Dans la cité allemande de Worms, lieu phare du protestantisme, se trouve une imposante statue de Luther ; à ses pieds se tiennent quelques-uns de ceux que la tradition présente comme ses précurseurs : ainsi de Jean Hus, Jérôme Savonarole, Pierre Valdo.
Pierre Valdo, un riche marchand vécut à Lyon au XIIe siècle, sans doute appelé dans le dialecte du pays Valdes ou Vaudès. Il renonça à tous ses biens et décida de vivre la foi chrétienne comme les apôtres avaient vécu avec Jésus.
Pourquoi et comment ce Pierre Valdo, membre du riche patriciat lyonnais décida-t-il de changer de vie ?
Valdo s’interrogeait sur son salut éternel. Écoutant l’Évangile, il aurait été très impressionné par le récit du jeune homme riche à qui Jésus répond :
« Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor aux cieux ; puis viens, suis-moi ».
Mais le commentaire de Jésus, après le départ du jeune homme riche, aurait encore plus frappé Pierre Valdo, (le marchand lyonnais) :
« En vérité je vous le dis, il sera difficile à un riche d’entrer dans le royaume des cieux. Oui, je vous le répète, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume des cieux ».
Dès lors, suivant ce conseil évangélique, Valdo changea radicalement de vie ; il entraîna avec lui un groupe de gens qu’il avait convaincus, et commença, une quarantaine d’années avant François d’Assise, l’aventure des « Pauvres de Lyon ».
On y retrouve, dès le début, trois caractéristiques : pauvreté volontaire, prédication et insistance sur l’importance de l’évangile (en partie traduit en langue vernaculaire).
Une attente existait. Aussi, dès les premières années (1170-1175), il eut des disciples, hommes et femmes. Menant une vie de prédication, pauvre et errante, Évangile à la main, ces disciples invitaient la population à se repentir.
Ils n’étaient pas les premiers, ni les seuls en ce temps-là à prêcher ainsi. En ce XIIe siècle, des groupes de prédicateurs (Pétrobussiens, Arnaldistes ou Humiliés) s’étaient multipliés, avec le consentement plus ou moins avoué de l’Église, appelant à la pauvreté évangélique sur les routes d’Europe.
L’Église hésitait à regarder de près les doctrines colportées et à vérifier leur orthodoxie. En effet, un péril bien plus grave s’amplifiait dans le Midi de la France : l’hérésie cathare. C’est à cause de ce danger cathare que l’Église temporisa avec Valdo et son groupe de prédicants.
D’ailleurs l’opposition entre ces deux familles de prêcheurs était telle, que l’Église romaine n’hésita pas à s’en servir. Ainsi, dans les années 1176-1184, des Pauvres de Lyon sont allés prêcher dans le Sud-Ouest et participer à des controverses contre les Cathares.
Valdo et ses disciples étaient donc à la fois bien vus par le peuple, et somme toute assez appréciés par la hiérarchie ecclésiastique.
L’influence de Valdo s’étendit rapidement dans d’autres régions, en particulier en Italie du Nord, en Lombardie, où bien des groupes de « Pauvres Lombards » se constituèrent dans les principales villes.
En 1179, à la faveur du Concile de Latran III, une délégation, vraisemblablement conduite par Valdo lui-même, vint à Rome présenter des requêtes qui furent acceptées verbalement. Elles concernaient notamment le mode de vie, dans la pauvreté, et l’autorisation de prêcher, toutefois avec l’accord du curé local. Selon certains textes, le Pape Alexandre III, ému par cet homme épris de sainteté et hanté par la mission de l’Église, aurait même embrassé Valdo.
Un grave conflit va opposer les Vaudois au clergé Lyonnais. Le nouvel archevêque de la ville, Jean de Bellesmains, leur interdit catégoriquement de prêcher, sous peine d’excommunication. Cette décision est confirmée lors du Concile de Vérone en 1183. Les vaudois furent condamnés par le pape Lucius III, le 4 mars 1184. Valdo ne cède pas ; la rupture est consommée. Il est expulsé de la ville ainsi que ses disciples appelés les « Pauvres de Lyon ».
L’hostilité de l’Église s’explique : les Vaudois ne se bornent pas seulement à vivre dans la pauvreté, ils prêchent publiquement l’Évangile, en invitant les gens à suivre leur exemple. Comme ils n’étaient que des laïcs et qu’ils avaient des femmes avec eux, on leur avait interdit de s’attribuer cette tâche réservée au clergé. Ils poursuivent cependant leur prédication et critiquent avec violence les mœurs des prêtres.
Pierre Valdo et ses partisans sont donc alors contraints de s’éparpiller au long des routes ; ils essaiment ainsi le long de la vallée du Rhône, en Provence, dans le Piémont.
Il faut pourtant noter que Valdo et ses disciples n’ont pas cherché à rompre définitivement avec l’Église ; ils se considéraient comme la « pars begnina », alors que Rome en était la « pars maligna », rongée par les péchés.
A la mort de Pierre Valdo, que l’on situe vers 1206, son mouvement et lui-même étaient, semble-t-il, proches d’une réconciliation avec l’Église ; le pape Innocent III était même disposé au dialogue. Les Vaudois ont néanmoins été définitivement déclarés hérétiques en 1215, au 4e concile du Latran, le 30 novembre 1215, par le pape Innocent III. après la Croisade des Albigeois (1209-1214). L’Église, qui avait écrasé dans le sang la menace cathare, n’avait plus besoin de ménager ses encombrants alliés.
Une interdiction significative du concile de Toulouse en 1229 porte sur la traduction des textes sacrés en langue vernaculaire. Repoussées hors des frontières de l’Eglise institutionnelle, les communautés vaudoises adoptent une piété simple et sobre, fondée sur le culte domestique et la commensalité.
Au XVe siècle, les ministères des barbes (anciens, gardiens, surveillants), prédicateurs itinérants qui visitent les communautés ; voyageant deux par deux, s’affirment ; ils constituent, non un clergé, mais une autorité morale et un facteur d’unité entre les communautés éclatées.
Les Vaudois ont longtemps été connus exclusivement par des textes polémiques ou des compte rendus des procès intentés par les inquisiteurs ou le pouvoir civil. L’image qui se dégage de ces textes est celle d’une hérésie poussée à l’extrême. Dans la langue franco-provençale, le terme vaudes désigne toute personne s’adonnant à la sorcellerie. Vaudois et vaudoises apparaissent donc à la fin du Moyen Age comme des synonymes de sorciers et sorcières. C’est de ce titre que sera affublée Jeanne d’Arc lors de son procès en 1430. Les procès pour vauderie frappent plusieurs régions de France au XVe siècle, notamment la Flandre, l’Artois et la Picardie. Les persécutions qui ont frappé Arras entre 1459 et 1461 sont restées célèbres à travers les chroniques du magistrat Jacques du Clercq ; trente après, la mémoire des victimes fut réhabilitée. Jusqu’au XVIIe siècle, les Vaudois des Vallées gardent cette réputation de sorcellerie ; celle-ci tient tant à la diabolisation de ceux qui sont jugés hérétiques qu’à l’enfermement des vallées.
Dès 1218, la rencontre de Bergame scelle l’unité des Pauvres de Lyon avec les Pauvres Lombards, issus des mouvements arnoldistes et beaucoup plus radicaux dans leur contestation de l’Eglise catholique ; sans être en plein accord sur tous les points, les deux courants reconnaissent de nombreuses convergences de vue.
Le lien le plus fort se tisse au XVe siècle entre des Pauvres d’Europe centrale et les hussites, disciples du réformateur tchèque Jean Hus : en 1467, les communautés vaudoises tchèques intègrent l’Eglise des Frères de Bohême. L’historien tchèque Amedeo Molnar parle "d’une internationale valdo-hussite". Le point de convergence principal des deux courants est la centralité du Sermon sur la Montagne et de l’éthique qui en découle.
Les vaudois, vont essaimer dans toute l'Europe… Le mouvement se propagea par les marchands ou tisserands et les troubadours qui parcouraient les villes, les campagnes et les châteaux.. il s’étendit à toute l’Europe, de Londres à Constantinople, mais on les trouvait surtout dans le nord de l’Italie et le midi de la France. Ils fréquentaient les foires de Champagne d’où partaient les tissus de Flandre en Provence et en Languedoc… On les appelait « turlupins », (Turini lupes = loups de Turin), à cause de leur origine piémontaise.
Réfugiés en Flandres, les vaudois agissaient comme colporteurs et répandaient des fragments des Evangiles copiés sur parchemins de petits formats, ainsi que des traités de propagande évangélique. Cette littérature était traduite en vieux français et en thiois, ou vieux flamand. Dix-neuf vaudois furent arrêtés le 25 mars 1420 à Douai. Dans les diocèses de Cambrai, Tournai, Arras et Thérouanne des vaudois se réunissaient dans les bois et les cavernes pour y tenir leurs assemblées. Des « turlupins » furent brûlés à Lille le 11 décembre 1465.
L’idéal vaudois de pauvreté inspira en Europe bon nombre de mouvements comme l’ordre des Frères mineurs, fondé en 1209 par François d’Assise.
François, fils d’un riche marchand, était en réaction contre la puissance grandissante de l’argent dans la société ecclésiastique et laïque. À l’origine, les Franciscains ne devaient pas posséder de biens ; ils vivaient de leur travail ou d’aumônes et prêchaient dans les villes. Mais, contrairement aux Vaudois, ils avaient obtenu l’autorisation de prêcher : en effet François et ses disciples se montrèrent toujours respectueux des consignes du clergé.
Lors du synode de Chanforan en 1532, les délégués vaudois choisirent d’adhérer à la Réforme et décidèrent de faire traduire la Bible en français par Olivetan, cousin de Jean Calvin. Le mouvement vaudois commençait sa transformation, pour devenir le « Peuple-Église » installé aujourd’hui encore dans les vallées alpines du Nord de l’Italie.
Sources :
Georges TOURN, Les Vaudois, L’étonnante aventure d’un peuple-église (1170-1980), Réveil-Claudiana, 1980.
Bulletin des Amitiés françaises à l’étranger.
"L'Arc en Ciel" n° 369, été 2012