21 mai 1836. Esther Carpentier

publié le 21 May 2024 à 02h01 par José LONCKE

21 mai 1836. Nouveaux chemins vicinaux et Esther Carpentier (v1790-1870)
Notre vicinalité est redevable à la loi du 21 mai 1836 de grandes améliorations. Ce jour là, la chambre des députés et la chambre des pairs avaient voté enfin une loi sur la construction et l’entretien des chemins vicinaux.  Car jusque-là, les routes avaient été très peu nombreuses. Beaucoup de villages n’en avaient aucune. Les communications avec les centres voisins ne se faisaient que difficilement par des chemins rocailleux, creusés de profondes ornières et ravinés par les eaux.
Des chemins vicinaux sont nouvellement créés dans toute la France et cela change le quotidien des nombreuses personnes qui parcouraient en long et en large les nouveaux chemins vicinaux.

Ainsi en est-il d'Esther Carpentier née à Hargicourt, près de Saint-Quentin (Aisne). Son métier était celui de porte-balle (gros paquet de marchandise) comme on disait alors. Elle allait par les campagnes portant sur le dos, au moyen de deux courroies, une haute et assez large boîte en forme d’armoire, à deux portes. Au-dedans de la boîte étaient posées des tablettes, sur lesquelles s’étageaient les marchandises composant le petit magasin de notre sœur. Il consistait en écheveaux de fil et de laine de diverses couleurs, en pièces de bord assorties, en pelotes de coton bleu, blanc ou rouge ; puis des paquets d’aiguilles, d’agrafes, de boutons, de lacets, etc. et, par-dessus tout cela, des exemplaires du Nouveau Testament.

21 mai 1836. Esther Carpentier



Le pasteur Aimé Cadot a été en son temps un auteur prolixe et apprécié. Il avait fait également œuvre d’historien avec la publication de ses Notes et Récits. Cet ouvrage est à la fois irremplaçable et introuvable. Serait-il lu si on le rééditait ?  Peut-être ces quelques Pages choisies, donneront une idée de ce qu’on perd à ne pas le lire et l’envie d’en lire davantage. 

ESTHER CARPENTIER (vers 1790-vers 1870)
Elle était née à Hargicourt, près de St-Quentin (Aisne). Son métier était celui de porte-balle, comme on disait alors. Elle allait par les campagnes portant sur le dos, au moyen de deux courroies, une haute et assez large boîte en forme d’armoire, à deux portes. Au-dedans de la boîte étaient posées des tablettes, sur lesquelles s’étageaient les marchandises composant le petit magasin de notre sœur. Il consistait en écheveaux de fil et de laine de diverses couleurs, en pièces de bord assorties, en pelotes de coton bleu, blanc ou rouge ; puis des paquets d’aiguilles, des agrafes, des boutons, des lacets, etc., et, par-dessus tout cela, des Nouveaux Testaments.

Notre sœur Esther était une vieille Huguenote, une protestante austère, très grave, très pieuse, en même temps qu’une célibataire d’une grande vertu. Elle était de haute taille et de forte corpulence.

Animée d’un grand zèle religieux, et mue par l’amour des âmes, elle s’en allait par le monde, comme les anciens colporteurs Vaudois, annonçant le précieux salut qui est en Jésus-Christ, à tous ceux qui voulaient bien l’écouter. Partout où elle était accueillie, la mercière ambulante faisait halte, causait avec les gens curieux de savoir une chose ou l’autre, leur parlait bientôt de son Saint Livre, ainsi que du salut gratuit qu’il annonce aux pauvres pécheurs perdus.
C’est cette chère sœur Esther qui, pressée en son cœur de rendre témoignage à son bon Sauveur, ouvrit les avenues de l’Evangile à nos anciens amis de Genlis. De Manicamp, de Béthancourt-en-vaux, de Caillouel, de Barisis, de Rouy, de Servais, de Deuillet et autres lieux autour de Chauny et de La Fère. – Elle fut de même un guide pour nos frères d’Athies, de Chéry-les-Pouilly, près de Laon, ainsi que pour ceux de Guiscard et du Meux, de La Bretelle-Mondécourt, de Salency, de Baboeuf, dans l’Oise. Et partout, nos pionniers la suivirent, étendant l’œuvre à Rivecourt, à Verberie, à Noël-Saint-Martin, à Saint-Sauveur, et dans un grand nombre d’autres localités, telles que Chelles, Cuise-Lamotte, Berneuil, Cuts, Beaulieu-les-Fontaines, etc.

Ce n’est pas notre sœur qui ouvrit ces dernières portes ; mais ceux qu’elle avait éclairés parlèrent à leurs amis ; et l’œuvre s’étendit peu à peu. Impossible de dire tout ce que fit cette vaillante femme, pendant toute sa longue vie de porte-balle, pour éclairer des âmes, les mettre en garde contre la superstition et les doctrines humaines, et pour les porter à la foi au Sauveur. Née apôtre, elle tenait elle-même des réunions aux gens des villages, où des amis lui donnaient l’hospitalité.
Parfois, les prêtres venaient pour la contredire, combattre ou nier effrontément ce qu’elle disait. Mais ils avaient affaire à forte partie, et, l’Evangile à la main, elle discutait avec eux et leur fermait la bouche, de sorte qu’ils ne retiraient de leurs attaques que la confusion et la déroute.

Un jour, c’était en 1848, il lui arriva une affaire d’une grave nature qui ressemble à une histoire de brigand. Elle était allée dans la Somme et revenait à pied d’Amiens, portant au bras ce qu’on appelait alors un ridicule assez grand, rempli de marchandises, ou autres objets de quelques valeur. Elle se rendait dans une localité dont elle ignorait la route, et demanda son chemin à deux hommes de mauvaise mine qu’elle rencontra. Il y eut sans doute sur l’heure un signe d’intelligence entre les deux individus. Le plus vieux, père de l’autre, dit à son fils : «  Va la conduire jusqu’au carrefour ». Celui-ci dirigea vers la forêt la voyageuse isolée.
Quand le guide, suspect par sa grande complaisance et son air douteux, se crut assez loin, et bien abrité par le bois, pour tenter un mauvais coup, il saisit brusquement le précieux cabas de sœur Esther, et lui faisant des yeux menaçants avec une attitude féroce, j’imagine, il lui cria : «  la bourse ou la vie ! »
Pauvre sœur Esther ! Qu’allait-elle devenir, seule dans ce bois écarté, en face d’un scélérat ? Celui-ci tirait sur le gros ridicule qu’elle portait au bras, et voulait le lui arracher. Celle-là le retenait fermement de la main gauche et ne fléchissait pas. Mais ne voulant pas lâcher la proie convoitée, le vil coquin allait peut-être devenir dangereux, lorsque notre énergique amie bondit sur lui et lui appliqua sur le nez un coup si solide de son robuste poing, que le voleur tomba par terre et lâcha prise. Délivrée par ce coup de maître, notre sœur s’enfuit avec son paquet, sans que le vaurien, si bien étrillé, osât la poursuivre.
Voilà la femme énergique qu’était notre sœur Esther Carpentier.
Que de luttes elle dut soutenir par la parole pour la sainte cause de Dieu, et de combien d’inimitiés elle fut l’objet, à cause de son courage à proclamer la vérité et à combattre l’erreur !

Cette chère servante du Seigneur avait inspiré une telle confiance aux gens des villages où elle allait vendre son bord, son fil et ses aiguilles, que je sais comment ni où, quelqu’un parla d’elle à la Duchesse d’Orléans, qui était protestante et pieuse. C’était après la triste mort accidentelle de son époux, le Duc d’Orléans. La sympathique Altesse royale, plongée dans un deuil immense et, par suite, troublée dans sa pieuse confiance en Dieu, fit appeler notre sœur Esther pour causer avec elle, espérant retrouver quand elle l’aurait ouïe, sa précieuse paix au moyen des paroles de la chère porte balle. Nous ne pouvons dire si ce fut au château de la forêt du Nouvion où ailleurs que la sainte Huguenote essaya de verser le baume des consolations divines dans le cœur de la noble veuve. – La foi vivante et sûre exercera toujours sur les âmes croyantes une influence salutaire, et met un précieux baume sur les plaies de leur cœur.


Aimé Cadot, Notes et récits sur les origines des Eglises baptistes du Nord de la France, Mont-sur-Marchiennes, 1907 , pp 13s

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