Elian Cuvilier, Au pied de la lettre. Ces textes bibliques qui nous résistent, Genève, Labor et Fides, 2023, 203 p.
On ne peut que se réjouir d’avoir de nouveau accès, dans la collection déjà riche des Essais Bibliques de la maison Labor et Fides, à un ouvrage exégétique accessible à tous. Ouvrage que l’on peut lire, qui plus est, de manière partielle ou aléatoire, étant donné sa répartition en chapitres distincts et autonomes.
Au premier abord pourtant, le titre annoncerait une entreprise difficile. Des textes qui résistent, le corpus biblique en contient un certain nombre, et les raisons de leur résistance peuvent se révéler très techniques, dès lors qu’elles concernent leur datation ou l’étude critique des manuscrits.
La démarche suivie par Elian Cuvilier emprunte une autre voie, tributrice de la discipline qu’il enseigne à l’Institut Protestant de Théologie de Montpellier : la théologie pratique. Cette voie est celle d’une exégèse intégrale, menant du texte à ses conséquences éthiques. Là se trouve l’intérêt majeur de cet ouvrage qui veut offrir pour chaque péricope abordée – toutes tirées du Nouveau Testament - une ouverture de sens, autrement dit assumer une interprétation qui se trouve présentée en quelques pages à partir d’une synthèse exégétique solidement étayée.
Conformément au titre choisi, l’auteur propose ici à ses lecteurs de rester « Au pied de la lettre », de s’agenouiller devant le texte et « de se laisser éprouver par le texte biblique sans en adoucir les aspérités » (p. 11) comme il l’indique en introduction. Position qui consiste à se tenir dans la littéralité du texte (en prenant au sérieux son sens littéral), sans tomber dans le littéralisme (en le surinterprétant à partir d’une synthèse dogmatique pré-établie). La distinction, utile, est tenue fidèlement, en évitant le principal risque de la démarche, qui serait d’isoler des textes pour en faire des objets de curiosité coupés de toute intertextualité avec le reste du corpus biblique. Par ailleurs, le panel des péricopes retenues se veut respectueux de la composition du Nouveau Testament : cinq des évangiles, cinq des épîtres pauliniennes, une de l’épître de Jacques, et deux du livre de l’Apocalypse.
L’exégèse proposée de Matthieu 27, 50-53 se montre paradigmatique de l’ensemble. En parcourant l’histoire de l’interprétation de ce récit de résurrection où les saints ressuscitent simultanément au Christ, Elian Cuvilier met en avant la gêne provoquée par le texte chez les exégètes, les menant à des choix hasardeux de critique textuelle. Il les appelle tentatives de « réparer l’Evangile » pour le rendre plus conforme à l’annonce attendue. Des tentatives à écarter, selon l’auteur.
L’évocation de la condition féminine occupe une place significative dans l’ouvrage. Deux chapitres l’évoquent, l’un consacré la femme Cananéenne de Matthieu 15, l’autre à la question épineuse de la maternité selon 1 Timothée 2, 15. On pourrait y ajouter une étude sur Jean 8 (la femme adultère), mais celle-ci est consacrée à l’écriture de Jésus sur le sable.
Dans les cinq études consacrées aux épîtres pauliniennes, je relèverais particulièrement l’approche ciblée du hos mè, ce « vivre comme non », ainsi que l’expression est traduite par l’auteur à partir de son analyse de 1 Corinthiens 7. Mais également la reformulation proposée de la théologie de la croix selon 1 Corinthiens 1, mettant en valeur le caractère si singulier de cette proclamation. Ces deux chapitres se révélant particulièrement intéressants pour une réflexion théologique sur la question actuelle de l’identité.
Tantôt attachée à des questions historico-critiques, comme pour l’étude d’Apocalypse 20 menée principalement à partir du Sitz im Leben du texte, ou à des questions de traduction et d’historiographie, dans le cas de 1 Thessaloniciens 2, 7, le commentaire d’Elian Cuvilier cible un problème, puis le traite jusqu’à l’effort de réception. La variété des péricopes, celle des outils utilisés dans l’exégèse, ainsi que la variété des thématiques feront de l’ouvrage une initiation par l’exemple à l’exégèse aux yeux d’un large public, et, de manière plus partielle, pourront apporter quelques réponses à des lecteurs plus avertis. Ceux-là trouveront sans doute des perspectives dans les références philosophiques nombreuses associées par l’auteur à son commentaire, même si celles-ci nous entraînent parfois un peu loin de la lettre au pied de laquelle nous étions invités à rester.
J.N. Petit