Le grand philosophe américain, William James, a dit : « On a donné beaucoup de raisons pour ne pas prier et beaucoup d’autres pour le faire. Toutefois, on a dit bien peu de choses sur le sens de la prière. On prie simplement parce qu’on ne peut pas s’en empêcher ». L’un des faits les plus marquants de la condition humaine, c’est qu’on n’a jamais trouvé de tribu – aussi primitive fût-elle – qui n’ait invoqué ses propres dieux. La prière n’est pas un art qui s’apprend pas, elle est instinctive dans les moments où la vie se fait trop difficile pour nous. Quand nous sommes écartelés au-delà de toute mesure, quand nous sommes tentés au-delà de nos forces, quand l’inquiétude assiège notre esprit et que nous avons le cœur brisé, alors nous prions.
1. Prier, cela s’apprend
S’il en est ainsi, nous pouvons nous demander pourquoi avoir recours à des aides pour prier ? Si la prière est si naturelle, pourquoi quiconque ne prierait-il pas parfaitement par lui-même ?
Il n’est rien de plus naturel ici-bas que la respiration ; malgré cela, il existe une technique respiratoire ; il y a une bonne façon de respirer et aussi une mauvaise ; notre santé dépend de la manière dont nous le faisons. Il est peu d’activités aussi naturelles que la marche et pourtant il existe une technique de la marche. Il y a une bonne et une mauvaise manière de marcher dont les conséquences peuvent être considérables.
Il faut qu’on nous enseigne à nous servir de tout. Il est possible de posséder quelque chose de précieux sans pouvoir en tirer le meilleur parti, simplement parce que l’on ne s’en sert pas correctement. Il faut apprendre à se servir d’une machine à écrire ou d’un rasoir électrique ; il faut apprendre à accorder un violon ou à régler un poste de télévision ; il faut apprendre à conduire une voiture ; on doit même apprendre à faire cuire la nourriture de telle manière qu’on en tirera le maximum de profit.
Les actes les plus simples et les plus naturels ont donc leur technique ; à plus forte raison on doit apprendre à se servir de ses biens les plus précieux. Il n’en va pas différemment de la prière. Beaucoup d’entre nous ont appris dans leur enfance à prier d’une certaine manière ; toutefois, peu à peu, ils ont perdu l’habitude de prier. S’ils s’interrogeaient sérieusement et honnêtement, ils avoueraient avoir cessé de prier parce qu’ils n’ont pas découvert la moindre utilité à la prière. Si c’est le cas, c’est qu’ils ne priaient pas correctement ; ils n’ont jamais appris la technique de la prière et personne ne les a enseignés. Ils étaient en possession d’un don précieux mais ils ne savaient comment s’en servir. Examinons, par conséquent, quelques-unes des lois de la prière.
Toute prière a son origine dans le fait que Dieu est encore plus disposé à écouter que nous ne le sommes à lui parler. Il est encore plus prêt à donner que nous ne le sommes à demander. Quand nous prions nous n’allons pas vers un Dieu rancunier qui donnerait à contrecœur. Comme l’apôtre Paul l’a bien vu, Dieu a donné une preuve, une preuve irréfutable de sa générosité : « Même à son Fils, Dieu n’a pas évité la souffrance, mais il l’a livré pour nous tous. Alors, avec son Fils, il va tout nous donner gratuitement. » (Rm 8.32).
Jésus nous a laissé deux paraboles sur la prière dont l’interprétation erronée a causé beaucoup de torts. Il s’agit d’abord de celle que nous intitulons la parabole de l’ami importun (Lc 11.5-8). Un voyageur arrive tard le soir chez quelqu’un qui n’avait rien à lui donner à manger parce qu’il faisait déjà nuit. Or, en Orient, l’hospitalité est un devoir sacré. L’homme s’est rendu alors chez son voisin et, bien qu’il fût minuit passé, il a frappé et tambouriné contre la porte avec une telle insistance que l’homme qui était au lit a bien été forcé de se lever pour lui donner ce qu’il voulait.
La deuxième parabole est celle que nous nommons « Parabole du juge inique » (Lc 18.2-7). Dans une ville, une veuve réclamait que justice lui soit faite. Dans cette même ville, sévissait un juge inique. Nul ne pouvait obtenir un jugement favorable sans lui avoir copieusement « graissé la patte », ce que cette veuve ne pouvait faire car elle n’avait pas d’argent. Mais elle avait une chose : la persévérance. Elle venait et revenait sans cesse à tel point que, excédé et fatigué par la persévérance de cette femme, le juge lui a accordé ce qu’elle voulait.
On croit souvent que ces paraboles accréditent l’idée que si nous persévérons assez longtemps dans la prière nous obtiendrons ce que nous voulons. D’après cette compréhension, si nous assiégeons la porte de Dieu assez longtemps, si nous harcelons Dieu avec assez de persévérance, si nous organisons un bombardement ou un barrage de prière, Dieu finira par succomber et exaucera notre requête. Or ce n’est pas cela qu’enseignent ces paraboles. Le mot parabole désigne littéralement ce qui est placé le long de quelque chose : le terme vient du grec para qui veut dire à côté et ballein : lancer. Lorsque nous plaçons deux objets l’un à côté de l’autre, c’est pour les comparer ; toutefois, le point de comparaison peut résider dans la ressemblance ou bien dans le contraste. Nombre de paraboles de Jésus tournent autour de la ressemblance mais celles-ci sont centrées sur le contraste. Dans ces paraboles, Dieu n’est pas assimilé à un maître de maison grincheux et désagréable ni à un juge inique et entêté ; non, il est l’opposé de tels personnages. Jésus nous dit : « Si un maître de maison grincheux et désagréable finit par donner à son ami le pain que celui-ci réclame avec insistance et dont il a besoin, si un juge inique finit par faire justice à une veuve en lui accordant ce qu’elle souhaite, à combien plus forte raison, Dieu qui est notre Père et qui nous aime, nous donnera-t-il ce dont nous avons besoin ». C’est exactement ce que Jésus ajoute. Il nous ordonne de demander pour que nous puissions recevoir, de chercher pour que nous puissions trouver, de frapper afin qu’il nous soit ouvert. Si nous qui sommes mauvais, nous savons donner de bonnes choses à nos enfants, à combien plus forte raison notre Père céleste nous donnera-t-il ce qui est nécessaire à notre vie (Lc 11.13 ; Mt 7.11).
Voilà la vérité si précieuse dont dépend toute prière. Dieu n’est pas quelqu’un à qui il faut arracher contre son gré les dons et les faveurs. Il n’est pas non plus quelqu’un dont il faut abattre les lignes de défense, saper ou miner la résistance. Dieu est davantage prêt à donner que nous ne le sommes à demander.
Viens, mon âme, prépare-toi,
Jésus aime exaucer la prière,
Lui-même t’ordonne de prier.
C’est pourquoi il ne te repoussera pas.
Tu t’approches d’un Roi,
De grands sujets munis-toi,
Car sa grâce et sa puissance sont telles,
Que nul ne peut trop demander.
On ne peut pas en rester là car c’est souvent en agissant ainsi que beaucoup de gens perdent l’habitude de prier. C’est une vérité fondamentale de la prière : Dieu est un Père qui nous aime et qui est davantage prêt à donner que nous ne le sommes à demander. Est-ce à dire que nous n’avons qu’à prier afin de recevoir et que Dieu nous donnera tout ce que nous demandons ?
Voilà précisément ce que cela ne veut pas dire et c’est là qu’il nous faut saisir et bien comprendre les lois de la prière.