Parlez-nous de la vie à la campagne avec les enfants.
À la ville, il faut emmener les enfants au parc et surveiller leurs jeux. Chez nous, ils pouvaient jouer dehors, sortir et rentrer sans besoin de surveillance. Nous pouvions donc faire ce que nous avions à faire de notre côté. Par contre, les choses sont devenues plus difficiles dès qu’ils ont quitté l’école primaire. Il fallait les conduire en voiture pour tout.
Avez-vous rencontré des contraintes particulières liées à votre métier ?
Travail et vie ne faisaient qu’un. Nous n’avions pas de vacances, pas de weekend, mais c’était normal. Se lever tôt et faire nettement plus de huit heures par jour n’a jamais été une difficulté. Pour- tant, quand nous avons acheté notre ferme, nous savions que nous paierions jusqu’à notre retraite. En effet, j’ai payé la dernière traite l’année de ma retraite. Il faut aussi savoir vivre isolé, même s’il y a une solidarité entre voisins. L’isolement est de plus en plus vrai avec la diminution du nombre d’agriculteurs. De 1954 à aujourd’hui, nous sommes passés de 52 à 2, pour la même surface cultivée.
Pour sortir de l’isolement, je me suis investi dans la vie de la commune. Cela m’a permis de m’ouvrir aux autres.
Si vous deviez recommencer ?
Si nous étions de jeunes débutants aujourd’hui, nous devrions sans doute penser à l’agriculture bio. Il faut quand même être conscient qu’elle a un rendement moindre et qu’on aurait plus de difficultés à nourrir ainsi la population mondiale. Pourtant, même sans le bio, les agriculteurs ont pris conscience qu’il faut soigner la nature.
La solidarité à la campagne est- elle toujours une réalité ou une illusion des citadins ?
Il y a moins d’entraide aujourd’hui qu’autrefois. Il existe encore des CUMA (Coopératives d’Utilisation du Matériel Agricole) qui permettent à chacun de ne pas acheter individuellement le matériel. Il y a aussi une organisation, la solidarité paysanne. J’en faisais partie et là on rencontre vraiment des situations catastrophiques. Je pense à ce paysan coincé entre d’immenses exploitations agricoles qui s’est retrouvé très isolé et dans la quasi impossibilité de sortir de sa misère. J’ai eu l’occasion de l’aider en donnant du fourrage jusqu’à la remise au pré des animaux, par exemple.
Les jeunes agriculteurs rencontrent-ils plus de difficultés que vous ?
La situation est très différente. Les jeunes n’ont plus forcément besoin de vivre sur la ferme. Les femmes ont souvent un autre travail à l’extérieur. Les éleveurs mécanisent pour ne pas avoir à être constamment présents. Mais c’est un gros investissement. Les jeunes vivent davantage la séparation entre la vie personnelle et familiale, et leur travail. Eux doivent absolument s’adapter ; sinon, sans évolution, ils sont perdus.
Par ailleurs, les cultivateurs qui sont partis ont été remplacés par des citadins qui ne sont souvent là que le weekend. Du coup l’atmosphère a changé dans les villages. Il y a plus d’ouverture.
Est-ce difficile d’être agriculteur ? En fait, nous avons vécu ce métier en sachant qu’on ne peut pas tout faire. Nous faisons ce que nous avons à faire et nous comptons sur Dieu qui pourvoit. En effet, nous pouvons semer, mais nous ne sommes pas maîtres de la météo.
Quel rôle votre foi a-t-elle joué ? Pour nous, être agriculteurs c’est aussi dépendre de Dieu. Chaque jour, notre prière a été : nous faisons notre travail, mais nous demandons à Dieu de faire le reste.
Nous avons aussi tenu à réduire le travail le weekend et le dimanche au strict minimum. Ceci nous a permis d’être toujours avec nos enfants. Une chose que j’espère avoir réussi à leur transmettre, c’est la confiance : « Ne t’inquiète pas, Dieu est là. »