La polémique suscitée par les caricatures danoises du prophète Mahomet a remis sur la sellette un vieux débat à propos du deuxième des dix commandements. Celui-ci stipule: «Tu ne te fabriqueras aucune idole, aucun objet qui représente ce qui est dans le ciel, sur la terre ou dans l’eau sous la terre; tu ne t’inclineras pas devant des statues de ce genre, tu ne les adoreras pas»(1). Une lecture partielle amène certains à dire que Dieu interdirait ainsi toute représentation de sa création (pas de sculptures ni de peintures…). L’islam, qui intègre une partie de l’héritage juif et chrétien, en fait une application stricte et interdit tout ce qui est de l’ordre de l’image. Le candide un peu curieux aura remarqué que synagogues, mosquées et temples protestants sont vides de toutes statues et tableaux. À l’évidence, une certaine interprétation du deuxième commandement a fait le vide. Il est révélateur que les catholiques, dont les églises ont longtemps été caractérisées par la présence de statues des saints et de tableaux avec scènes bibliques, font un découpage différent du Décalogue. Pour eux, le deuxième commandement est inclus dans le premier: «Tu n’auras pas d’autres dieux devant ma face» (2). Grâce à ce regroupement, il n’y a plus de commandement spécifique qui interdise les représentations…
Chassez le naturel, il revient au galop
Notre candide religieux, lors de ses explorations des lieux de culte, aura aussi remarqué que l’écriture fait office de décoration là où l’on s’interdit toute autre image. C’est ainsi que se sont développées les arabesques. Ces versets du Coran écrits de façon stylisée font le génie de la calligraphie arabe; ils sont un art en soi. Cela démontre, si nécessaire, que le besoin d’expression artistique est fondamentalement enraciné en l’homme. Il trouve toujours un moyen de se concrétiser malgré les interdits les plus stricts. Est-il imaginable que le Dieu créateur ait pu mettre en l’homme (créé à son image!) un tel potentiel créatif pour ensuite le brimer avec un interdit? Le commandement en question est pourtant assez explicite. Il condamne l’idolâtrie et non pas l’art en soi. Promulgué à une époque où les gens croyaient les objets habités par des esprits et des divinités, toute représentation devenait objet de vénération. Il est frappant de remarquer que c’est au moment où Moïse recevait le Décalogue que le peuple impatient se confectionnait un veau d’or pour l’adorer. C’est le même Moïse qui confectionnera une représentation de serpent sur ordre de Dieu (3). La foi en un seul Dieu, créateur de toutes choses, a sécularisé la nature. Elle n’est plus ainsi divinisée. S’il n’y a qu’un seul Dieu, alors tout le reste n’est qu’objet qui n’a plus besoin d’être vénéré. Le sens artistique peut alors pleinement s’exprimer, il est hommage de la créature au Créateur.