17 novembre 1815. « La Viehmann » et les frères Grimm
Les frères Jacob Grimm (1785-1863) et Wilhelm Grimm (1786-1859) sont deux linguistes, philologues et collecteurs de contes de langue allemande. Depuis la première parution en 1812-1815 de leur œuvre commune la plus significative, des recueils de contes et légendes pour enfants, les « Contes pour l’enfance et le foyer » (201 contes et 10 légendes), ils comptent parmi les écrivains les plus lus dans le monde. Le recueil est aujourd'hui le plus souvent rebaptisé en français « Les Contes de Grimm ». Depuis 2005, l'ouvrage figure au Registre international Mémoire du monde de l'UNESCO.
Le pasteur de l’église française protestante de Kassel a amené chez les frères Grimm Dorothea Viehmann (1755-1816), née Pierson, qui fait partie des nombreux protestants d'origine messine qui se sont réfugiés en Hesse après la révocation de l'Édit de Nantes.
Après le Brandebourg, la Hesse est la région d'Allemagne qui accueillit le plus grand nombre de réfugiés et ce, sous l'impulsion du langrave Charles Ier de Hesse (1677-1730).Ce dernier procéda comme l'Electeur de Brandebourg pour attirer les réfugiés dans ses états, il promulgua trois chartes dont deux dès avant la révocation de l'Edit de Nantes; les privilèges, aides à la construction, franchises et autres avantages sont quasi semblables à ceux offerts par Frédéric Guillaume.
L’arrière-grand-père paternel de Dorothée Viehmann, Isaac Pierson né à Metz (1655-1741) fit partie des premières vagues de réfugiés qui gagnèrent la Hesse. Il s'établit dans la colonie de Schöneberg près de Hofgeismar. Son grand-père, Jean-Frédéric Pierson(1697-1777) devient hôtelier et son père, Jean Frédéric Isaac Pierson (1734-1798) dirige l'auberge de la "Knallhütte" où Dorothée a grandi.
Veuve du maître tailleur, Nicolas Viehmann, bourgeoise sans fortune, couturière cultivée, elle n’est en rien la « paysanne » qu’on a fait d’elle par la suite. Tant par ses origines sociales que familiales, elle est représentative de l’essentiel des conteuses et conteurs sollicités par les frères Grimm. Tous sont issus sont issus de la bourgeoisie ou de la noblesse, à une ou deux exceptions près, et fait marquant, presque tous d’origine huguenote, donc française (notamment les Hassenpflug et Wild).
Dans la préface au second volume paru en 1815 Wilhelm la décrit ainsi :
« Cette femme, qui est encore vigoureuse et n’a guère dépassé la cinquantaine, s’appelle Viehmann ; elle a un visage énergique et agréable, un regard clair et pénétrant, et il est probable que dans sa jeunesse elle était belle. Elle conserve ses vieilles légendes fermement dans sa mémoire, un don, dit-elle, qui n’est pas accordé à tout le monde, bien des gens ne pouvant retenir quoi que ce soit ; avec cela, elle raconte d’une façon réfléchie, sûre et extrêmement vivante, en prenant elle-même plaisir à l’histoire, d’abord fort librement, puis, si on le désire, en répétant lentement, si bien qu’avec quelque entraînement on peut écrire sous sa dictée. Plus d’un passage a été de cette façon textuellement conservé et on ne pourra pas ne pas remarquer le ton de la vérité ».
De fait « la Viehmann », avec ses 37 contes, contribuera fortement au second volume qu’elle aura encore la chance de tenir dans ses mains avant de mourir, le 17 novembre 1815. On lui doit notamment : « Docteur-Je-sais-tout, Le compagnon meunier et la petite chatte, Le Diable et sa Grand-mère, La Gardeuse d’oies, La Paresseuse au rouet, Le clair soleil le révélera au grand jour ». Nombre des contes qu’elle transmet évoquent les peines et la misère vécues par le peuple, qui se transforment en or.
Source : François Mathieu, Jacob et Wilhelm Grimm, Editions du Jasmin, p 65-66, 81