Introduction
Dans les récits des trois Évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc), les disputes légales, les procès et autres jugements jouent bien un rôle important. Ces trois Évangiles relatent par exemple combien, pendant son ministère, Jésus de Nazareth a pris part à certaines controverses, parfois houleuses, avec des groupes religieux tels les Pharisiens ou les Sadducéens, à propos notamment de l’interprétation de la Torah. Chacun de ces Évangiles synoptiques relate également comment, à la fin du récit, Jésus a été arrêté, puis fut victime d’une parodie de procès devant le Sanhédrin et devant Pilate, avant d’être finalement condamné à mort et crucifié par les romains.
En cela, l’Évangile selon Jean n’est pas foncièrement différent des Évangiles synoptiques, car en Jean comme dans les synoptiques, ces divers éléments juridiques se retrouvent au fil du récit. Le récit que Jean relate de la vie de Jésus est aussi fait de controverses, d’une arrestation, d’un procès devant Pilate et d’une mise à mort. Et pourtant, le Quatrième Évangile se distingue des autres, tant tous ces aspects et ces thématiques juridiques prennent une place bien plus importante dans le récit. Ce n’est pas simplement que l’auteur de notre Évangile donne plus de place que d’autres à ces notions. Non, l’évangéliste va plus loin en adaptant le récit traditionnel (synoptique), élaborant et disposant son récit pour que les thématiques juridiques et légales deviennent des éléments centraux et même capitaux pour la compréhension de son récit. En effet, comme plusieurs exégètes l’ont remarqué ces dernières années (1) , la métaphore légale - et plus précisément celle d’un grand procès cosmique entre Dieu et le monde - est une des façons majeures dont l’évangéliste interprète la vie et le sens du ministère de Jésus. C’est de cette métaphore dont il sera largement question dans la suite de cet essai.
En Jean, la mission de Jésus est pensée premièrement en termes de témoignage. En effet, c’est pour être le témoin principal dans ce grand procès métaphorique que Jésus a été envoyé dans le monde (Jn 18,37). La mission que le Père lui a confiée est donc une mission foncièrement juridique, une mission de témoignage. De plus, notre Évangile présente un nombre important de personnages dont la mission de témoignage devra elle-même procéder de celle de Jésus. C’est le cas des disciples qui, à la suite de leur maître, seront appelés à devenir des témoins. Jn 20,21 explicite bien cette procession : « Jésus leur dit à nouveau : Que la paix soit avec vous ! Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ». C’est également le cas de l’Esprit Saint, du Paraclet, dont la mission procède aussi en ce sens de celle de Jésus. Dans notre Évangile, donc, la mission de témoignage de Jésus n’est pas une fin en soi. C’est une mission qui devra être poursuivie et développée par ses disciples, par ses « successeurs ».
Dans le cadre d’un colloque théologique intitulé « Que dire et comment le dire ? », il peut paraître étonnant de parler d’un procès. Mais c’est justement parce que la place du témoignage est si importante dans ce récit biblique qu’il nous a semblé intéressant d’étudier plus en profondeur ces notions. Dans le récit de l’Évangile selon Jean, les témoins sont non seulement nombreux, mais ils sont aussi appelés à dire l’évangile. Plus encore, ils sont enseignés et façonnés sur la façon de le dire. C’est ce qui retiendra précisément notre attention dans ce qui suit car nous argumenterons que les intentions rhétoriques du récit de l’Évangile selon Jean vont dans ce sens. Le récit est construit, élaboré, non seulement pour présenter la vie et la mission de Jésus dans le monde, pour affermir ses lecteurs dans leur foi et leur compréhension de l’identité du Christ, mais bien plus encore, pour renforcer ses lecteurs et surtout les préparer à un témoignage toujours plus fidèle et véridique dans le monde.
C’est précisément pour cela que le Quatrième Évangile est d’une grande pertinence pour répondre à la question : « Que dire et comment le dire ». C’est un Évangile qui existe pour encourager et exhorter ses lecteurs au témoignage, en lui donnant un cadre métaphorique utile et pertinent pour penser la mission chrétienne dans le monde d’aujourd’hui.
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