A la fin du 1
er siècle, les témoins oculaires et les contemporains du Christ ont pratiquement tous disparu mais les églises qu’ils ont fondées dans le monde méditerranéen grandissent rapidement et une nouvelle génération étroitement liée aux apôtres, ou à leur héritage direct, émerge. Venue principalement du paganisme, cette génération participe activement au développement des églises et fournit un témoignage unique de la foi chrétienne des commencements. Guidée par une volonté commune d’adhérer au message de la foi reçue des apôtres, elle réfléchit au sens des paroles et des actes du Christ lui-même en traçant son chemin sans vouloir céder aux tentations du repli sectaire ou du syncrétisme ambiant. Ses responsables ont une conscience aigue de l’unité de l’Eglise, déjà considérée comme « universelle »
(2) . Leurs écrits, de tendance essentiellement pratiques et parénétiques, mettent l’accent sur la confession de Jésus comme le Christ et Fils de Dieu ; certains, telle la Didaché, consistent d’abord en des prescriptions générales en matière de liturgie, de comportement moral et de discipline ecclésiastique même si la question christologique n’est jamais éludée. En somme, cette nouvelle génération s’efforçait de présenter les faits importants de l’événement du salut arrivé en Jésus-Christ, d’en donner une interprétation et de permettre, par une véritable pastorale liturgique, de maintenir une relation vivante avec le Christ ressuscité qui transcende toute histoire.
Si les écrits des Pères apostoliques cherchent tous à expliquer aux croyants de la jeune Eglise l’unicité du salut en Jésus-Christ, Fils de Dieu, leurs arrière-plans géographique, culturel, ecclésial et philosophique varient. Point d’uniformité donc, mais des sensibilités théologiques et ecclésiologiques distinctes, des cheminements contrastés, des cultures diversifiées. Claude Mondésert résume :
Disséminés dans le temps et dans l’espace, plus ou moins bien conservés (…), dépourvus de la cohésion que possède le groupe compact des évangiles et des écrits apostoliques qui s’éclairent les uns les autres, de date seulement approximative, pleins d’allusions à des circonstances concrètes assez mal connues, dans un style parfois étrange ou maladroit, ces textes précieux n’exposent pas une histoire complète, méthodique, équilibrée, ce ne sont que des passages d’émissions entendues par intermittence, parfois un peu ‘brouillées’, en somme quelques échos qui nous parviennent de telle ou telle communauté perdue dans l’immensité de l’Empire romain (…) (3) .
Dès lors, comment appréhender leurs cheminements théologiques respectifs ? Plus spécifiquement, comment comprendre les lignes force des énoncés christologiques de chacun sans faire abstraction du caractère encore approximatif d’un raisonnement en phase d’élaboration ni plaquer sur les textes une théologie post-chalcédonienne et donc forcément anachronique ? Aborder de front les problèmes méthodologiques que ces questions soulèvent, c’est déjà y répondre en partie. Ce sera la première section de cette contribution. Cela fait, nous pourrons nous pencher sur les différents textes en faisant apparaître la variété des discours christologiques dont ils témoignent comme la manifestation d’une tendance propre au christianisme primitif aux prises avec les défis d’une pensée en quête de cohérence et d’une église en phase de structuration. Il s’agira, d’autre part, de saisir la combinaison d’unité et de diversité des énoncés christologiques comme une chance non seulement de nous sensibiliser aux efforts de formulation et d’élucidation des premiers docteurs de l’Eglise primitive mais également de découvrir les véritables enjeux propres à chacun.
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