Nous ne possédons pas les manuscrits originaux des auteurs bibliques. Cela n’a d’ailleurs rien de surprenant, puisqu’ils étaient écrits sur des matériaux périssables. Ce sont des scribes qui ont recopié les textes, permettant ainsi une transmission ininterrompue, pendant des siècles. Depuis l’invention de l’imprimerie, chaque livre est certes reproduit à l’identique, mécaniquement. Mais auparavant, chaque exemplaire était le fruit d’un long travail fait à la main ! Dans ces conditions, il ne serait pas surprenant que des erreurs de copie aient été commises par les copistes. Sont-elles importantes, et peut-on les repérer ? D’autre part, certains insinuent que la Bible a été « falsifiée » au cours du processus, de sorte que son contenu aurait été altéré. Que disent les spécialistes à ce sujet ? Les documents dont nous disposons permettent-ils de dire si les textes d’origine ont été bien transmis ?
Si vous vous posez la même question pour les textes de Platon ou d’Homère, vous risquez d’être déçu. On ne possède que quelques manuscrits de leurs œuvres, et ils datent de très longtemps après leur rédaction. En comparaison, le cas de la Bible est fascinant, car on dispose d’une myriade de manuscrits, dont certains sont proches dans le temps des originaux. Cela s’explique sans doute par son rôle primordial dans la vie religieuse de millions de personnes, à toutes les époques de l’histoire. Il fallait copier et répandre ces écrits sacrés pour qu’ils soient lus dans les synagogues et les églises du monde entier.
Le Nouveau Testament
Les manuscrits dont on dispose
Commençons par le cas du Nouveau Testament, le plus spectaculaire et le plus simple. Ce sont plus de 5.000 manuscrits de cette œuvre, entiers ou fragmentaires, qui ont été conservés ! Certains existent sous la forme du codex, l’ancêtre du livre, fait de feuilles de parchemin reliées. Les plus prestigieux datent des 4ème et 5ème siècles de notre ère. Les parchemins les plus nombreux datent de l’Antiquité tardive et du Moyen-âge. Mais on dispose aussi de papyri des tout premiers siècles après Jésus-Christ. Ainsi, on a retrouvé un fragment contenant un passage de l’évangile de Jean, daté d’environ 125, seulement quelques décennies après l’original ! Avec cette masse de manuscrits, on peut en quelque sorte suivre le travail des scribes au fil des siècles. Cette situation tout à fait unique fait du Nouveau Testament le livre le mieux connu de toute l’Antiquité.
Le travail scientifique de comparaison
Il serait naïf de croire que tous les manuscrits sont strictement identiques. Les scribes font parfois des erreurs de copie. Mais loin d’être une question taboue, la comparaison entre les documents constitue une discipline scientifique à part entière. Les spécialistes de ce qu’on appelle la « critique textuelle » comparent, mot par mot, les manuscrits disponibles. La plupart du temps, le texte est le même. Quand une différence surgit, les chercheurs utilisent des critères pour déterminer quel était le mot d’origine. L’ancienneté, la qualité d’un manuscrit et le soin apporté par le copiste le rendent parfois plus crédible que d’autres. Mais on cherche avant tout à comprendre pourquoi un mot a été changé en un autre. Les savants classent en deux types principaux les causes des variations qu’ils constatent :
1) Les erreurs de copie accidentelles. Par exemple, dans le va-et-vient entre le texte à recopier et la copie, les yeux d’un scribe sautaient parfois quelques mots. Cela arrivait notamment quand une expression était répétée dans le texte. Le regard pouvait alors revenir sur sa deuxième apparition au lieu de sa première, oubliant ce qui se trouvait entre les deux. Heureusement, tous les copistes ne font pas les mêmes erreurs ! Comme on a une multitude de manuscrits, on identifie très facilement ces accidents de copie. Et les mots oubliés par un scribe ne sont pas perdus, puisqu’ils se trouvent sur d’autres manuscrits.
2) Les modifications volontaires, plus rares. Parfois, un copiste a pu changer un mot en un autre, ôter une expression qui lui paraissait gênante ou ajouter une précision. Par exemple, en Marc 9.14-29, Jésus chasse un démon qui avait résisté à ses disciples. Il leur explique alors : « cette espèce-là ne peut sortir que par la prière » (v.29). Certains manuscrits ont ici : « par la prière et le jeûne ». Mais l’expression « et le jeûne » est considérée par beaucoup de spécialistes comme un ajout tardif. On ne voit pas pourquoi d’excellents manuscrits auraient enlevé cette précision, mais on comprend bien qu’un copiste « pieux » l’ait ajoutée. Ici encore, il est assez facile de repérer ces petites altérations, et d’autant plus qu’on en saisit les motivations.
Cela ne signifie pas qu’on ne puisse pas hésiter, ici ou là, entre un mot lu sur un manuscrit et un autre se trouvant à sa place sur un autre. Mais grâce à un travail poussé, des spécialistes ont établi ce que devait être selon eux l’original, mot par mot, avec la meilleure probabilité possible. On dispose ainsi d’éditions scientifiques, en grec, du Nouveau Testament(1). Elles indiquent aussi en notes de bas de page, pour chaque différence significative existant entre les manuscrits, les alternatives que l’on rencontre. Autrement dit, n’importe quel lecteur qui sait le grec peut se faire sa propre idée ! Cette transparence et ce degré de précision sont époustouflants.
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