Mon ordinateur portable perdu entre deux piles de papier à l’équilibre incertain, mon esprit est préoccupé par mon dernier article en cours de rédaction. Cet article doit décrire le fruit d’une collaboration avec une chercheuse américaine. Il y est question de plantes, de diversité génétique et d’évolution. Voilà qui résume bien mon champ d’étude: je suis généticien dans le domaine de la biologie évolutive.
Enseignant-chercheur depuis plus de dix ans à l’université de Lille-1 dans un laboratoire associé au CNRS, j’ai le privilège de faire un métier passionnant. Me voilà aux premières loges pour comprendre et surtout contempler le fabuleux «Livre de la Nature».
D’autant plus qu’en tant que croyant, cet émerveillement me renvoie à Celui qui est l’Auteur de toutes choses. C’est ce que chantait déjà le poète ancien: «Tous les cieux proclament combien Dieu est glorieux, l’étendue céleste publie l’œuvre de ses mains» (1). Comment aujourd’hui rester de marbre face à la complexité du vivant, des gènes aux génomes, de la cellule à l’organisme, des populations aux écosystèmes?
Faire des hypothèses et tester, expérimenter, afin de mieux comprendre le monde matériel, ce monde qui nous entoure, dont nous sommes issus et dont nous faisons partie, n’est-ce pas finalement retrouver notre vocation originelle d’Homo sapiensselon la parole biblique: cultiver le jardin, organiser et gérer?
Émerveillement et soif de savoir
Activité noble et inhérente à notre humanité, la recherche scientifique ne peut être réduite à répondre à une demande sociétale immédiate. Son objectif n’est pas seulement utilitaire. Elle n’est pas non plus défi envers un Dieu qui cache ou se cache. Je ne crois pas à un dieu réduit à l’espace étriqué de ce que l’on ne comprend pas encore, d’un dieu qui brouillerait les pistes à coup d’illusions d’âge et de lois universelles. Je crois que le monde est compréhensible, «appréhendable» par une démarche raisonnable, scientifique, et que Dieu se réjouit de notre goût du savoir et du comprendre. Pour moi, de savoir en savoir, la découverte de l’infiniment grand, l’infiniment petit, l’infiniment complexe et l’infiniment beau me pousse à l’émerveillement et l’adoration.
Confiance et attente
Tous ces comment que nous tentons de résoudre, toute cette mécanique des origines de l’univers ou de la vie que nous tentons de décortiquer, ne peuvent se substituer aux pourquoi, à la quête d’un sens (et d’une direction) à notre vie. Le «savant» a ainsi les mêmes craintes de l’avenir, les mêmes questions et absences de réponse que le «profane»!
En tant que croyant je crois que tout vient de Dieu, source de vie, et chaque journée qui commence, je décide de la vivre avec Lui et pour Lui. Je refuse de tomber dans l’illusion de la toute puissance ou de la toute suffisance, et je construis une relation de partenariat avec Dieu, jusque dans mon activité professionnelle. Je confie ainsi mes expériences en cours pour qu’elles fonctionnent, je m’applique à exercer mes travaux avec soin, honnêteté et respect de l’autre, et je refuse de tomber dans une quête effrénée de reconnaissance, car en science aussi le culte de l’Ego n’est jamais très loin!
Cohérence et humilité
Je ne pense pas que d’être croyant fait de moi un meilleur scientifique, ni que d’être scientifique fait de moi un meilleur croyant.
Pendant bien des années j’ai tenté de faire cohabiter paisiblement les deux parties de moi-même en les cloisonnant, en leur délimitant un espace propre. Et puis un jour, comme bien d’autres avant moi, il m’est apparu inévitable de les faire se rencontrer, se confronter. Je suis convaincu que Dieu veut faire de moi une personne et une seule, scientifique-croyant ou croyant-scientifique. Je n’ai pas la prétention de ne plus avoir de questions, ou d’avoir trouvé toutes les réponses. Il demeure des mystères, des questionnements, mais je tente de creuser avec persévérance un chemin de cohérence et d’unité. Cohérence entre ce que je sais et ce que je crois. Cohérence entre ce que je crois et ce que je vis, en toute humilité.
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La gynodiœcie: un phénomène intriguant.
Le monde vivant est caractérisé par une très grande diversité des espèces quand on considère leurs formes, leurs couleurs, leurs modes de vie… Cette diversité se trouve aussi au sein des populations d’une même espèce. Par exemple, parmi les plantes à fleurs, un grand nombre sont gynodioïques. Cela veut dire que l’on pourra trouver dans une même population des plantes hermaphrodites, ayant naturellement une fonction mâle (pollen) et une fonction femelle (graines), et des plantes femelles qui ont perdu leur fonction mâle.
Ce phénomène connu depuis longtemps et décrit par Darwin, a suscité de nombreuses études tant théoriques qu’expérimentales. En effet, on se trouve face à un paradoxe: comment cette perte de fonction mâle peut-elle se maintenir au cours du temps? Ceci s’explique si les plantes femelles utilisant l’énergie non consommée dans la production de pollen produisent plus de graines que leurs congénères hermaphrodites! Quant à l’origine génétique de ce phénomène, il faut la chercher au niveau du génome des mitochondries (usines électriques de nos cellules) qui produit des facteurs bloquant la production de pollen. Ces facteurs se répandent dans les populations puisqu’ils sont transmis par les graines produites en plus grande quantité par les plantes qui les portent! En effet, pour les plantes à fleurs, comme pour vous et moi, c’est la maman qui transmet les mitochondries à sa descendance.
À y regarder encore de plus près, ce phénomène de gynodiœcie est le fruit de ce qu’on a appelé un conflit entre le génome mitochondrial et le génome nucléaire. Ainsi, il est question d’interactions complexes, de «conflits d’intérêts» et d’équilibre plus ou moins stable. Un phénomène vivant en somme!
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