22 avril 1732, exécution de Pierre Durand, à Montpellier par une pluie battante. Sa femme, réfugiée en Suisse, dit, en apprenant la mauvaise nouvelle :
„Dieu me l‘avait donné, Dieu me l‘a ôté, que saint nom soit béni!“
Cependant elle ajouta :
„Il me manque tant!“
Voici une vieille complainte, chantée par le peuple protestant en larmes :
Venez, petits et grands,
Entendre la sentence
Prononcée à Durand
Qui crie à Dieu vengeance
Et par cette sentence
Durand est condamné
D'être sur la potence
Pendu et étranglé.
Quel crime avait-il fait,
Ce pasteur des fidèles
Pour avoir mérité
Des peines si cruelles
Trois mois dans la souffrance,
Nourri au pain, à l'eau,
Mourir sur la potence,
De la main du bourreau ?
Le poète narre ensuite le voyage du martyr à Montpellier, et son interrogatoire :
Il fut interrogé
Par M. de Bernage
Durand lui répondait
D'un ton prudent et sage.
- Dites-moi : pour quel crime
Êtes-vous dans ce lieu ?
- Répond cette victime
Pour avoir prié Dieu.
- Mais l'avez-vous prié
Comme un bon catholique ?
- Oui, monsieur, j'ai prêché
La loi évangélique.
Le nom de catholique
Vous nous l'avez volé;
La loi évangélique
Seule doit le porter.
- Êtes-vous un pasteur,
Dites-moi je vous prie,
De ceux qui vont aux champs,
Qui prêchent l'hérésie ?
- Oui, monsieur, d'un grand zèle,
Avec un grand désir,
J'ai prêché l'Evangile
Du Seigneur Jésus-Christ.
Mais encore la complainte met sur les lèvres du pasteur l'apologie d'une croyance qui, elle, permet du moins de s'approcher de Dieu sans intermédiaire :
De s'adresser à Dieu
Vous nommez hérésie
Lisez en St-Mathieu,
OÙ Jésus nous convie,
Nous disant de la sorte
« Vous qui êtes chargé,
Venez, je suis la porte,
Vous serez soulagés. »
Maintenant, elle nous représente, en, des accents naïfs mais touchants, les adieux du héros à ceux qu'il va quitter :
Je vous dis tendrement,
Adieu, ma chère femme,
Es mains du Tout-Puissant,
Je vais rendre mon âme.
Invoquez-le sans cesse,
Mains jointes, à genoux,
Et, selon sa promesse,
Il sera votre époux.
Adieu, mes chers enfants,
Croyez bien votre mère ;
Le Seigneur tout puissant
Vous servira de Père.
Dieu vous donne sa crainte,
Son amour et sa paix
Sa religion sainte
N'abandonnez jamais
Adieu, mon cher troupeau,
Adieu, ma chère Eglise,
Je prie le Très-Haut
Qu'il Vous garde de prise.
Soyez toujours fidèle,
En espérant toujours
Qu' en a vie éternelle
Nous nous verrons un jour.
Adieu, vous, chers pasteurs,
Mes collègues de France,
Je prie le Seigneur,
Par sa toute-puissance,
Qu'il veuille vous conduire,
Par son divin Esprit,
Et à jamais détruire
La loi de l'Antéchrist.
Je sais bien qu'il me faut,
Par l'édit de la France,
Mourir sur l'échafaud.
A Dieu soit la vengeance
Mon Seigneur je supplie.
Je m'en vais dans le ciel,
Pour tenir compagnie
A mon frère Roussel.
C'est là ne nous serons
Avecque les saints anges
Nuit et jour chanterons
Ses divines louanges.
Ah quelle symphonie
Ah l'aimable séjour
D'ouïr la psalmodie
De la céleste cour !
Quant à moi je suis pris !
Mais c’est la Providence,
Qui l’a ainsi permis,
Non point la négligence.
Dieu m’appelle à mourir.
Je ne veux résister,
Je suis tout prêt à suivre,
Sa sainte volonté.
Il se mit à chanter,
Ayant au cou la corde,
Le long de son chemin,
Chantant miséricorde.
Quand il fut à la place,
Embrassa le poteau,
Pardonna la justice,
Ainsi que le bourreau.
Ayant fait ses adieux,
Il monta à l'échelle,
Levant les yeux aux cieux,
D'un amour plein de zèle,
Grand Dieu, miséricorde,
Pour l'amour de ton Fils !
Et ta gloire m'accorde
Dans ton saint paradis !