La fonction pastorale est complexe, à tel point qu’il serait difficile d’établir un profil de poste type, tant les contextes sont variés et les sensibilités et appels divers. Parmi ses fonctions, l’enseignement de la Parole revêt une importance particulière et prend diverses formes. Au-delà de l’homélie et d’un enseignement plus formel dispensé lors des études bibliques, le pasteur, et d’une façon plus générale, les responsables spirituels de nos Églises, sont perçus comme des « hommes-ressources » pluri-vocationnels.
Plus que par le passé, ils se doivent d’être présents dans la relation d’aide, dans l’entretien spirituel, dans le management d’équipes, notions qui sont devenues familières à tout un chacun sur son lieu de travail et maintenant exigées d’un conducteur spirituel.
Or toutes ces facettes revêtent une fonction d’enseignement au sens éducationnel. « L’éducation tout au long de la vie » est un truisme et tous s’accordent à dire que l’acquisition de savoirs et de savoir-être - domaine privilégié de l’exercice pastoral - passe par toutes formes de relations et d’interactions formelles ou informelles, sans parler de la notion d’exemplarité ou de figure d’identification que porte quotidiennement le ministère.
Être éducateur ne s’invente pas. Au mieux, un don particulier vient soutenir cette facette du ministère. Au pire, le responsable spirituel reproduira des schémas issus de sa propre expérience d’élève, avec toutes les ambiguïtés que cela soulève. Avant d’aller plus loin et d’examiner quelles peuvent être les approches éducationnelles face à des adultes, levons une première ambiguïté sémantique : nombre d’auteurs, et non des moindres, ont imprudemment écrit que le terme « éducation » a pour origine latine « e(x)ducere » c’est à dire « conduire hors de… », la métaphore semblant évidente : l’enseignant conduit l’élève vers le savoir, le prenant par la main pour lui montrer le chemin. Nous retrouvons là le « païdagôgos » esclave qui conduit l’enfant auprès des Maîtres pour recevoir l’enseignement. Or, l’étymologie exacte du terme « éducateur » est bien latine mais, selon les meilleurs spécialistes, réfère à « educare » = nourrir.
La nuance est d’importance et s’inscrit souvent dans l’ordre comportemental, conscient ou inconscient. Prendre un apprenant par la main pour le conduire, s’apparente à la démarche d’un adulte auprès d’un enfant, lequel est incapable de trouver son chemin et qu’il faut protéger des dangers de la route. Nourrir, c’est apporter des aliments choisis, afin que l’autre puisse se nourrir. Nul ne peut manger à la place de quelqu’un d’autre, et personne ne forcera un adulte à consommer ce qu’il ne veut pas ingurgiter. L’adulte SE nourrit, et c’est bien là l’esprit de la pédagogie pour adultes, que les spécialistes différencient de la pédagogie pour enfants en l’appelant « andragogie ». Dans ce qui suit, nous emploieront les termes d’éducateur et d’accompagnant avec cette connotation.
1. L’éducateur en tant que médiateur
D'une façon générale le formateur n’agit pas sur l’apprenant mais interagit avec ses savoirs, savoir-faire et savoir-être. En effet, celui-ci, fort de ses acquisitions, de son savoir expérientiel, s’est forgé des outils et des comportements pour faire face aux problèmes quotidiens liés à son travail, sa vie de famille, son environnement socioculturel et ecclésial.
Le rôle de l’éducateur sera donc d’apporter une aide qui permette à son vis-à-vis de construire ses représentations, ses valeurs et son savoir. Plus exactement, l’éducateur aura un rôle d’accompagnant qui doit aider à construire mais ne pas construire lui-même. Il contribuera à mettre l’apprenant dans une situation de dissonance cognitive que ce dernier tentera de réduire par un développement de son champ de savoirs et de compétences.
En ce sens, l’éducateur-accompagnant se place en médiateur entre l’apprenant et l’objet d’apprentissage. Encore faut-il préciser ce que recouvre cette médiation qui s’inscrit hors du champ conflictuel dans lequel la tradition anglo-saxonne le place.
Qu’est-ce qu’un médiateur ?
Trois auteurs sont importants dans le courant de la médiation depuis son apparition au début du siècle. Le russe Lev S. Vygotsky qui en est le fondateur, l’américain Jérôme Bruner et l’israélien Reuven Feuerstein. Ce dernier a construit le concept de la médiation autour du P.E.I. (Programme d’Enrichissement Instrumental), nouvelle approche de l’apprentissage qui se développe tant dans la formation de jeunes que dans les milieux professionnels (AFPA, unions professionnelles et patronales, etc.) ou universitaires.
Le postulat du P.E.I. est la « modifiabilité cognitive » qui prône qu’aucune situation cognitive n’est figée. Le rôle du formateur s’inscrit donc en tant que médiateur qui s’interpose entre deux groupes, deux situations. En pédagogie, le médiateur va réguler les relations entre les apprenants et les contenus d’apprentissage.
Pour donner une idée simple de la médiation, reprenons le célèbre exemple qu’utilise J. S. Bruner(1) : un bébé essaye d’attraper un hochet :
• La mère passe à côté, elle ne se rend pas compte de ce que l’enfant essaie de faire et elle poursuit sa route. Ce n’est pas un bon médiateur car une des qualités du médiateur, est d’être attentif aux apprenants.
• La mère passe à côté, elle constate que le bébé essaie d’attraper l’objet, elle est pressée, elle a des tas de choses à faire, elle prend le hochet et le lui met dans la main. Ce n’est pas un bon médiateur parce que le bon médiateur ne va pas « faire à la place de »... L’objectif de la médiation c’est le développement de l’autonomie.
• Dans le troisième cas, la mère s’arrête, elle observe la situation, l’analyse, constate que l’objet est situé un peu trop loin de l’enfant, elle le rapproche légèrement en l’encourageant à l’attraper et lorsqu’il a réussi, elle le félicite chaleureusement. C’est un bon médiateur.
Bien entendu, l’apprenant n’est pas un bébé et l’accompagnant ne doit pas être sa mère ! Quoique... N’y a-t-il pas un processus d’autonomisation dans toute situation d’apprentissage ?
Le responsable spirituel, dans ses fonctions d’enseignement ne doit-il pas être un « faiseur de situation » propice aux apprentissages, plutôt qu’un « diseur de savoir » ? Il crée ou aide à créer, facilite la rencontre d’un individu ou d’un groupe d'individus avec un espace, un temps et une organisation où l’acte d’apprendre devient possible. L’important pour le médiateur qu’il devrait être est de donner du sens et de créer des liens. Dans ce rôle de médiateur, il :
« S’efforce d’organiser et de rendre facilement accessible le plus grand éventail possible de ressources d’apprentissage (...). Il se considère lui-même comme une ressource pleine de souplesse utilisable par le groupe (...). Il est capable de devenir lui-même un participant en apprentissage, un membre du groupe, exprimant ses vues comme étant simplement celles d’une personne (...). Il s’efforce de reconnaître et d’accepter ses propres limites(2) ».
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