21 mai 1891. Pierre Loti et la Bible
Pierre Loti de son vrai nom Louis Marie Julien Viaud est un écrivain français qui a mené parallèlement une carrière d'officier de marine. Il entre en 1867 à l'École navale de Brest. ... Il est élu à l'Académie française au fauteuil 13, le 21 mai 1891.
Dans le « Roman d’un enfant », Pierre Loti (1850-1923), à quarante ans (1890) revient au monde clos de sa province natale, aux relations étroites avec sa famille, aux descriptions nostalgiques d’une vie sans aventure.
Il raconte comment Julien Viaud, fils trop sage et trop choyé d’un employé municipal de la ville de Rochefort, est devenu Pierre Loti, navigateur et écrivain célèbre. Loti invente donc ici –consciemment ou inconsciemment- cette image de son enfance qui a pour but de mieux souligner son évolution spirituelle…
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Le Roman d’un enfant, Pierre Loti, Nelson 1936
chap 23, p 99 :
« Le salon de ces veillées, tel que je l'ai connu alors, était grand et me paraissait immense. Très simple, mais avec un certain bon goût d'arrangement : les murs et les bois des portes, bruns avec des filets d'or mat ; des meubles de velours rouge, qui devaient dater de Louis-Philippe ; des portraits de famille, dans des cadres austères, noir et or ; sur la cheminée, des bronzes d'aspect grave ; sur la table au milieu, à une place d'honneur, une grosse Bible du XVIe siècle, relique vénérable d'ancêtres huguenots persécutés pour leur foi ».
Chap 24, p 104-105 :
« “Alors j'entendis un ange qui volait par le milieu du ciel et qui dirait à haute voir : "Malheur, malheur, malheur aux habitants de la terre”
... En plus de la lecture du soir faite en famille, chaque matin dans mon lit je lisais un chapitre de la Bible, avant de me lever.
Ma Bible était petite et d'un caractère très fin. Il y avait, entre les pages, des fleurs séchées auxquelles je tenais beaucoup ; surtout une branche de pieds d'alouette roses, magnifiques, qui avaient le don de me rappeler très nettement les “gleux” de l'île d'oleron où je les avais cueillis ».
« “Alors j'entendis un ange, qui volait par le milieu du ciel et qui disait à haute voix : "Malheur, malheur, malheur aux habitants de la terre !" “Puis le cinquième ange sonna de la trompette et je vis une étoile qui tomba du ciel en la terre, et la clef du puits de l'abîme lui fit donnée.” Quand je lisais ma Bible seul, ayant le choix des passages, c'était toujours la Genèse grandiose, la séparation de la lumière et des ténèbres, ou bien les visions et les émerveillements apocalyptiques ; j'étais fasciné par toute cette poésie de rêve et de terreur qui n'a jamais été égalée, que je sache, dans aucun livre humain... La bête à sept têtes, les signes du ciel, le son de la dernière trompette, ces épouvantes m'étaient familières ; elles hantaient mon imagination et la charmaient. »
Chap 29, p 117-118 :
« Chez grand mère, au fond de ce placard aux reliques où se tenait le livre des grandes terreurs d'Apocalypse : l'Histoire de la Bible, il y avait aussi plusieurs autres choses vénérables. D'abord un vieux psautier, infiniment petit entre ses fermoirs d'argent, comme un livre de poupée, et qui avait dû être une merveille typographique à son époque. Il était ainsi en miniature, me disait-on, pour pouvoir se dissimuler sans peine ; à l'époque des persécutions, des ancêtres à nous avaient dû souvent le porter, caché sous leurs vêtements. Il y avait surtout, dans un carton, une liasse de lettres sur parchemin timbrées de Leyde ou d'Amsterdam, de 1702 à 1710, et portant de larges cachets de cire dont le chiffre était surmonté d'une couronne de comte. Lettres d'aïeux huguenots qui, à la révocation de l'édit de Nantes, avaient quitté leurs terres, leurs amis, leur patrie, tout au monde, pour ne pas abjurer. Ils écrivaient à un vieux grand père, trop âgé alors pour prendre le chemin de l'exil, et qui avait pu, je ne sais comment, rester ignoré dans un coin de l'île d'oleron. Ils étaient soumis et respectueux envers lui comme on ne l'est plus de nos jours ; ils lui demandaient conseil ou permission pour tout, - même pour porter certaines perruques dont la mode venait à Amsterdam en ce temps-là. Puis ils contaient leurs affaires, sans un murmure jamais, avec une résignation évangélique ; leurs biens étant confisqués, ils étaient obligés de s'occuper de commerce pour vivre là-bas ; et ils espéraient, disaient-ils, avec l'aide de Dieu, avoir toujours du pain pour leurs enfants. »
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Le Roman d’un enfant, Gallimard, Folio, édition de Bruno Vercier, 1999