La « Ballade du Jour de Noël » (Ballade XI de l’Adolescence clémentine) de Clément Marot
Pas satirique, pas non plus totalement dévote, cette ballade reste plus proche d’un exercice de rhétorique ou de style. C’est une invitation légère à la fête et à l’amusement dans le pur esprit marotique.
En dehors de ses références bibliques nombreuses et certaines (on le verra plus loin), il ne faut sans doute pas lui chercher plus de profondeur sur le fond.
Rimes rauques
Au delà de sa thématique et sur sa forme, sa particularité reste que toutes ses rimes finissent en C et qu’on les retrouve aussi précédées des différentes voyelles de l’alphabet, au fil de la poésie : ac, ec, ic, oc, uc. Ce "cliquetis ostentatoire des rimes" rauques constituerait un art pauvre qui pourrait convenir à certains égards à l’occasion, celle de la Nativité, à son récit pastoral, à la simplicité familière de la scène, à la « maison » où naît Jésus qui n’est « de pierre, ni de bric ».
Noël de convention
À partir du texte de l’Évangile selon Luc (2. 1-20) dont il constitue une énième variation plaisante et pastorale, il met en place le personnel attendu dans des attitudes et des scènes de convention :
-adresse aux bergers et aux bergères aux noms stéréotypés (Colin, Georget, Margot, Robin, Gautier) à aller voir l’enfant-Jésus né à Bethléem,
-apparition de l’ange du Seigneur aux bergers et annonce de la naissance du Christ (Luc 2. 8-12),
-victoire par la Nativité du Bien contre Satan.
« en français, ou en grec »
Il y a un appel à chanter Noël … « en français, ou en grec » (v. 26). Or cet appel explicite à chanter la Nativité en français n’est ni courant dans les noëls, ni sans doute tout à fait innocent de la part de Marot. Ce militantisme affiché pour le français possède surtout dans ces années-là, quand il s’applique comme ici à la diffusion de la parole de l’Évangile, une résonance évangélique forte, d’autant que le français est mis en relation dans le même vers avec le grec, langue du Nouveau Testament, objet d’une reconnaissance et de la bataille de la part des humanistes soucieux de revenir aux sources des textes bibliques.
Étonnant "Noël" décidément que cette ballade aux accents apparemment naïfs qui se révèle tout autre et semble se faire l’écho des revendications d’un Lefèvre d’Étaples faisant parler Luc en français et en grec (La première traduction en français de l’Évangile par Lefèvre d’Étaples date de 1523, celle grecque d'Erasme de 1516).
NB : Les « Noëls » étaient des chants ; le titre original était « Noël en forme de ballade, sur le chant ‘j’ai vu le temps que j’étais à Bazac’. D'où le caractère rythmé du texte....
Ballade XI. Du jour de Noël
Or est Noël venu son petit trac*, (piste, chemin)
Sus donc aux champs, bergères de respec;
Prenons chacun panetière et bissac*, (besace)
Flûte, flageole, cornemuse et rebec,
Ores n’est pas temps de clore le bec,
Chantons, sautons, et dansons ric à ric*: (avec application et rigueur)
Puis allons voir l’Enfant au pauvre nic, (nid)
Tant exalté d’Elie, aussi d’Hénoc*, (personnages bibliques de l'AT qui montèrent au ciel, comme le Christ dans le NT))
Et adoré de maint grand roi et duc;
Si on nous dit nac, il faudra dire noc.
Chantons Noël, tant au soir qu’au déjuc (petit matin, moment où l’on se lève).
Colin Georget, et toi Margot du Clac.
Écoute un peu et ne dors plus illec (ici, en ce lieu) :
N’a pas longtemps, sommeillant près d’un lac,
Me fut avis qu’en ce grand chemin sec
Un jeune enfant se combattait avec
Un grand serpent et dangereux aspic;
Mais l’enfanteau, en moins de dire pic,
D’une grande croix lui donna si grand choc
Qu’il l’abattit et lui cassa le suc*(col, tête);
Garde n’avait de dire en ce défroc*(déroute, désastre) :
Chantons Noël tant au soir qu’au déjuc.
Quand je l’ouï frapper, et tic et tac,
Et lui donner si merveilleux échec,
L’ange me dit d’un joyeux estomac:
Chante Noël, en français ou en grec,
Et de chagrin ne donne plus un zec, (de zest : un rien, une chose sans valeur)
Car le serpent a été pris au bric.
Lors m’éveillais, et comme fantastic
Tous mes troupeaux je laissais près un roc.
Si m’en allais plus fier qu’un archiduc
En Bethléem : Robin, Gauthier et Roch,
Chantons Noël tant au soir qu’au déjuc.
ENVOI.
Prince dévot, souverain catholic,
Sa maison n’est de pierre ni de bric,
Car tous les vents y soufflent à grand floc;
Et qu’ainsi soit, demandez à saint Luc.
Sus donc avant, pendons souci au croc,
Chantons Noël tant au soir qu’au déjuc.
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Jean-Charles Monferran, « "Chantons Noël"
(à propos de la ballade XI de L’Adolescence clémentine) », Babel, Hors-série Agrégation | 2019, 103-122.