Jean de La Taille est né vers 1533 et a vécu environ quatre-vingts ans. Il fut placé à Paris chez l’excellent précepteur humaniste Marc-Antoine Muret. Jean de La Taille suivit ensuite à Orléans les cours de droit civil du célèbre Anne de Bourg, mais « les muses vinrent le tenter, et il sacrifia à ces sirènes qui lui semblaient plus belles que les lois, mieux peignées et de meilleure grâce ». Il admire Ronsard et Du Bellay, s’attache à versifier clairement dans notre langue, et y révèle une certaine aisance.
Mais, comme aîné de la famille, il dut soutenir l’honneur de son nom sur les champs de bataille. Il se comporta vaillamment dans les trois premières guerres civiles dites des troubles pour le fait de la religion sous la bannière huguenote du prince de Condé, puis de l’Amiral Coligny. Il n’avait pas de goût pour la guerre et exprimera en vers sa souffrance de voir la France se déchirer de ses propres mains. Il fut blessé au visage à la bataille d’Arnay-le-Duc en 1570. Le jeune prince Henri de Navarre lui fit l’honneur de le faire panser par ses chirurgiens. Il sut tirer gloire de la balafre qui lui en resta, et qui lui barrait le front et la joue droite.
Cette blessure lui inspira le sonnet À Dieu.
De quels dangers, Ô Dieu m’as-tu sauvé
Durant la guerre, où même en une charge
Je fus blessé d’une lance au visage
Porté par terre, et puis, et relevé.
Où d’un canon je fus lors préservé
Où j’ai perdu et chevaux et bagage,
Où je me vis resté avec un page,
Proie aux brigands !
Jean de La Taille se retira ensuite dans son manoir de Bondaroy où il écrivit les poèmes et les pièces de théâtre qui constituent sa plus grande gloire.
Sa première œuvre poétique fit son succès : c’est sa « Remontrance pour le roi à tous ses sujets qui ont pris les armes contre Sa Majesté ». Il place son poème dans la bouche du roi Charles IX et prêche l’absurdité de la guerre fratricide et la réconciliation. Dans la même ligne, il donnera un poème en trois chants : « le Prince nécessaire » qu’il a bien sûr dédié à Henri de Navarre.
On est surtout frappé, dans cette œuvre si diverse, par la variété des tons.
Par exemple, Jean de La Taille sait faire preuve d'humour quand il s’amuse à faire son propre éloge dans un sonnet :
Ceux qui ont pu, Bondaroy te connaître
Ne sauraient trop t’avoir en bonne estime.
Tu as l’esprit aux sciences adextre,
Qui en savoir est presque un abîme.
Dieu t’a vraiment gentilhomme fait naître.
Tu écris bien, soit en prose ou en rime,
Tandis tu as, en main lieu, fait paraître
De ta vertu maint effet magnanime.
Le ciel t’a fait en tes mœurs débonnaire,
Voire humble à tous et pour en toi se faire
Émerveiller t’a fait naître ici-bas.
Celui-là n’a point d’yeux ni d’oreilles,
Ni point d’esprit qui de toi ne fait cas,
Ou qui en toi du Ciel ne s’émerveille.
D'autres poèmes révèlent un homme sensible. C'est avec une véritable émotion, par exemple, qu'il fait parler une jeune fille que son père a enfermée dans un couvent contre son gré. Et il paraît également très ému lorsqu'il évoque la mort de sa sœur Angélique :
Faut-il qu'un corps si parfait et si beau
Soit en sa fleur l'ornement d'un tombeau ?
Elle décédera le 27 juin 1571. Il écrira alors un « Cantique à Dieu sur la mort d’Angélique de la Taille » :
Tu es donc morte, Ô chère sœur, sans moi,
Mais s’il eut plu à Dieu m’appeler lors
Je fusse heureux où je meurs de mil morts
Pour ta mort violente,
(Tant m’importune un souvenir de toi
Qui toujours se présente).
Tu m’as aidé à porter maint ennui
Dont je venais chargé de quelque lieu,
Aidé d’avis, aidé à louer Dieu.
A supporter d’un père :
Mais où pourrais-je aller querre (chercher) aujourd’hui
Confort à ma misère !...
Comment pourrais-je Ô Seigneur, supporter
De nos deux cœurs la séparation,
Si mon cœur n’a par toi discrétion,
Vu l’ennui qu’il endure,
S’il n’a par toi constance à la porter,
Afin qu’il ne murmure ?
Enfin Jean de La Taille n'est pas inhabile non plus dans la satire. Voici quelques vers sur les femmes de la Cour :
O combien sont aujourd'hui de grands dames
Qui quelquefois, dessous le corps vêtu
De broderie et non point de vertu,
Sous l'or, la soie et sous la couverture
D'une beauté cachent mainte laidure…
Jean de La Taille est l’inventeur des Trois Unités disant qu’il faut toujours représenter l’histoire et le jeu en un même jour, en un même temps, et en un même lieu. C’est l’unité d’action, de temps et de lieu de la tragédie classique dont il est ainsi le précurseur.
Sa première tragédie en vers en cinq actes, avec chœur, se nomme : « Saül le furieux ». La pièce montre la révolte de Saül contre le désamour de Dieu. Elle illustre son époque troublée pour signifier que la puissance monarchique reste dépendante de Dieu. Sa seconde tragédie en est la suite, et se nomme : « La famine ou les Gabéonites » également tirée de la Bible.