Témoignage de Tabita

Complet Le mariage et la sexualité

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Mains peur m t elgassier cugryvziO M unsplash Je veux vous parler aujourd’hui de ce que j’ai vécu. J’ai grandi dans une famille chrétienne où l’on m’a appris ce qu’étaient les fondations du couple : l’ancrage en Dieu, l’amour, le respect, la communication…

C’est pour cela que, quand j’ai rencontré Amos(1), je me suis dit qu’avec un prénom biblique aussi rare, il avait forcément grandi dans une famille chrétienne et qu’il devait avoir les mêmes bases ! Il me l’a rapidement confirmé.

On s’est mis ensemble en juin 2004 et il me demandait en mariage en septembre. C’était rapide, mais j’y croyais tellement que ça ne m’a pas dérangée.

Il était étudiant en vue de devenir ingénieur. Pendant ses études, c’était son père qui lui envoyait de l’argent. Mais il arrivait que l’argent n’arrive pas, alors comme il n’était qu’étudiant, à plusieurs reprises je payais son loyer, en plus du mien… Moi aussi, j’étais étudiante, mais j’avais une allocation de Pôle Emploi qui correspondait presque à un salaire. Il ne m’avait rien demandé, ça me paraissait tellement évident de faire ça pour lui. Puis, bientôt, mon argent serait notre argent et vice versa, enfin, je le croyais.

Il m’avait raconté qu’il s’était fait baptiser dans l’Église de ses parents, avant de venir en France. Mais, lorsque ses parents sont venus en France au moment du mariage, sa mère a dit à la mienne « J’espère qu’il s’est fait baptiser, parce que, chez nous, on ne doit pas se marier lorsqu’on n’est pas baptisé ». Ma mère m’a posé la question peu après, j’étais assez embarrassée… Il ne s’était donc pas fait baptiser avant de venir en France ? Je l’ai interrogé, étonnée. Il m’a dit que j’avais mal compris, qu’il s’était fait baptiser en arrivant en France dans l’Église qu’il fréquentait (qui n’était pas la même que la mienne). J’ai donné cette réponse à ma mère, bien que persuadée que c’était faux. Mon premier mensonge pour le défendre… Heureusement pour nous, mes parents et les siens y ont cru.

Puis, peu avant le mariage, il m’a avoué avoir déjà eu une fois une relation sexuelle avec une fille. Il m’a dit que, quand sa mère l’avait su, elle avait débarqué en France pour le sermonner. Je doute aujourd’hui qu’elle l’ait su un jour. Il m’en a parlé parce qu’une de ses amies lui avait dit de le faire.

Et l’on a, à nouveau, menti à tout le monde, insistant sur le fait que nous arrivions tous les deux vierges au mariage, en en faisant même une fierté, voire un exemple pour nos amis non chrétiens. Moi, j’étais mal à l’aise, non pas qu’il ne soit plus vierge, ça c’était entre lui et Dieu, mais de ce mensonge.

Nous nous sommes mariés en province, puis nous sommes partis nous installer en région parisienne parce qu’il y finissait ses études. Moi j’étais déjà diplômée, et j’ai décroché très rapidement un CDI comme éducatrice spécialisée dans la protection de l’enfance, en lien avec le Tribunal pour enfants de Versailles. Amos me disait souvent que « j’aurais mieux fait de faire juge des enfants plutôt qu’éducatrice, ça gagnait mieux et c’était plus prestigieux. » D’ailleurs, il m’a souvent reproché d’avoir arrêté mes études de médecine (je n’avais fait que quelques mois, et c’était avant de le rencontrer), parce que « médecin, ç’aurait été un bien meilleur métier… »

Après quelques mois à essayer plusieurs Églises, nous nous sommes posés dans une Église des Yvelines. Nous nous y sommes impliqués. Je participais régulièrement à la garderie, j’ai même fini comme responsable. J’ai participé au groupe de dames que j’ai aidé à animer. Je participais à la musique. J’étais flûtiste et pianiste, mais Amos m’avait toujours dit que « le piano était bien plus prestigieux que la flûte », donc je n’ai presque jamais sorti ma flûte. Je ne sais même pas si les gens de l’Église savent que j’étais flûtiste avant d’être pianiste…
Lui s’est impliqué dans la projection des chants et parfois dans le chant lui-même.

Puis, un jour, on m’a proposé d’intégrer le Conseil de l’Église. Je lui en ai parlé le soir même. Sa réaction a été : « Pourquoi on te l’a proposé à toi et pas à moi ? » J’ai bredouillé les arguments qu’on m’avait donnés : j’étais une femme, jeune, je représentais une catégorie de personnes de l’Église.

Dans les mois et les années qui ont suivi, Amos était fier, à l’Église, de se vanter de ma place dans le Conseil, là où moi je remplissais juste ma mission sans faire de vagues. Mais une fois à la maison, il ressassait toujours le fait que lui n’y était pas. C’est là, je pense, que j’ai compris qu’il avait une soif de reconnaissance et d’autorité. Je l’ai vu aussi dans son travail, quand il se plaignait de ne pas gagner assez d’argent, de ne pas être leader… Il a quitté un super boulot parce qu’il estimait ne pas avoir assez de pouvoir. Aucun autre emploi par la suite ne l’a satisfait, il a même eu des difficultés avec ses employeurs à cause de problèmes de communication, car on lui reprochait son manque de diplomatie avec ses collègues et son côté trop autoritaire.

Au niveau familial, nous avons eu notre première fille après deux ans de mariage. J’ai vite compris que le rôle de la femme pour lui était de s’occuper du bébé, du ménage, du linge, de la maison en général. Je n’ai jamais eu d’aide de sa part. Et, quand je me disais fatiguée la nuit par les coliques de notre fille, il me rappelait que, lui, travaillait, et qu’il avait besoin de dormir. Lorsque le bébé pleurait, il se fâchait après elle, jusqu’à la fesser ou la punir. J’ai pris le parti de me lever au moindre pleur afin d’intervenir avant lui.

Vers trois ans, notre fille a eu peur la nuit, elle pleurait en raison d’importantes angoisses. Il la punissait debout contre le mur dans le couloir, en pleine nuit. Il m’était impossible d’intervenir, sous peine de mettre à mal son autorité. Et lorsque je finissais quand même par le faire, il me le reprochait, restant parfois plusieurs jours sans me parler. C’était sa « punition » pour moi, chaque fois qu’il avait quelque chose à me reprocher, il se taisait. Il savait que ça provoquait des angoisses terribles chez moi, je le suppliais de me parler. J’avais grandi dans un milieu où on se parle, j'ignorais que ce que je vivais n'était pas un conflit, mais de la violence verbale, psychologique. Pour en revenir à nos filles, peu avant que je le quitte, il m’a reproché de les avoir toujours couvées, en me levant au moindre bruit la nuit. Je me levais, oui, mais je n’allais pas forcément les voir, je faisais juste bouclier, c’était une protection contre lui, mais ça bien sûr, je ne le lui ai jamais dit.

Puis, il y a eu toutes ces fois où il avait envie de rapports sexuels et moi pas. Ça a commencé quand j’ai accouché par césarienne, et qu’il n’a pas compris pourquoi je me refusais à lui juste après.

J’ai fini par braver la douleur, après quinze jours, sur son insistance. La douleur a duré encore plusieurs semaines. Et lorsque, par la suite, dans notre vie de couple, il m’arrivait de ne pas avoir envie, il me le reprochait parfois pendant plusieurs jours, me faisant culpabiliser (« je ne respectais pas le devoir conjugal ») au point que je finissais par céder. J’ai découvert plus tard que ça s’appelait un viol conjugal. Par chance, si je puis dire, j’avais un cycle menstruel plus court que la normale et, en plus, je prétextais des périodes de règles soi-disant très longues pour me protéger.

Puis il y a eu cette opportunité de déménager. D’abord dans une autre région de France, puis carrément à l’étranger. J’avais refusé tellement de fois de partir que j’ai fini par dire oui. Dans cette nouvelle région de France, j’ai eu l’opportunité de suivre une formation de chef de service (un projet de carrière qui me tenait à cœur) mais il a refusé, prétextant l’argent.

Puis la Suède, où nous sommes allés, a eu raison de nous. En Suède, j’ai appris rapidement le suédois, en vue de travailler, mais je suis tombée enceinte de notre troisième fille.

Les humiliations ont commencé à s’intensifier : me rabaisser, me dire que je devais travailler pour ramener de l'argent à la maison, m'empêcher de dépenser quoi que ce soit, y compris pour acheter des chaussures à nos filles (il aurait fallu que je lui prouve, chaque fois que j'achetais quelque chose, que c'était nécessaire, il m'a dit à plusieurs reprises que « c'était SON argent puisque c'était lui qui travaillait »).

Puis il y avait la violence envers les enfants, physique quand il les empoignait violemment ou laissait le bébé hurler dans son lit, mais surtout psychologique : chantage affectif, il criait, menaçait de les taper, les grondait quand elles étaient malades, quand elles faisaient des cauchemars… Estimant que notre fille aînée de cinq ans et demi n’apprenait pas assez vite le suédois, il lui a demandé d’apprendre une page entière d’un imagier, seule, avant d’avoir le droit de manger, alors que lui n'a jamais voulu apprendre le suédois ! Elle savait tout juste lire en français…

Devant les gens, il se montrait hyper respectueux avec moi, mais une fois seuls, il me reprochait tellement de choses !
À un moment, c’était tellement insupportable, j'ai même espéré perdre mon bébé, ce pour quoi j’ai longtemps culpabilisé, et j'ai même pensé une fois au suicide... mais j'ai prié et je me suis réfugiée en Dieu !

C’est à cette période-là, Noël 2014, alors que j’étais enceinte de huit mois, qu’il est parti pendant deux nuits, revenant le matin, comme si de rien n’était, pour les enfants, mais sans m’adresser la parole. J’ai perdu un membre de ma famille peu après, j’ai dû gérer ma tristesse seule… Puis il a programmé un voyage professionnel au moment de l’accouchement. Heureusement que mes parents étaient venus pendant cette période-là.

J’en ai alors parlé à ma meilleure amie, qui m’a dit : « Si tu étais en situation de travail et qu’une femme venait te raconter ce que tu me dis, que répondrais-tu ? » Et j’ai alors réalisé que oui, j’étais victime de violences conjugales !

Un jour, il m'a annoncé vouloir entreprendre une formation qui coûterait 48.000 euros. Pour faire cette formation à Paris, il me demandait de renoncer à mon congé parental, pour que lui prenne ce congé et aille faire sa formation en ayant une allocation. Cela impliquait que moi, je ne pourrais pas travailler puisqu’il fallait s’occuper des enfants. Il m'a alors répondu « Oh ! mais ce n'est pas grave, de toute façon, est-ce que tu aurais trouvé quelque chose qui te plaise ici, tu peux bien encore rester deux ans à la maison. » Et que j’étais « égoïste de ne pas l’encourager pour sa formation ! » Alors que moi, j’avais dû renoncer à la mienne deux ans auparavant… L’année précédente, il me reprochait de ne pas travailler, et maintenant il voulait que je ne travaille pas. J'ai alors réalisé que je n'avais toujours fait que ce que lui voulait, nos voyages, notre voiture, notre mobilier... J’avais beau donner mon avis, c'était toujours le sien qui avait le dessus. Alors, je lui ai dit qu’il fallait qu’on se pose, qu’on parle de tout ça, c’est là qu’il m’a dit qu’il pensait au divorce.

En décembre 2015, un matin avant d’aller à l’Église, il m’a demandé ce que j’aimais dans la vie, puis il a continué : « En fait, toi, t’aimes rien, t’as pas de passion dans ta vie ». J’ai dû envoyer un SMS à ma meilleure amie pour qu’elle me dise quels étaient mes goûts, même moi j’avais oublié… Et à plusieurs reprises, il a essayé de m’empêcher d’aller à l’Église, prétextant, par exemple, une panne de voiture. J’y suis allée à pied avec mes trois filles. Mais, chaque fois j’ai réussi à y aller ! J’en avais besoin.

Nous en étions là quand sont arrivées les vacances de Noël. Je suis partie le vendredi avec les enfants. Il avait organisé une fête le samedi, chez nous, avec des collègues. Pour cette fête, j'ai passé trois jours entiers dans la cuisine, pour lui préparer tout ce qu'il souhaitait, le tout en m'occupant des enfants et en préparant mon départ. J'étais exténuée. Le vendredi, jour de notre départ, il s'était engagé à poser sa journée pour m'aider, mais il m'a annoncé le jeudi soir qu'il ne l'avait pas fait. Le vendredi, donc, en plus de cuisiner, j'ai fait une grande partie du ménage. Quand il est rentré, avant de nous amener à l'aéroport, il a râlé : « J'avais laissé de la vaisselle, et pas fait tout le ménage ! » Avant qu'on parte à l'aéroport, il a fallu que je descende encore les poubelles avec lui.

J’ai découvert, quand il nous a rejointes le dimanche, sur ses photos, que, pour sa fête, il avait enlevé nos photos de mariage dans l'appartement et caché mon nom sur la porte ! C’est là que j’ai décidé que ce n’était plus possible, qu’il fallait dire STOP ! J’ai beaucoup prié pour cela. Et j'ai pris la décision à l'Église, pendant un culte, début janvier 2016, et j'ai senti une paix m'envahir, comme si Dieu agréait ma décision... Je le lui ai annoncé dans la foulée. Il ne m’a pas crue. Mais quand il a vu dans les semaines qui ont suivi notre retour en Suède, que je préparais mon départ, il a été menaçant et injurieux. J’ai même eu peur, pour la première fois, d’un passage à l’acte physique.

Si j’ai attendu un an entre le moment où j’ai mis un nom sur ce que je subissais, et celui où j’ai pris la décision de partir, c’est parce que je me questionnais sur le divorce en tant que chrétienne. Je craignais le regard des autres chrétiens, et surtout de jeter la honte sur ma famille !

Mais, la décision prise, aidée par le pasteur et sa femme, j’ai obtenu l’accord verbal d’Amos pour partir en France avec les enfants, mais il m’a donné un ultimatum d’une semaine pour partir avec les enfants. Je suis partie trois jours après, avec le peu de choses que j’avais pu préparer (vêtements pour nous quatre, quelques jouets, et quelques documents administratifs). Ni les enfants ni moi n’avons jamais pu récupérer le reste, tout a été jeté…

Après mon départ, il a porté plainte pour « déplacement illicite international d’enfants ». Il m’a fallu un an pour faire reconnaître que je ne les avais pas enlevées.

Ma plainte pour violences a été classée sans suite. C’était prévisible, les violences psychologiques ne sont reconnues que quand elles s’ajoutent à des maltraitances physiques. Mais là, comment les prouver ?

Mais j'ai obtenu un semblant de reconnaissance dans la décision du Tribunal suite au dépôt de plainte d’Amos pour enlèvement d'enfant. En effet, cette décision stipule que je n'avais pas enlevé mes enfants et « qu'il se déduit très clairement […] qu'il a entendu réparer cette blessure d'amour propre en engageant contre son épouse une procédure pour enlèvement international ». Cette phrase m’a fait du bien, parce que, même si elle ne parle pas de toutes les années précédentes, quelqu’un a écrit noir sur blanc qu’Amos avait un jour cherché à me faire du mal.

Aujourd’hui, j’ai la garde exclusive de mes trois enfants. Le divorce a été prononcé récemment, ce qui me permet enfin de me projeter dans l'avenir.

En regardant mon parcours, je constate toutes les bénédictions que j'ai reçues au milieu de ces épreuves.

J'ai bénéficié de l'aide et du soutien de toute ma famille, ainsi que de mes amis. Mes enfants ont été rapidement scolarisées, et j'ai trouvé un emploi en CDI dans le domaine professionnel qui me plaît le plus.

Pour conclure, je dirai que j’aurais encore beaucoup d’exemples à donner sur ce que j’ai subi mais surtout comment je me suis reconstruite. Dieu m’a bénie au-delà de mes espérances. Et je le remercie pour toutes les personnes qui m’ont crue et soutenue pendant toute cette période. Le verset qui m’a aidée à tenir, c’est Ecclésiaste 3.11 : « Dieu fait arriver toute chose au bon moment. » On ne sait pas pourquoi on vit cela, mais on sait que Dieu a un plan merveilleux, quoi qu’il arrive ! J’ai gardé cette conviction toutes ces années, pendant le mariage et depuis mon départ. Dieu a toujours été là pour mes enfants et pour moi. Et il avait forcément un plan pour ma vie, que je commence tout juste à percevoir…

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