il imite la façon dont la Bible annonce la naissance de Jésus (Mt 1, 25).
La Bible parcourt également l’art. De Giotto au Greco, de Michel-Ange à Stanley Spencer. Les peintures de la chapelle commémorative de Sandham sont parmi les œuvres d’art que je préfère. Les soldats tombés à Salonique montant au ciel sont un exemple d’art religieux moderne d’une grande puissance. La Bible imprègne également la musique: des grands oratorio comme ceux des passions de Matthieu et de Jean de Johann Sebastian Bach au Messie de Haendel, à l’abondance de musiques et de chants écrits au cours des âges pour la Messe et les vêpres dans les grandes cathédrales, telles que celle où nous nous trouvons.
Il est impossible dans le cadre d’un bref discours de rendre justice à l’étendue de l’impact culturel de la Bible du roi Jacques. Mais ce qui est clair, c’est que quatre cents ans plus tard, ce livre est encore absolument fondamental pour notre langue et notre culture.
Bien que souvent, cela ne soit pas reconnu, la Bible influence également la politique. L’histoire et l’existence d’une monarchie constitutionnelle doivent beaucoup à la Bible, dans laquelle les rois étaient sacrés et sanctifiés par l’autorité de Dieu, et qui plaçait un clair accent sur le respect du pouvoir royal et sur le besoin de maintenir l’ordre politique. Jésus a dit: «Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu». Mais dans le même temps, les racines judéo-chrétiennes de la Bible posent également les fondements de la protestation et de l’évolution de notre liberté et démocratie. La Torah a établi les premières limites du pouvoir royal. La conscience que Dieu a créé l’homme à son image a été en quelque sorte ce qui a changé la donne pour la cause de la dignité humaine et de l’égalité. Dans le monde antique, le concept d’égalité était inconcevable. A Athènes, par exemple, la plénitude et l’égalité des droits étaient réservés aux hommes adultes et nés libres. Mais lorsque chaque personne dépend d’une force qui est au-dessus de nous tous et lorsque chaque être humain possède une importance égale et infinie, car créé à l’image de Dieu, apparaît alors le fondement inébranlable de l’égalité et des droits humains: un fondement qui a vu la Bible au premier plan de la naissance des démocraties, de l’abolition de l’esclavage et de l’émancipation des femmes.
De la même façon, la Bible a exercé une influence décisive sur les premières formes d’Etat providence. Dans l’Evangile de Matthieu, Jésus dit que ce que quiconque aura fait «à l’un des plus petits de ces frères» sera fait à Lui. De même que, par le passé, ce fut l’influence de l’Eglise qui permit de construire des hôpitaux, d’instituer des œuvres caritatives, de nourrir ceux qui avaient faim, de soigner les malades et de donner un toit aux pauvres, ainsi aujourd’hui, les groupes religieux sont au cœur de l’action sociale moderne.
Si dans son numéro du millénaire, «The Economist» a publié la nécrologie de Dieu, il n’en reste pas moins qu’au cours du siècle passé, la part des fidèles dans le monde appartenant aux quatre plus grandes religions a en réalité augmenté de deux-tiers à près de trois-quarts, et devrait continuer d’augmenter selon les estimations. Ici, en Grande-Bretagne, il suffit de voir la réaction positive qu’a eue la visite du Pape l’an dernier, les noces royales cette année ou les fêtes de Noël pour comprendre que le christianisme est bien vivant dans notre pays. Le point capital est le suivant: les sociétés ne deviennent pas nécessairement plus sécularisées avec la modernité, mais davantage pluralistes, avec une plus ample variété de fois et d’attachements religieux. Et cela me conduit au troisième point.
La Bible a contribué à forger les valeurs qui définissent notre pays. En effet, comme l’a dit un jour Margaret Thatcher, «nous sommes une nation dont les idéaux sont fondés sur la Bible». La responsabilité, le travail, la charité, la compassion, l’humilité, l’abnégation, l’amour et la fierté d’œuvrer en vue du bien commun et d’honorer les obligations sociales: telles sont les valeurs auxquelles nous tenons. Et oui, ce sont des valeurs chrétiennes. Nous ne devrions pas avoir peur de le reconnaître. Mais ce sont également des valeurs qui parlent à tous, aux personnes de toute foi ou d’aucune foi. Nous devons tous les soutenir et les défendre.
Ceux qui s’y opposent invoquent souvent la neutralité laïque. Ils soutiennent que, en déclarant être un pays chrétien défendant des valeurs chrétiennes, nous critiquons d’une certaine façon les autres confessions, et que la seule façon de n’offenser personne est de ne pas porter de jugement sur leur conduite. Je pense que ces arguments sont profondément erronés. Et être clairs sur ce point est fondamental pour montrer quel peuple nous sommes, ce que nous défendons et quel genre de société nous voulons édifier. Tout d’abord, ceux qui disent qu’être un pays chrétien signifie mépriser les autres confessions ne comprennent tout simplement pas qu’il est plus facile pour les personnes de croire et de pratiquer d’autres fois lorsque la Grande-Bretagne est certaine de son identité chrétienne. De nombreuses personnes me disent qu’il est plus facile d’être juifs ou musulmans ici, en Grande-Bretagne, que dans un pays laïc comme la France. Pourquoi? Parce que la tolérance que le christianisme exige de notre société garantit un plus grand espace aux autres religions également. Et parce qu’un grand nombre des valeurs d’un pays chrétien sont partagées par des personnes de toutes fois et même par des personnes d’aucune foi.
En deuxième lieu, ceux qui invoquent la neutralité laïque pour éviter d’exprimer des jugements sur le comportement d’autres personnes ne comprennent pas les conséquences de cette neutralité ou le rôle que la foi peut jouer pour aider les personnes à avoir un code moral. Soyons clairs: la foi n’est pas une condition nécessaire ni suffisante de la moralité. Il y a des chrétiens qui ne vivent pas selon des codes moraux. Et il y a des athées et des agnostiques qui en revanche ont des codes moraux. Mais pour ceux qui ont une foi, celle-ci peut être un encouragement utile pour suivre le droit chemin. Et ce droit chemin, ce code moral, qu’il soit ou non inspiré par la foi, est important.
Que l’on considère les émeutes de l’été dernier, la crise financière, le scandale des dépenses des parlementaires, ou la menace terroriste constante de la part des extrémistes islamiques dans le monde, une chose est claire: la neutralité morale ou la tolérance passive ne les élimine absolument pas. Renoncer à dire la vérité sur la conduite et la moralité a en effet contribué à provoquer certains des problèmes sociaux qui sont au cœur de l’anarchie que nous avons vue au cours des émeutes.
L’absence de toute responsabilité réelle ou de code moral a permis à certains banquiers et hommes politiques de se comporter avec bien peu de respect pour le reste de la société. Et lorsqu’il s’agit de combattre l’extrémisme violent, la tolérance passive et presque craintive de l’extrémisme religieux qui a permis à des communautés isolées de se comporter de façon totalement contraire à nos valeurs, n’a en aucun cas canalisé l’extrémisme, mais lui a permis de croître et de prospérer, en jetant dans le même temps une ombre sur la réputation des grandes religions, dont ces extrémistes abusent pour parvenir à leurs propres fins. Autrement dit, pendant trop longtemps, nous nous sommes refusés de faire la distinction entre le bien et le mal.
«Vis et laisse vivre» est trop souvent devenu «fais ce que tu veux». Trop souvent, les mauvais choix ont été justifiés comme étant simplement des styles de vie différents. Affirmer avec certitude que quelque chose est mal n’est pas un signe de faiblesse, mais une force. Mais nous ne pouvons pas combattre quelque chose avec rien: comme je l’ai dit, si nous n’avons rien à défendre, nous ne pouvons rien combattre.
L’une des plus grandes leçons des émeutes de l’été dernier est que nous devons défendre nos valeurs si nous voulons combattre l’effondrement moral qui est progressivement apparu dans certaines parties de notre pays au cours des dernières générations.
La même chose vaut pour l’extrémisme religieux. Dans L’audace d’espérer, le président américain Barack Obama a écrit que «en réaction au fanatisme religieux, nous assimilons la tolérance au sécularisme, et nous perdons le langage moral qui aiderait à donner une signification plus profonde à notre politique». Franchement, nous avons beaucoup moins besoin de la tolérance passive des dernières années que d’un libéralisme musclé bien plus actif. Une société passivement tolérante dit à ses citoyens: tant que vous obéissez à la loi, on vous laissera en paix. Elle garde sa neutralité entre les différentes valeurs. Mais je crois au contraire qu’un pays véritablement libéral va beaucoup plus loin: il croit en certaines valeurs et les promeut activement.
Nous devons défendre ces valeurs. Dire avec certitude aux personnes: «voilà ce qui nous définit en tant que société, et appartenir à ce pays signifie croire en ces choses». Je crois que l’Eglise — et même tous les responsables religieux et leurs communautés en Grande-Bretagne — peuvent jouer un rôle vital pour contribuer à parvenir à cela. Je n’ai jamais vraiment compris le raisonnement de certaines personnes selon lesquelles l’Eglise ne doit pas intervenir dans la vie politique. Pour moi, le christianisme, la foi, la religion, l’Eglise et la Bible sont tous étroitement mêlés dans la vie politique, car un grand nombre de questions politiques sont également des questions morales.
Je ne m’oppose certainement pas à ce que l’archevêque de Canterbury exprime ses opinions sur la politique: la religion possède une base morale, et s’il n’est pas d’accord avec quelque chose, il a le droit de le dire. L’avenir de notre pays est parvenu à un moment décisif. Les valeurs que nous puisons dans la Bible sont au cœur de ce que cela signifie d’appartenir à ce pays; et l’Eglise d’Angleterre peut nous aider à maintenir cet état de chose.