Dimanche dernier, Jean-Louis et Jeannot sont allés tous deux au temple.
Jean-Louis gare sa Mercedes devant la porte. Avec beaucoup de satisfaction, il reçoit les salutations respectueuses des autres fidèles. D’un air distingué, il s’avance vers sa place habituelle. C’est un homme à qui tout a réussi, un homme admiré, aux principes très stricts et avec la réputation d’une grande droiture. Certains le trouveraient un tantinet orgueilleux et intolérant, mais c’est un paroissien fidèle, un chrétien « modèle », comme on pourrait dire. Il est très respectueux des traditions de l’Église, et n’apprécie guère d’être dérangé au culte. Il est donc un peu agacé de voir, du coin de l’œil, Jeannot rentrer dans le temple. Il soupire, « Mon Dieu ! Qu’est-ce que Jeannot vient faire chez toi ? »
Jeannot regarde deux fois derrière lui, comme pour repérer le chemin de la fuite, avant de rentrer dans le temple. En se glissant sur le dernier banc, il a l’air d’être très mal dans sa peau. C’est un garçon de mauvaise réputation, chômeur de longue durée et vivant de la « débrouille ». Il est le plus souvent accoudé à un comptoir de débit de boisson. C’est un homme qui a plutôt raté sa vie. Il a l’impression que toute sa misère s’étale devant ce beau monde et que tous les yeux se fixent sur lui. Il a vraiment honte. C’est la première fois depuis quarante ans qu’il met les pieds dans une église ! Du fond de son cœur, il crie, « Ô Dieu, si tu existes, fais quelque chose pour moi ! »
Voici maintenant la version originale de cette histoire, dans la bouche de Jésus :
« Deux hommes montèrent au temple pour prier ; l’un était Pharisien et l’autre était péager. Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : Ô Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont accapareurs, injustes, adultères, ou comme ce péager : je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tous mes revenus. Le péager se tenait à distance, n’osait même pas lever les yeux au ciel, mais se frappait la poitrine et disait : Ô Dieu, sois apaisé envers moi, pécheur » (Évangile selon Luc 18.9-13).
Cette version originale de l’histoire ne choque plus comme à l’époque de Jésus ! L’homme que Dieu entend est un péager. Voici une définition contemporaine et naïve de « péager » : quelqu’un qui tient un péage… un péage d’autoroute, par exemple. Je pense à la personne dans sa petite cabine qui écoute son poste de radio. Il met votre ticket dans sa machine, qui affiche votre tarif, et vous réglez le péage pour passer la barrière. C’est un homme sans histoires… mais vous n’êtes pas du tout fâché s’il fait grève ! À l’époque de Jésus, par contre, c’est un collaborateur avec l’ennemi, un ami de la milice et de la Gestapo, un mafieux, un homme qui s’en met plein les poches au marché noir. Il n’a rien d’un homme tranquille. C’est le genre de type sur lequel vous avez envie de cracher ! Mais Dieu l’entend et exauce sa prière !
L’homme que Dieu refuse d’entendre est un Pharisien. Voici la définition du dictionnaire Larousse : « faux dévot qui n’a que le masque de la piété et de la vertu ». C’est forcément le méchant de l’histoire ! Mais non ! À l’époque de Jésus, c’est un modèle de respectabilité, de religion et de patriotisme, un pilier de la société et de la synagogue.
Quelle histoire scandaleuse ! Dieu écouterait la prière des criminels, et ferait la sourde oreille à la prière des hommes respectables ? Où est la morale de tout cela ?
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