Quelle surprise ! Abdel attend aussi le train pour Paris. Pendant le trajet, il utilise les quelques mots français qu’il connaît. Puis sort rapidement son mini-dictionnaire franco-arabe. Devant notre curiosité, il tente d’apprendre à ma fille et moi quelques lettres arabes. L’ambiance est bon enfant.
À Paris, le billet de Lucy se trouve démagnétisé. Abdel lui offre un ticket tout neuf et décide de porter son sac jusqu’à notre arrivée...
Abdel fait partie des soixante-trois migrants logés depuis août à Bray, à quatre-vingt kilomètres de Paris.
Accueil mitigé et contrevérités
À l’annonce de leur arrivée, les fausses rumeurs ont circulé. Sur leur prétendu « haut revenu », en fait une allocation de soutien de 343 € par mois. Sur leur supposée dangerosité, alors que ce sont eux qui sont menacés. Sur la remise en état de leurs logements, présentée comme une complète rénovation. En fait, un simple nettoyage de logements HLM trop abîmés pour pouvoir être loués.
Des aides simples et efficaces
Au contraire, nous étions une vingtaine à décider de tout faire pour qu’ils soient accueillis humainement. Comme nous aurions aimé l’être si nous étions dans leur cas. Avec l’aide de la mairie, de l’association La Rose des vents et du Secours Catholique, des cours de cuisine et de français se sont organisés. Des rencontres festives ont permis de faire connaissance avec leurs voisins. Un groupe privé sur Facebook noue une chaîne de solidarité d’environ quatre-vingt personnes pour leur apporter des vêtements, de la vaisselle, deux machines à laver... Ou simplement les récupérer à la gare (située à vingt kilomètres) quand la nuit est tombée.
Progresser pas à pas
Nos nouveaux amis ont souffert des choses terribles : la guerre, la persécution, la mort violente de leurs proches, la torture... Ils sont brisés moralement et physiquement mais en parlent peu.
Ils sont soudanais, érythréens, afghans, tchadiens... Ils étaient ouvriers, mécaniciens, interprètes, étudiants en médecine... enfants ou pères de famille. Ils sont réfugiés. Ils ont perdu la santé, la dignité, le sourire. Mais pas le courage. Il en faut pour parcourir des milliers de kilomètres, risquer d’être avalés par l’océan, pour se retrouver à vivre dans la rue ou dans des bidonvilles en Europe. L’espoir de vivre en paix et en sécurité leur fait endurer les brimades et les humiliations.
Certains parlent déjà bien le français ou parlent couramment l’anglais. Wana écrit de magnifiques poèmes et aimerait publier son histoire. D’autres ne sont jamais allés à l’école. Il faut poser les bases de l’apprentissage. Huit duos de bénévoles s’y efforcent. J’en fais partie.
Qui doit dire merci à qui ?
Nos élèves imposent de nettoyer la salle de cours à notre place. Un jour, l’un d’eux nous dit : « Vous avez vos travails, vos maris, vos enfants, vos familles et pourtant vous trouvez encore du temps pour nous. Merci. »
C’est vrai que nous leur donnons beaucoup de notre temps : 4 à 5 heures par semaine par bénévole. Mais ce temps passe très vite. L’amitié, la générosité, la bonne humeur qui règnent dans les cours nous revivifient. Leurs sourires sont notre salaire. Et nous sommes grassement payés !
Après le dernier cours, Abdel a proposé de nous enseigner l’arabe. C’est avec joie que nous avons accepté.