– L'idée selon laquelle votre souffrance aurait pu avoir une valeur rédemptrice –elle serait un moyen de payer vos fautes– vous a-t-elle effleuré ?
– Non pas du tout, une telle vision des choses m'exaspérait au contraire. Des gens religieux sont venus me visiter et croyaient peut-être m'encourager en me disant que je souffrais pour les autres, à l'image de telle sainte, ou comme le Christ lui-même. Ils pensaient que cela bénéficierait à mon salut ou à celui des autres. De telles pensées m'irritaient au plus haut point. J'avais pourtant été élevé dans l'idée que les bonnes œuvres et la souffrance servent au rachat. Mais je trouvais injuste que celui qui ne souffrait pas puisse s'en tirer à bon compte, ou que l'on doive acheter son salut.
– Vous écrivez : « À cette époque [de souffrance et de maladie], j'étais révolté contre Dieu. La haine remplissait mon cœur à son égard non seulement parce que je souffrais et n'en voyais pas la fin, mais surtout par ce que je voyais dans ce service d'assistés respiratoires, notamment chez les enfants »(2). Considériez-vous Dieu comme responsable ?
– Oui, parce que la religion dans laquelle j'ai grandi m'a enseigné que « le bon Dieu te frappera, si tu ne fais pas le bien. » Je ressentais cela vraiment comme un jugement très dur, et je ne trouvais pas que Dieu soit si bon que cela, notamment quand on observait le service respiratoire dans lequel je me trouvais. Il y avait beaucoup d'enfants, des polios en particulier. Je me rappelle encore une jeune fille qui n'avait que la tête normale, tout le reste du corps ne faisait peut-être même pas 70 centimètres. Elle n'avait ni bras ni jambes, elle ne pouvait pas se mouvoir. Elle respirait à l'oxygène, artificiellement. Je me disais : « Mais Dieu ne peut pas être bon, il est impossible qu'il puisse tolérer des choses pareilles ! » Je l'accusais de tous les maux de la terre, et même, je dois le dire à ma honte, j'allais jusqu'aux insultes les plus grossières. Je levais le poing vers le ciel, et je lui disais: « Si tu es un homme, descends ! » Heureusement qu'il est Dieu, il n'est pas venu pour frapper mais pour se révéler comme un sauveur.
– Avez-vous connu durant cette période de souffrance et de révolte des temps d'accalmies, des petits signes grâce auxquels vous auriez pu quand même sentir la présence discrète de Dieu ?
– Lorsque je me suis réveillé de mon coma, j'ai eu du mal à réaliser que j'étais encore en vie. Je pensais être arrivé en enfer. Pour moi, j'étais mort, et voilà que la vie m'était redonnée. Je me suis dit alors : « Tiens, là, oui, Dieu a eu pitié de moi. Il a eu pitié de mon épouse et de mes enfants. » Mais très vite ma révolte et ma haine n'ont cessé d'augmenter parce que je voyais toujours la même misère autour de moi et que mon état se dégradait de plus en plus.