En 110, l'empereur chargea Pline le jeune (61/62-115), en tant que "légat d'Auguste" de réorganiser la province de Bithynie fort troublée. Le 10e livre des Lettres est entièrement consacré à la correspondance officielle entre le proconsul, gouverneur de Bithynie, et l'empereur. Parmi toutes les lettres de ce livre, deux sont particulièrement dignes d'intérêt; elles constituent le témoignage païen le plus ancien sur le Christ et les chrétiens. En effet, vers 111-112, Pline se trouve pour la première fois en présence de chrétiens. Ne manquant pas une occasion de se faire bien voir de l'empereur, Pline écrit à Trajan ce qu'il a fait et lui demande conseil sur la conduite à tenir en pareille circonstance.
Il écrit sans doute d’Amastris (actuelle Amasra, ville portuaire de Turquie, située sur la côte sud de la mer Noire), où il a séjourna du 18 septembre 110 au 3 janvier 111. Voici le texte :
"Je me suis fait un devoir, seigneur, de te consulter sur tous mes doutes. Qui mieux que toi peut me guider dans mes incertitudes ou éclairer mon ignorance ? Je n'ai jamais pris part à l'instruction d'aucun procès contre les chrétiens ; en conséquence, j'ignore ce dont on les accuse et ce qu'on punit chez eux, ni dans quelle mesure leur infliger des peines. Je n'ai pas su décider s'il faut tenir compte de l'âge ou confondre dans le même châtiment l'enfant et l'homme fait, s'il faut pardonner au repentir, ou si celui qui a été une fois chrétien ne doit pas trouver de sauvegarde à cesser de l'être, si c'est le nom seul, fut-il pur de crime, ou les crimes attaché à ce nom que l'on doit punir.
En attendant, voici la règle que j'ai suivie à l'égard de ceux que l'on a déférés à mon tribunal comme chrétiens. Je leur ai demandé s'il étaient chrétiens. Quand ils l'ont avoué, j'ai réitéré la question une seconde et une troisième fois, et les ai menacés du supplice. Quand ils ont persisté, j'ai ordonné l'exécution, car, de quelque nature que fut l'aveu qu'ils faisaient, j'ai pensé qu'on devait punir au moins leur opiniâtreté et leur inflexible obstination. J'en ai réservé d'autres, entêtés de la même folie, pour les envoyer à Rome, car ils sont citoyens romains.
Ensuite, les accusations se multipliant, le délit se présenta sous un plus grand nombre de formes. On publia un écrit anonyme où l'on dénonçait beaucoup de personnes qui niaient être chrétiennes ou l'avoir été. En ma présence, elles invoquèrent les dieux et offrirent du vin et de l'encens à ton image que j'avais fait apporter exprès avec les statues de nos divinités. En outre, elles ont maudit Christ, ce à quoi, dit-on, on ne peut jamais forcer ceux qui sont véritablement chrétiens. J'ai donc cru devoir les absoudre. D'autres, déférés par un dénonciateur, ont d'abord reconnu qu'ils étaient chrétiens et se sont rétractés aussitôt, déclarant qu'ils l'avaient véritablement été, mais qu'ils avaient cessé de l'être, les uns depuis plus de trois ans, les autres depuis un plus grand nombre d'années, quelques uns de puis plus de vingt ans. Tous ont adoré votre image et les statues des dieux; tous ont maudit Christ.
Au reste, ils prétendaient que leur faute ou leur erreur consistait à se réunir à jour fixe avant le lever du soleil, à chanter tour à tour un hymne à la gloire du Christ comme à un dieu [quasi deo], et à s'engager par serment, non à commettre quelque crime, mais à ne se livrer ni au vol, ni au brigandage, ni à l'adultère, à ne point manquer à leur promesse, et à ne point nier un dépôt. Après cela, leur coutume était de se séparer puis de se retrouver pour prendre des mets ordinaires et innocents. Depuis l'édit par lequel j'avais, sur tes injonctions, interdit les associations, ils avaient renoncé à ces pratiques. J'ai jugé nécessaire, pour découvrir la vérité, de soumettre à la torture deux servantes qu'ils disaient diaconesses [ministrae]. Je n'ai trouvé qu'une superstition défectueuse [pravam] et extravagante. J'ai donc suspendu l'information pour recourir à ton avis. L'affaire m'a paru digne de t'être soumise, surtout en raison du nombre des accusés ; car une multitude de gens de tout âge, de toute condition, des deux sexes, sont appelés au péril ou vont l'être. Ce mal contagieux n'a pas seulement touché les villes, mais a gagné les villages et les campagnes. Je crois pourtant qu'on peut l'arrêter et le corriger. Il est certain que les temples, presque désertés, sont à nouveau fréquentés, et que les cérémonies longtemps négligées recommencent. On amène des victimes qui trouvaient auparavant peu d'acheteurs. De là on peut aisément estimer qu'on peut corriger cette foule de gens si l'on gracie qui se repent".
L'empereur, dans sa réponse, considère qu'ils ne doivent pas être poursuivis mais qu'il faut les punir s'ils ont été dénoncés de manière non anonyme et si, convaincus de christianisme, ils se refusent à sacrifier au génie de l’empereur :
"Mon cher Pline, tu as suivi la conduite que tu devais dans l'examen des causes de ceux qui t'avaient été dénoncés comme chrétiens. Car on ne peut instituer une règle générale qui ait pour ainsi dire une forme fixe. Il n'y a pas à les poursuivre d'office. S'ils sont dénoncés et convaincus, il faut les condamner, mais avec la restriction suivante : celui qui aura nié être chrétien et en aura par les faits eux-mêmes donné la preuve manifeste, je veux dire en sacrifiant à nos dieux, même s'il a été suspect en ce qui concerne le passé, obtiendra le pardon comme prix de son repentir. Quant aux dénonciations anonymes, elles ne doivent jouer aucun rôle dans quelque accusation que ce soit ; c'est un procédé d'un détestable exemple et qui n'est plus de notre temps."