Dans les débats qui ont accompagné le processus synodal de l’EPUdF, au niveau des Églises locales ou des synodes régionaux, il nous est apparu trop souvent qu’une confusion s’installait autour des notions d’accueil et de bénédiction. En 2004, à l’occasion d’une consultation de toutes les Églises locales, la Communion protestante luthéro-réformée avait exprimé un avis qui disait :
- oui à l’accueil inconditionnel de tous, notamment des personnes homosexuelles dans l’Église
- et non à la bénédiction des couples de même sexe.
Cet avis marquait ainsi une différence très claire entre l’accueil des individus d’une part, et la bénédiction des couples d’autre part. Pourtant, douze ans plus tard, au nom de l’accueil inconditionnel et d’une réflexion tronquée sur le sens du mariage et de la bénédiction nuptiale, la décision du synode de Sète a rendu cette distinction caduque, laissant aux Églises locales la liberté d’autoriser ou non des bénédictions de couples de même sexe.
Le propos de cet article est donc de reprendre les notions d’accueil et de bénédiction, en y ajoutant celle de l’accompagnement comme une étape intermédiaire nécessaire, sur la base de l’expérience vécue au sein de l’Église protestante du Marais.
1. Qu’entendons-nous par « accueillir » ?
Dans la langue française, le verbe « accueillir » est composé du préfixe ad qui indique un mouvement (vers) et du verbe cueillir. Il y a dans ce terme l’idée « d’aller vers », d’aller à la rencontre de celui qui vient. Il indique, à la fois, un mouvement et une rencontre entre celui qui vient et celui qui accueille.
Accueillir quelqu’un, c’est d’une certaine manière, accepter de le rencontrer, et donc de le laisser entrer, pénétrer dans un lieu, qui n’est pas uniquement physique ou géographique, mais aussi un espace communautaire, un lieu de foi et de convictions.
On comprend bien, ici, qu’accueillir est beaucoup plus que « tolérer la présence d’autrui dans notre espace » : il s’agit de faire de la place, d’en donner une à l’autre et une légitimité dans la communauté, d’accueillir la personne pour ce qu’elle est et telle qu’elle est. Le mouvement d’accueillir ouvre la perspective d’une rencontre où l’accueilli et l’accueillant peuvent être déplacés.
Parler d’accueil inconditionnel n’est donc pas anodin. Qui dit « inconditionnel » dit qu’aucune condition ne peut être imposée à l’accueil : ni de race, ni de sexe, ni d’âge, ni d’origine, ni de profession, ni d’orientation sexuelle, etc. L’intention est fort louable, mais le propos est-il tenable dans l’Église ? L’Église a-t-elle réellement vocation à accueillir tous ceux qui passent la porte, quelles que soient leurs intentions et motivations ? La question mérite d’être posée pour éviter toutes sortes de malentendus qui porteraient préjudice à notre témoignage.
Dans l’Évangile de Jean, Jésus donne une réponse à cette question :
« Tous ceux que le Père me donne viendront à moi, et celui qui vient à moi, je ne le mettrai pas dehors. Oui, je suis descendu du ciel pour faire la volonté de celui qui m’a envoyé. Je ne suis pas venu pour faire ce que je veux. Voici la volonté de celui qui m’a envoyé : je ne dois perdre aucun de ceux qu’il m’a donnés, mais je dois les relever de la mort, le dernier jour. » (Jean 6.37-39).
Il y a dans cette réponse un critère évident pour les Églises, qui ne doit pas être négligé : l’Église n’a pas vocation à accueillir « n’importe qui », mais bien précisément ceux qui « viennent à Christ(2) ».
Lorsqu’on lit les évangiles, il est frappant de voir comment Jésus a manifesté et incarné cet accueil inconditionnel dans sa vie et son ministère. Il n’avait pas de maison, mais on venait à lui et il allait vers les autres, notamment tous ceux qui n’avaient pas accès aux lieux saints qui garantissaient la présence de Dieu : les collecteurs d’impôts, les prostituées, les étrangers, les lépreux, etc. Tous ceux que la société et les religieux de l’époque préféraient voir en dehors de la communauté (la synagogue ou la maison). Ainsi, on n’accueillait pas chez soi ceux qui étaient considérés comme impurs, pécheurs, indignes, par peur d’être « contaminés » par le péché ou l’impureté, ou d’être accusés de couvrir le péché. Mais avec Jésus, accueillir prend un sens nouveau : il s’agit de donner la possibilité à chacun d’accéder à la vie et à la liberté qui sont en Lui. C’est valable pour tous les exclus de son temps, mais aussi pour les enfants, considérés comme indignes d’approcher le Maître, et qu’il va accueillir en disant « Laissez venir à moi les petits enfants », ou encore pour cette catégorie indéfinie des « fatigués et chargés » à qui il veut offrir son repos plutôt que de les renvoyer vers d’autres obligations.
Avec Jésus, l’accueil devient un passage obligé pour que l’Évangile puisse être proclamé et reçu. Ce qui nous oblige à considérer le seuil, non plus comme un lieu de « filtrage » (dans un schéma plutôt vétérotestamentaire symbolisé par le temple avec ses portes, son dedans et son dehors, ses paliers de sainteté, etc.), mais comme le lieu par excellence où ...