Cher Bartolomé,
Devine d’où je t’écris? Pense donc, je suis à la maison. Oui, contre toute attente, j’ai été libéré !
Je vais essayer de te raconter ce qui s’est passé. Tu verras, c’est à peine croyable.
Il y a quelques jours, j’ai entendu beaucoup de bruit dans la prison. Apparemment, on amenait un nouveau prisonnier. J’ai tendu l’oreille. Je n’ai pas tout saisi, mais j’ai compris, à leur façon de parler que c’était les prêtres qui l’accusaient. Lui, je ne l’ai pas entendu. Après, les voix se sont éloignées. Quand un garde est passé près de ma cellule, je lui ai demandé ce qui se passait. Il m’a dit qu’on avait arrêté un certain Jésus. Je me suis dit que c’était peut-être ce faiseur de miracles dont tu m’as parlé la dernière fois qu’on s’est vu.
Le lendemain, très tôt le matin, J’ai à nouveau entendu des voix. Cette fois, elles étaient très hargneuses. J’ai compris qu’on faisait comparaitre ce Jésus devant Pilate, le gouverneur. Tu sais qu’il siège tout près de ma cellule, de plus le vent m’apportait leurs paroles. Tu imagines bien qu’un peu de distraction n’était pas pour me déplaire. C’était vraiment bizarre, il était accusé d’être roi des Juifs. J’aurais pensé que c’était plutôt un affront fait à nos dirigeants. Mais c’étaient les religieux qui voulaient sa mort.
Bref, c’est là qu’il s’est passé quelque chose d’extraordinaire. Tu te souviens de cette coutume qui consiste à relâcher un prisonnier le jour de la Pâque? J’ai cru entendre que Pilate leur proposait de relâcher Jésus, mais j’ai soudain entendu la foule crier : « Crucifie-le ! » Ensuite de nombreuses voix ont scandé mon nom : « Barrabas ! Barrabas ! Libère-nous Barrabas !... » Plus tard, on est venu me dire que j’étais libre !
Tu te doutes bien que je n’ai pas demandé mon reste. Je suis sorti en vitesse. En traversant le palais de justice, j’ai quand même entrevu un homme revêtu d’un manteau rouge et qui portait une couronne de ronces. Les soldats lui crachaient dessus et se moquaient de lui. Tout cela m’a tellement étonné que je me suis mêlé à la foule pour voir ce qui se passait. Je te passe les détails sauf pour te dire que quelques heures plus tard, je l’ai revu. Il portait le bois qui sert aux crucifixions depuis que les romains ont envahi notre pays. Il pliait sous le poids, mais il ne se plaignait pas. On l’a fait sortir de la ville et c’est là qu’on l’a crucifié. Je n’ai jamais vu un homme mourir comme lui. Imagine, il demandait à Dieu de pardonner à ses bourreaux ! Moi, je me sentais un peu coupable de le voir là, quand c’est moi qui aurais dû y être. Tout à coup il a fait nuit en plein jour. C’était angoissant. Alors il a poussé un grand cri et il est mort.
Il a régné une atmosphère étrange à Jérusalem pendant les jours suivants. Mais la plus grande surprise était encore à venir. Alors que je quittais Jérusalem, j’ai entendu dire que des gens l’avaient vu. Je n’y croyais pas, mais imagine ma surprise quand, en passant près de chez Rufus, je l’ai vu ! Tu peux penser que je suis devenu fou, mais je suis certain que c’était lui, il avait encore la marque des clous sur ses mains. À un moment, il s’est tourné vers moi et m’a regardé. J’aurais bien voulu lui parler, mais j’ai eu peur qu’il me reproche d’être mort à ma place. Pourtant, je n’ai pas vu de trace de rancune dans ses yeux.
Tu vois : je suis heureux d’être en liberté, mais je n’arrête pas de me poser des questions.
Quand viendras-tu me voir ? Ce que tu m’avais dit à son sujet m’avait fort intéressé à l’époque. Je compte sur toi car j’aimerais bien percer son mystère.
Barrabas