Descendant direct du chef protestant René de La Tour du Pin Gouvernet du côté de son père et de Condorcet par sa mère, Patrice de La Tour du Pin (1911-1975) est né à Paris le 16 mars 1911.
Poète et mystique catholique discret, résolument non médiatique, il entra en dialogue avec tous les milieux de son temps, y compris la pensée athée. Il ne cessa en effet de sonder le mystère de l'homme :
« Un homme était penché sur sa genèse.
La vie roulait partout vers son estuaire triste,
Les abîmes du ciel paraissaient bien taris,
Ceux des fonds de la chair ne rendaient que le vide
à qui cherchaient en eux un signe de l'Esprit :
L'homme restait crispé sur le bord de lui-même. »
Il s'est fait particulièrement connaître à ce moment-là par la publication de « Quête de joie » à 19 ans. C'est Jules Supervielle, à qui il avait apporté son manuscrit, qui fit publier ce recueil dansa Nouvelle Revue française. Dans ce recueil, c'est en particulier le poème "Enfants de septembre" qui le rendit célèbre.
Il commença aussi à publier des poèmes qu'il rassemblera en la "Somme de poésie". Pendant la Seconde Guerre mondial, il fut fait prisonnier et resta en Allemagne trois ans. Chaque jour de sa captivité, il continuait à rédiger ses poésies (qui deviendront la première partie de la Somme); ce fut la période de sa vie la plus productive, au cœur même de l'enfermement. À son retour, il épousa sa cousine Anne de Bernis, et continua à travailler sur la Somme qui ne sera publiée dans son entier en trois volumes qu'en 1981-1983.
La poésie de Patrice de La Tour du Pin saisit d'emblée par son souffle intact, sa fraîcheur dépourvue de mièvrerie :
« Je suis le versant de la vie secrète
Qui en vieillissant sait s'en rapprocher,
Mais qui dès l'enfance en disait la fête »,
écrit-il avec une humilité non feinte, dans une langue simple où chaque image se dessine comme une évidence. L'esprit d'enfance : voilà sans doute la clé pour pénétrer l'oeuvre de cet orphelin de guerre.
Marquée par la rêverie, son écriture se rapproche parfois de la prière, empreinte qu'elle est d'une foi profonde, voire d'un certain mysticisme - mais contenu -, comme dans cette superbe pièce en forme de litanie :
« Dieu du souffle,
Vous de la source et de l'estuaire de l'esprit,
Vous du vif du bonheur et de l'angoisse humaine,
Vous du germe à la mort et jusqu'au paradis »…
Au début des années 60, il participera à la rédaction des psaumes liturgiques en français. Il a aussi rédigé un grand nombre des premiers chants pour la liturgie des heures en langue française, mis en musique pour beaucoup par Didier Rimaud et Joseph Gelineau.
Peuple de Dieu, n’aie pas de honte,
Montre ton signe à ce temps-ci !
En traversant l’âge du monde,
Cherche ton souffle dans l’Esprit ;
Lève ton hymne à sa puissance,
Tourne à sa grâce ton penchant :
Pour qu’il habite tes louanges
Et soit visible en ses enfants.
Tiens son amour, tiens son épreuve ;
C’est dans la joie qu’il te confia
Toute la charge de son œuvre
Pour qu'elle chante par ta voix :
Ne te replie pas sur toi-même
Comme si Dieu faisait ainsi !
C’est quand tu aimes que Dieu t’aime,
Ouvre ton cœur, fais comme lui.
Va, puise dans ton héritage
Et, sans compter, partage-le ;
Gagne l’épreuve de cet âge,
Porte partout le nom de Dieu !
Qu’il te rudoie, qu’il te réveille :
Tu es son corps, dans son Esprit !
Peuple d’un Dieu qui fait merveille,
Sois sa merveille d’aujourd’hui.
Il publie encore en 1974, « Psaumes de tous les temps », psaumes de sa propre composition. Il meurt à Paris en 1975.
Citations :
«Tout homme est une histoire sacrée.»
«Notre base n'est pas la poésie, notre base est l'homme… Que deviendrait le chant loin des hommes, que signifie le plan propre à la poésie ? À quoi sert-il de s'aventurer sur le prétendu plan de l'art pur, sinon pour acquérir certaines richesses techniques et pour explorer sans vraiment coloniser ? Que veut dire cette pureté ? Vous qualifiez les domaines avec des termes qui ne conviennent qu'aux âmes ; et l'amour inclinera vers le froid… Quoi que vous fassiez dans votre œuvre, vous vous faites vous-mêmes. Vous avez tracé des allées intérieures où vous vous êtes engagés…»
«Tous les pays qui n'ont plus de légende seront condamnés à mourir de froid…» (La Quête de Joie, p. 25)
«Dieu ne demande pas l'impossible, il le donne.»
Bibliographie de Patrice de la Tour du Pin :
-Psaumes (1938)
-La Quête de Joie (1939)
-Psaumes de Tous Mes Temps (1974)
-Une Somme de Poésie (1981) :
Tome I : Le Jeu de l’homme en lui-même
Tome II : Le Jeu de l’homme devant les autres (1982)
Tome III : Le Jeu de l’homme devant Dieu (1983)
Source : Jacques Gauthier, Patrice de La Tour du Pin, quêteur du Dieu de joie, Médiaspaul & Éditions Paulines, 1987. Extrait de la préface:
« La langage de Patrice de La Tour du Pin est simple. Pourtant sa richesse et sa profondeur le rendent parfois obscur à certains lecteurs. Pour en pénétrer le sens, rien ne peut remplacer une longue et intime fréquentation... Tel est l'ouvrage de Jacques Gauthier ici présenté. Avec une grande connaissance de l'homme et de l'oeuvre, avec un sentiment profond d'admiration - car comment pénétrer le mystère sans l'aimer? - il nous introduit tout à la fois dans l'œuvre écrite et la vie intérieure de l'auteur en ce qu'elles ont d'inséparable ».