15 mai 1886. Emily (Elisabeth) Dickinson (1830-1886)
Emily Dickinson forme en quelque sorte le lien entre son époque et les sensibilités littéraires de la fin de son siècle.
Elle naquit à Amherst, le 10 décembre 1830 dans le Massachusetts, petite bourgade calviniste où elle passa son existence. Farouchement indépendante, elle ne se maria jamais et mena une vie libre apparemment tranquille mais d’une grande intensité intérieure. Elle aimait la nature et puisa une inspiration chez les oiseaux, les animaux, les plantes et dans les changements de saison à la campagne.
Elle passa la dernière partie de sa vie recluse, à cause d’une sensibilité exacerbée et peut-être aussi pour avoir le temps d’écrire (a plusieurs reprises, elle écrivait un poème par jour). En outre, elle devait effectuer son travail de maîtresse de maison pour son père, avocat, notable d’Amherst qui siégea au Congrès. Elle est morte le 15 mai 1886.
Elle avait fait peu d’études, mais elle connaissait parfaitement la Bible, Shakespeare et les œuvres de la mythologie classique. Là étaient ses vrais maîtres, car elle fut sans le moindre doute la figure littéraire la plus solitaire de son temps.
Que cette villageoise timide et isolée, presque jamais publiée et quasiment inconnue, ait écrit une des poésies les plus grandioses de l’Amérique du 19ème siècle ne cesse de fasciner le public depuis qu’on l’a redécouverte dans les années 1950.
Son style sobre, fréquemment imagiste est extrêmement moderne et novateur.
Ses poèmes parlent de la mort, de l’éternité, de Dieu et la vie après la mort.
Nombre de ses poèmes tournent en dérision la sentimentalité, certains frisent l’hérésie. Parfois, elle fait preuve d’une conscience existentielle terrifiante. Elle explore les régions sombres et cachées de l’esprit, met en scène la mort et la tombe.
Mais elle chante aussi les choses simples – une fleur, une abeille. Sa poésie révèle une grande intelligence et évoque souvent l’ironie crucifiante des limites de la conscience humaine piégée dans le temps.
Elle a de l’humour et traite d’une quantité de sujets de manières très différentes. On connaît généralement ses poèmes par les numéros que leur a donnés Thomas H. Johnson dans son édition de 1955.
Non-conformiste, elle inverse souvent le sens des mots et fait un large usage du paradoxe. Extrait du 435 :
Beaucoup de Folie, c’est le bon sens au
sommet du divin
Pour un Œil perspicace –
Beaucoup de bon Sens – pure Folie –
La Majorité l’emporte
En ceci comme en tout –
Accepte – et tu es sain d’esprit –Hésite –
tu es classé dangereux
Et tenu au bout d’une chaîne –
Son esprit éclate dans le poème 288 qui ridiculise l’ambition et la vie publique:
Je suis Personne! Qui êtes-vous?
Êtes-vous – Personne – Aussi?
Alors nous ferions la paire?
Ne dites rien! Ils en parleraient –
vous le savez!
Quel ennui – être – Quelqu’un!
Quelle banalité – telle une Grenouille –
De dire son nom – tout au long de Juin –
Au marais béat!
Les 1775 poèmes d’Emily Dickinson (dont seulement 7 ont été publiés de son vivant) continuent d’intriguer les critiques qui ne sont pas toujours d’accord.
-Certains font ressortir leur côté mystique,
-d’autres leur sensibilité à la nature;
-beaucoup notent leur attrait si étrange. Un critique moderne, R.P. Blackmur, dit de sa poésie qu’on a parfois l’impression qu’«un chat s’avance vers nous et parle notre langue».
Ses poèmes ciselés, nets et clairs, sont l’une des énigmes les plus fascinantes de la littérature américaine.
Source : Esquisse de la Littérature américaine, Kathyn Van Spanckeren, 1994, Christophe Little, p 35s