Dans cet ouvrage, Agrippa d’Aubigné parle librement de ses rapports d‘amitié tumultueuse avec Henri IV.
Après l’attentat de Châtel , Agrippa d’Aubigné, alla le voir en son logis pendant le siège de La Fère. L‘attentat perpétré par Chatel, qui avait frappé d’Henri IV à la lèvre (27 décembre 1594) avait ému profondément tout le pays. Certains ne manquèrent pas naturellement d‘y voir un avertissement de Dieu au roi infidèle, pour rappeler vers lui son cœur, et l‘on voit avec quelle franchise et même quelle brutalité de langage d‘Aubigné traduit ici ce sentiment.
Voici comment il nous rapporte cette démarche hardie :
„…Étant donc arrivé au logis de la Duchesse de Beaufort (Gabrielle d‘Estrée à Folembray ou Coucy) où l‘on attendait le roi, deux Gentilshommes de marque le prièrent affectionnement de remonter à cheval pour la fureur où le roi était contre lui ; et de fait, il entendit quelques Gentilshomes disputants si on le mettrait entre les mains d‘un capitaine des gardes, ou du prévôt de l‘hôtel. Lui se mit au soir entre les flambeaux qui attendaient le roi : et comme le carosse para au perron de la maison, il ouït la voix du roi disant : Voilà Monsieur Monseigneur d‘Aubigné! Quoique cette Seigneurie ne lui fût pas de bon goût, il s‘avança à la descente : le roi lui mit la joue contre la sienne, lui commanda d‘aider à sa maitresse, la fit démasquer pour le saluer, et on oyait dire aux compagnons : Est-ce là le Prévôt de l‘hôtel ? Le roi donc ayant défendu d‘être suivi fit entrer Aubigné seul avec sa maitresse et sa sœur Juliette ; il le fit promener entre la Duchesse et lui plus de deux heures , ce fut là où se dit un mot qui a tant couru : car le roi montrait sa lèvre percée au flambeau, il souffrit, et ne prit point en mauvaise part ces paroles : Sire, vous n‘avez encore renoncé Dieu que des lèvres, il s‘est contenté de les percer ; mais quand vous le renoncerez du cœur, il vous percera le cœur".
Mais un autre protestant illustre, Duplessis-Mornay, sous une forme plus atténuée, pense et dit la même chose :
„Ma fidélité peut dire encore un mot, sire : Dieu veut être écouté quand il parle ; il veut que nous le sentions aussi quand il nous frappe, les grands principalement que nul ne peut châtier que Lui. Je m‘assure donc que Votre Majesté fera profit de cette affliction, non pour vous garder de pareils attentats, il sera vostre garde ; mais pour ressentir sa main sur le péché, pour n‘en attirer la pesanteur, abusant de sa patience ; ains la détourner en vous convertissant à Lui, en vous divertissant de tout ce qui provoque son ire.“
Il est probable que, lorsque d‘Aubigné proféra cette menace, elle n‘avait pour lui-même d‘autre portée que celle d‘un avertissement, destiné à réveiller par une crainte salutaire la foi chancelante au cœur du roi. Mais ensuite, confirmée par l‘événement, elle prit à ses yeux une valeur prophétique, et il ne douta plus qu‘il n‘eût été le porte-parole de Dieu.
Il raconte également comment le roi, tombé gravement malade à Travecy, près da La Fère, le fit chercher partout. Après l‘avoir enfermé dans une chambre avec lui… il le conjura au nom de tous les avertissements qu‘il lui avait déjà prodigués de lui dire si son abjuration n‘était pas un péché irrémissible. Aubigné le renvoya à l‘examen de lui-même devant Dieu. Mais le lendemain le roi alla mieux et ne voulut plus entendre parler de tout cela…
Décidement, le livre d'Agrippa d'Aubigné était bien dérangeant. On comprend que trop bien qu'on aie décidé de le brûler... Mais était-ce la bonne solution ?