Avec Calvin, nous quittons les intuitions premières de la Réforme pour entrer dans son institutionnalisation, dans sa mise en forme plus structurée. Il est de la deuxième génération, celle qui arrive après la rupture, même si Calvin lui-même passe du catholicisme au protestantisme. Il n’a jamais été moine ni prêtre et sa formation première est juridique; c’est lui qui, avec L’Institution Chrétienne va donner aux protestants leur première «somme théologique». Ces quatre livres qui seront l’œuvre de sa vie cherchent à donner une vue d’ensemble de la théologie biblique. Selon leur auteur, ils sont en effet avant tout une aide pour bien lire et comprendre l’Écriture. On peut noter par rapport à Luther deux différences qui peuvent sembler paradoxales.
• Calvin est concerné par toute l’Écriture; ce qu’il veut transmettre, c’est «tout le conseil de Dieu». Luther n’était intéressé que par l’Évangile, au sens de «ce qui porte le Christ» dans quelque livre biblique que ce soit. Il allait ainsi jusqu’à mettre en doute le caractère canonique de l’épître de Jacques qui ne lui paraissait pas suffisamment évangélique. En revanche, Calvin, qui reçoit toute la Bible comme inspirée, cherche à comprendre la totalité du texte biblique et à rendre compte de manière systématique. D’où un caractère moins dialectique et plus cohérent, au point parfois de faire entrer les textes dans un schéma qui ne rend pas toujours compte de leurs accents propres.
• Cependant, Calvin ne cesse de citer les Pères de l’Église et les grands auteurs médiévaux beaucoup plus que Luther. On est ainsi devant une théologie qui ne se prétend ni nouvelle ni même en rupture avec la tradition. Elle prétend au contraire assumer la tradition et en montrer le sens authentique. L’unique fondement est certainement la Bible, mais l’argument des auteurs de référence est là pour montrer que, d’une certaine manière, la Réforme est plus catholique que l’Église qui porte abusivement ce nom.
Calvin a donc écrit de nombreux ouvrages de circonstance pour aider au mouvement de Réforme, de très nombreux commentaires bibliques et son grand œuvre systématique, l’Institution chrétienne. On trouvera donc peu de textes qui concernent directement et explicitement la spiritualité. Il faut sans doute mettre à part, au sein de l’Institution chrétienne, le «traité de la vie chrétienne» qui est fait des chapitres 6 à 10 du livre III et qui a souvent été édité à part (2). Il s’agit d’un véritable petit traité de spiritualité et c’est lui que nous suivrons principalement.
Incapables par nous-mêmes…
On sait que le protestantisme en général – et Calvin tout particulièrement – met l’accent sur l’incapacité de l’être humain à faire le bien. Cette insistance sur les conséquences du péché est une manière de tout centrer sur Dieu lui-même et sa seule gloire (Soli Deo Gloria). Elle ne peut être comprise que comme une manière de magnifier la grâce de Dieu en ôtant à la personne humaine toute possibilité de se glorifier. Cet accent est manifeste dans l’épître au roi qui ouvre l’Institution chrétienne.
«Quelle chose convient mieux à la foi que de nous reconnaître nus de toute vertu pour être vêtus de Dieu? vides de tout bien pour être emplis de lui? serfs du péché pour être délivrés de lui? aveugles pour être de lui illuminés? boiteux pour être de lui redressés? débiles pour être de lui soutenus? de nous ôter toute matière de gloire afin que lui seul soit glorifié, et nous en lui? (3)»
La vie spirituelle
Il s’agit avant tout de chercher dans l’Écritures les indications qui nous donneront «la façon de bien régler notre vie, afin que ceux qui désirent se convertir à Dieu ne s’égarent en affection inconsidérée (4)». Le propos sera une doctrine simple, une règle générale et non le détail de toutes les vertus, ni une exhortation. Pour cela, Calvin renvoie aux «homélies des anciens docteurs, c’est à dire [à] leurs sermons populaires (5)».
Le point de départ est l’exhortation à la sanctification: être saint car Dieu est saint. «L’Écriture nous enseigne que cette sainteté est la fin de notre vocation, à laquelle nous avons toujours à regarder si nous voulons répondre à notre Dieu. Car quel besoin était-il que nous fussions délivrés de l’ordure et pollution en laquelle nous étions plongés, si nous voulons toute notre vie nous vautrer en elle? (6)» Il ne faut donc surtout pas que la justification par la foi devienne pour nous une sorte de point d’arrivée; elle n’est que le point de départ de la vie chrétienne, même si elle demeure tout au long le moteur de notre salut.
Le modèle et le chemin de cette sanctification, c’est le Christ.
«Dieu s’est réconcilié avec nous en son Christ, aussi il nous a constitué en lui comme un exemple et patron auquel il faut nous conformer (Rm 6.4-6, 18) (…) Christ, nous réconciliant avec Dieu son Père nous est donné comme un exemple d’innocence, duquel l’image doit être représentée en notre vie (7)».
Toute spiritualité est doctrine de vie et non pas seulement formules à répéter :
«Car ce n’est pas une doctrine de langue que l’Évangile, mais de vie ; il ne doit pas seulement comprendre d’entendement et mémoire, comme les autres disciplines, mais il doit posséder entièrement l’âme, et avoir son siège et réceptacle au profond du cœur: autrement, il n’est pas bien reçu. (…) Nous avons bien donné le premier lieu à la doctrine en matière de religion, d’autant qu’elle est le commencement de notre salut ; mais il faut aussi que pour nous être utile et fructueuse, elle entre entièrement au-dedans du cœur, et montre sa vertu en notre vie: voire même qu’elle nous transforme en sa nature (8)».
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