Quand on fait un déplacement à pied, on fait, en moyenne, un kilomètre
(1), ce qui n’est déjà pas mal. Cela prend un bon quart d’heure. Les personnes marchent même un peu plus, quand elles sont dans un environnement urbain dense. À quoi pensent ces piétons pendant leur déplacement ? Sont-ils concentrés sur le but vers lequel ils se dirigent : travail, commerce, école ? On peut imaginer que dans pas mal de cas, en effet, les personnes sont tendues et absorbées par l’activité qui les attend.
Mais, dans tous les cas, il est évident, si l’on marche en ville, que l’on ne voit pas les rues et l’environnement de la même manière que si on est en voiture ou même en bus. À l’occasion d’une enquête, une collègue a interrogé une femme qui, pour des raisons médicales, ne pouvait pas conduire une voiture. Pour compenser, elle faisait de longs déplacements à pied, n’hésitant pas, par exemple, à passer trente minutes (dans chaque sens) pour aller faire ses courses. Elle donnait une description de l’endroit où elle habitait complètement différente des automobilistes de son voisinage. Elle avait moins de temps disponible, sans doute, mais elle était pourtant moins stressée. La voiture crée un rapport au temps particulier parce qu’elle est censée aller vite. Dès qu’il doit ralentir, un automobiliste ronge son frein. À l’inverse, la marche est ce que l’on appelle un « mode actif » : on se mobilise en permanence et le léger effort physique que l’on fait nous met de bonne humeur.
Il m’arrive de passer par les mêmes endroits à pied et en voiture. Je sais bien que les rues ont le même nom, mais c’est comme si je ne traversais pas la même ville. Je vois beaucoup plus de détails en marchant. Je prends mieux la mesure des distances. Je peux passer par des ruelles difficiles d’accès. Je hume des ambiances. J’entends des personnes parler. Je découvre un commerce. Et le fait que je doive faire des efforts pour aller d’un point à un autre me donne aussi un autre rapport à l’espace : je ne suis pas un acteur tout-puissant qui vole d’un point à un autre avec mon engin motorisé. Je suis une personne humaine avec mes limites qui ne tente pas de parcourir tout le chemin possible, mais me limite à ce qui est disponible près de là où je suis. La marche me rend modeste. Et cette modestie me fait du bien. Elle me remet à ma place : un parmi d’autres, ni plus, ni moins.