3 juillet 1628. Chérisey
Le poème dont nous voulons parler a pour titre : « Méditations et comparaisons sur les religions et cérémonies des Païens et des Papistes (1613) » C'est un petit in-4° de 52 pages, avec 2 feuillets liminaires, sans lieu d'impression.
L'auteur, Chérisey, dédie son œuvre à Isaac de Juigné, « ministre de Wassy ».
Isaac de Juigné fut pasteur de Wassy de 1611 à 1620. Le 3 juillet 1628, il épousa Marie de Brabant.
Le poème est divisé de la manière suivante :
1° invocation à Dieu ;
2° les choses sacrées ;
3° l'eau bénite ;
4° la confession auriculaire ;
5° les prêtres pénitents ;
6° les images ;
7° les voeux ;
8° les obsèques des morts ;
9° le purgatoire.
En général, les vers sont un peu durs, mais vigoureux ; et il y en a de fort beaux qui rappellent Agrippa d'Aubigné.
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Quelques extraits
Contre la messe des catholiques :
.... Ils croient, dis-je encor, que ton Fils se repose
Sur leurs autels sacrés, ayant sa chair enclose
Dans un petit de pâte aussi tôt qu'ici bas
On l'appelle en cinq mots : ne se souvenant pas
D'un de leurs gens qui dit que le Christ ne peut être
Dans les profanes mains d'un adultère Prêtre,
Et que vraiment ce sont idolâtres humains
Qui adorent l'Ostie en de pollues mains...
Combien trouveras-tu de Prêtres dont les mains
Soient nettes de pensers ou de faits inhumains ?...
Non, certes ! non, Seigneur, leur faible connaissance
N'approche nullement de ta divine Essence.
Ils ne connaissent pas que tu es le Puissant
Qui es seul et par toi le monde régissant,
Et qu'en tes seules mains pleinement sont encloses
Les libres volontés de donner toutes choses ;
Ils ne connaissent pas qu'à toi seul appartient
Et la terre et le monde et tout ce qu'il contient ;
Ils ne connaissent pas que ta grâce immortelle
A formé purement son œuvre toute belle,
Et que tu as bénit ce grand, ce large Tout
Et l'as sanctifié de l'un à l'autre bout.
Car, ne connaissant pas que, comme auteur du Monde,
Tu peux seul nous montrer ta largesse féconde,
Leur foi douteuse et faible invoque vers les Cieux,
Non toi, mais d'autres Saints, non toi, mais d'autres
[Dieux ;
Et, ne connaissant pas que les hommes ne tiennent
Biens qui ne soient de toi et qui de toi ne viennent,
Ils t'offrent des présents comme à un convoiteux,
Comme à un Dieu chétif, comme à un disetteux...
Et, comme les Hébreux d'un insensible veau,
D'un veau muet et sourd faisaient un Dieu nouveau
Et l'appelaient leur Dieu, le Dieu aux armes fortes
Qui les avait tirés des Memphitiques portes,
De même ils font un Dieu, un petit rondelet,
Un petit Dieu de pâte, un petit Dieutelet ;
Et puis : C'est, disent-ils, la Déité suprême
Qui a porté pour nous nôtre misère extrême...
Sur les cimetières :
Ils guerroient tes fils, tes justes, tes fidèles ;
Et, comme vrais Païens, leurs sanguinaires mains
Frappent, frappent toujours sur les justes humains.
Mais, ô Dieu, quand je voie ceste race inhumaine,
Ces cruels porte-feux de l'Eglise Romaine,
Qui, non contents encor d'avoir lâché sur nous
La rigueur de leurs bras, la rage de leurs coups,
Et qui, ne sentant pas leurs haines assouvies
Des meurtres de nos corps, des peines de nos vies,
Comme Loups affamés, ils vont ronger nos os,
Ils vont fouiller nos corps dans le sein d'Atropos ;
Quand je voie, dis-je encor, que leurs sales mystères,
Que leurs Dieux sans pouvoir et que leurs vaines terres
Ne peuvent supporter ni souffrir seulement
La présence d'un corps privé de sentiment,
Pour ce qu'il n'aura pas ni dansé à la fête
Ni chanté aux chansons de la Romaine Bête,
Pour ce qu'il n'aura pas adoré mille fois
Leur idole sans yeux, sans oreilles ni voix,
Et pour ce qu'il n'a pas emporté dans la terre
D'un idolâtre esprit la marque ou caractère ;
Tout cela me fait voir qu'entièrement ils sont
Héritiers des Païens et que leurs cœurs ils ont.
Car ils vont ès tombeaux, d'une rage animée,
Déterrer de nos corps la chair jà consumée :
Imitant ce Tyran qui, fier, ne voulut pas
Qu'auprès de son démon les os de Babylas
Fissent leur froid repos ; si que l'aveugle audace.
De ce fol ignorant fit tirer de la place,
Fit sortir du tombeau le corps du saint Martyr
Qui, heureux, ne pourvoit ceste injure sentir (1)
(1) On lit dans les Plaintes des Eglises réformées de France, in-32 de 172
pages, 1597, qu'en nombre de lieux les évêques avaient fait ouvrir les tombes
des protestants enterrés dans les cimetières catholiques et jeter leurs corps à la
voirie. — Cf. ci-dessus l'article relatif aux cimetières,
Sur le jugement dernier :
Mais, ô Dieu, tu es Dieu, et tous les bas humains
Qui pensent s'élever contre tes fortes mains,
Un jour, un jour viendra que ta grande justice
Punira tout à fait leur rebelle malice ;
Un jour viendra, Seigneur, que, ton bras tout puissant
Renversant sous les pieds le monde finissant,
Tu viendras, tout armé de menaces horribles,
De terreurs, de frayeurs, de colères terribles,
Tu viendras moissonner de ta faux tranche-tout
La perverse moisson qui infecte ce Tout.
Tu viendras, assisté de l'éclatant tonnerre,
Tonnant et foudroyant sur la tremblante terre ;
Tu viendras, irrité, de mille feux divers
Couvrant, broyant, brûlant tout le triste univers.
Tu feras que Phoebus, les Etoiles, la Lune
Brûleront, et la Terre, et l'humide Neptune,
Et feras de ce Tout un bûcher, un étang
Plein d'effroi, plein de feu, plein de soufre et de sang....
Ils iront, tout tremblants, craintifs, épouvantés,
Ils iront se cacher dans les lieux écartés,
Et diront aux coteaux, aux cavernes ombreuses,
Aux antres, aux rochers, aux montagnes pierreuses :
Venez, courez, hélas ! Venez, tombez sur nous,
Car voici le grand jour de l'ire et du courroux...
Mais ils ne pourront pas trouver nulles cachettes,
Ni antres si obscurs ni places si secrètes
Que ton bras tout puissant, que ton œil tout voyant
N'y fasse pénétrer ton foudre flamboyant.
Tu les feras tomber dans l'éternel martyr,
Pour boire à tout jamais la coupe de ton ire ;
Tu les mettras là bas aux brûlantes rigueurs,
Aux grincements de dents, aux tourments et aux pleurs,
Et feras que l'horreur des bourellantes flammes
Tourmentera sans fin leurs infidèles âmes ;
Tandis le désespoir, la rage, la terreur,
La haine, le dépit et l'horrible fureur
Leur feront dévorer de leurs bouches fumantes
Et de leurs propres dents leurs langues blasphémantes....
Sur le pape
...Il dit avoir les clefs des portes de l'Elyse(ée),
Gomme Dieu d'ici bas et chef de ton Eglise.
Mais quel Dieu, mais quel chef ! Lui qui va renversant
Tout ce qui vient de toi ou de ton Nom puissant !
Et lui qui a ses lois et sa vie contraire
A ta sainte bonté, à ta loi salutaire !
...Quand lu vins ici bas, tu fis, par ta bonté,
Pour soulager les tiens, un joug de liberté ;
Mais lui, avec ses lois, n'applique son étude
Qu'à recharger les siens d'un joug de servitude.
Tu veux qu'en observant ton saint commandement
On n'en ôte ou ajoute en un point seulement ;
Mais, lui le retranchant, son audace rebelle
Y ajoute toujours quelque chose nouvelle.
Tu dis en leur donnant : Prenez, buvez-en tous,
C'est mon corps et mon sang qui sont offerts pour vous ;
Mais lui, tout autrement, d'une avare malice,
Ne donne que le pain et défend le calice.
Tu fis offrande à Dieu, pour ôter nos péchez,
De ton corps, de ton sang non poilus, non tâchés ;
Et lui te fait offrir pour les Saints qu'il adore,
Pour le salut des morts et des bêtes encore.
Une fois seulement tu as offert ton corps,
Et une fois tu es ressuscité des morts ;
Mais lui te veut offrir autant de fois et d'heures
Que se chante la Messe en diverses demeures...,
Faisant ta sainte cène, avais-tu autrement,
Ou chasuble ou surplis, que ton habillement ?
Et toutefois il prend un vêtement fantasque,
Non propre à te servir mais à jouer un masque. ..
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