13 décembre 1944. Lettre de Noël de Bonhoeffer
A Noël 1944, depuis sa geôle du camp de concentration de Flossenburg, le pasteur Dietrich Bonhoeffer écrit à sa fiancée, Maria von Wedemayer, une lettre intitulée « mes vœux de Noël pour toi, pour nos parents et leurs frères et sœurs ».
Le contexte en est sombre : son frère est mort au front, un autre, avec ses deux beaux-frères, est en instance d’exécution pour conspiration contre Hitler, lui-même sera pendu le 9 avril suivant pour « affaiblissement de la puissance combative de la patrie » du fait de son inlassable activité théologique et pastorale contre l’idéologie nazie.
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L’extrait de cette lettre, datée du 13 décembre 1943, est un témoignage lumineux d’espérance et de foi.
« […] Combien est grand le danger de se sentir livré à un hasard aveugle, de quelle manière pernicieuse la méfiance et l’amertume s’insinuent-elles dans notre cœur, et avec combien de facilité cette idée puérile nous conquiert, comme si nous étions dans notre vie, nos chemins et nos destinées entre les mains des hommes – et lorsque tout cela nous assaille au point que nous ne pouvons guère plus nous défendre, alors le message de Noël arrive juste au bon moment. Il nous dit que toutes nos pensées sont fausses, que ce qui nous paraît mauvais et obscur est en vérité bon et lumineux, parce que cela vient de Dieu ; ce sont nos yeux seulement qui nous trompent ; Dieu est dans la crèche, la richesse dans la pauvreté, la lumière dans la nuit, le secours dans l’abandon ; il ne nous arrive rien de mal ; […] Il n’est pas question ici de l’impassibilité stoïque vis-à-vis de tous les événements extérieurs, mais d’une souffrance et d’une joie véritable, parce que nous savons que le Christ est là présent. Maria bien-aimée, fêtons Noël de cette manière. Sois au milieu des autres, aussi gaie qu’on ne peut l’être qu’à Noël. Ne t’imagine pas des images horribles de moi dans ma cellule, mais simplement que le Christ traverse aussi les prisons, et qu’il s’arrêtera dans la mienne. »
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Cette lettre contenait le poème suivant, devenu par la suite un des textes les plus chantés en Allemagne, que ce soit à l’école ou dans les églises de toutes confessions.
Von guten Mächten
Oh fidèle et silencieuse présence de puissances bienveillantes,
qui merveilleusement protègent et consolent,
c’est en elle que je veux vivre ces jours en votre compagnie
et entrer avec vous dans une année nouvelle.
Oh merveilleux secours de puissances bienveillantes,
en lequel nous attendons, confiants, ce qui adviendra.
Dieu est avec nous au soir et au matin
et très certainement à chaque nouveau jour.
Nos cœurs peinent encore sous un joug ancien,
pèse sur nous le fardeau des mauvais jours,
Ah Seigneur, donne à nos âmes effrayées
le salut pour lequel Tu nous as créés.
Et si Tu nous tends le lourd calice, l’amer
calice de la souffrance, rempli jusqu’au bord,
nous le recevrons, reconnaissants, sans trembler,
de ta main bonne et aimée.
Mais Tu veux nous réjouir encore une fois
à ce monde et à l’éclat de son soleil,
et nous voulons nous ressouvenir du passé,
pour T’offrir toute entière notre vie.
Fais s’élever aujourd'hui la flamme chaude et claire
que Tu as apportée dans nos ténèbres,
fais-nous nous rencontrer à nouveau, si cela peut être.
Nous le savons, ta lumière brille dans la nuit.
Lorsque fond sur nous le profond silence,
fais nous entendre ce plein accord du monde,
qui invisible s’élève autour de nous,
le chant de louange de tous tes enfants.
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1. Von guten Mächten treu und still umgeben,
behütet und getröstet wunderbar,
so will ich diese Tage mit euch leben
und mit euch gehen in ein neues Jahr.
2. Noch will das alte[8] unsre Herzen quälen,
noch drückt uns böser Tage schwere Last.
Ach Herr, gib unsern aufgeschreckten[9] Seelen
das Heil, für das du[10] uns geschaffen[11] hast.
3. Und reichst du uns den schweren Kelch, den bittern
des Leids, gefüllt bis an den höchsten Rand,
so nehmen wir ihn dankbar ohne Zittern
aus deiner guten und geliebten Hand.
4. Doch willst du uns noch einmal Freude schenken
an dieser Welt und ihrer Sonne Glanz,
dann wolln wir des Vergangenen gedenken,
und dann gehört dir unser Leben ganz.
5. Laß warm und hell[12] die Kerzen heute flammen,
die du in unsre Dunkelheit gebracht,
führ, wenn es sein kann, wieder uns zusammen.
Wir wissen es, dein Licht scheint in der Nacht.
6. Wenn sich die Stille nun tief um uns breitet,
so laß uns hören jenen vollen Klang
der Welt, die unsichtbar sich um uns weitet,
all deiner Kinder hohen Lobgesang.
7. Von guten Mächten wunderbar geborgen,
erwarten wir getrost, was kommen mag.
Gott ist bei uns am Abend und am Morgen
und ganz gewiß an jedem neuen Tag.
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