La méditation est à la mode. Et il faut reconnaître que dans notre société de bruit, de publicité et d’agitation, un retour au silence et à une certaine profondeur semblent bienvenus. Lorsque l’on parle aujourd’hui de méditation, on pense surtout, soit à une discipline venue d’Orient, de l’Inde ou du bouddhisme japonais ou tibétain, soit à une de ses versions laïcisées comme la méditation de pleine conscience. Mais qu’en est-il dans le christianisme ?
Méditer la Parole
Une des difficultés pour répondre à cette question est celle de la définition des mots. Le mot « méditation » existe en christianisme depuis très longtemps mais a un sens différent de celui auquel nous pensons le plus souvent aujourd’hui. La méditation est une manière de s’approprier un texte ou une vérité de la foi en la laissant descendre de notre tête à notre cœur. On médite ainsi sur quelque chose, comme l’indique le premier Psaume qui nous parle de méditer, murmurer, « ruminer » la loi de Dieu. Cette tradition spirituelle remonte donc à la Bible et prendra une forme classique dans ce qu’on appellera la « lectio divina » qui sera pratiquée, dès le Moyen Âge, par les moines. Cette approche a retrouvé une force nouvelle dans les Églises, ces dernières décennies.
Au 16ème siècle, la Réforme reprendra, simplifiera et généralisera cette pratique en en faisant la base de la spiritualité protestante. Il s’agit alors de méditer la Parole de Dieu pour s’en nourrir. Elle ne s’adressera plus seulement à une minorité de chrétiens, mais elle s’adressera à tous les chrétiens qui liront et méditeront le texte biblique et en nourriront leur prière. Cette ouverture à tous de la méditation qu’a opérée la Réforme sera reprise, à partir du concile de Vatican II dans l’Église catholique lorsqu’elle recommandera à tous la lecture de la Bible.
Méditation et contemplation
Si l’Orient connait aussi des méditations portant sur des textes, des vérités de la foi ou des circonstances de l’existence, le mot évoque souvent, peut-être à cause du succès du Zen, la méditation silencieuse. Et c’est cette approche du silence et d’une certaine profondeur qui séduit nos contemporains, qui ont soif de cette dimension si étrangère à notre société de consommation. Faut-il reconnaître que le christianisme lui-même ne s’y est guère intéressé et se résoudre à chercher cette profondeur dans des traditions dont l’exotisme est, pour beaucoup, un attrait supplémentaire ?
Ce serait oublier que cette méditation silencieuse existe aussi, depuis les débuts du christianisme, mais qu’elle est plus connue sous le nom de contemplation ou prière contemplative. C’est d’ailleurs le quatrième et dernier temps de la lectio divina. Il s’agit bien d’une prière car elle tourne l’homme vers Dieu, mais une prière qui ne lui adresse pas des demandes ou des louanges ou toutes autres paroles. Il s’agit plutôt d’une simple présence à Dieu, faite de silence, d’attention et d’amour. Certains parleront « d’attention amoureuse ». Un de ses fondements, c’est la conviction que par son Esprit, Dieu est présent en nous. C’est ce que dit Jésus : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole et mon père l’aimera ; nous viendrons vers lui et nous ferons notre demeure chez lui. » L’apôtre Paul développera lui aussi ce thème lorsqu’il écrit aux chrétiens de Corinthe : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? »
Pour le chrétien, Dieu est présent en lui par son Esprit et veut le transformer. Le silence est alors ouverture à l’Esprit, ouverture au Christ en soi. Certains ont parlé de Guide intérieur ou de Lumière intérieure.
La contemplation dans l’histoire chrétienne
Les pères du désert, ces premiers moines des 3ème et 4ème siècles se sont appliqués à rester en communion avec Dieu en répétant dans leur cœur telle parole de la Bible ou telle courte formule, souvent autour du nom de Jésus, pour éviter à l’esprit de partir dans tous les sens. Cette pratique s’est perpétuée jusqu’à aujourd’hui dans les Églises chrétiennes d’Orient. Les Églises d’Occident ont connu cette prière sous d’autres formes, mais il est vrai que cette pratique a tendu à disparaître ces derniers siècles ou à rester cloisonnée dans certains monastères et de petits groupes spirituels jusqu’au milieu du 20ème siècle.
Le renouveau de la prière silencieuse
Depuis le 20ème siècle – et peut-être parce que beaucoup d’occidentaux partaient trouver ailleurs ce qu’ils estimaient manquer au christianisme de leur enfance – la prière silencieuse a connu un regain d’intérêt et beaucoup se sont penchés sur cette vieille tradition chrétienne. Dans les différentes Églises, elle s’est développée sous des noms divers : « la prière contemplative », « la méditation chrétienne », « la prière du cœur », « la prière de simple présence »... Elle ne veut pas se substituer à la lecture méditée de la Parole ou aux autres formes de prière.
Cette prière silencieuse est le rappel qu’il ne faut pas oublier le quatrième temps de la lectio divina. Peut-être cela corrige-t-il un peu cette tendance à l’intellectualisme que les Églises connaissent bien et qui est un des traits majeurs de notre civilisation ? Les chrétiens avaient besoin de retrouver la place et le rôle de l’Esprit de Dieu et de leur corps dans la spiritualité, le mouvement charismatique a été une réponse.
Nous avons aussi tous besoin d’intériorité, de silence, de retrouver cette capacité d’écouter Dieu lorsqu’il parle silencieusement à notre cœur. Tous ne ressentent sans doute pas ce besoin ; nous sommes différents les uns des autres, même dans notre soif de Dieu. Mais c’est certainement une des réponses que le Christ propose à notre époque pour étancher la soif de beaucoup. Sachons le reconnaître et nous en réjouir.
Jean 14.23 ; 1 Corinthiens 3.16