Depuis quelques années, le protestantisme évangélique attire l’attention des médias. Sa diversité déroute et son dynamisme étonne. Le mouvement a en effet été multiplié par 20 en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, totalisant aujourd’hui près d’un million de membres. Souvent présenté comme un groupe « conquérant », d’importation américaine récente, le traitement médiatique se cristallise autour de ses composantes les plus spectaculaires. Mais qui sont ces évangéliques ? Que croient-ils ? Et ont-ils réellement le projet qu’on leur prête ?
À la suite de l’historien David Bebbington, il est usuel de présenter les évangéliques à l’aide de quatre marqueurs clefs. Certes, ils n’en possèdent pas l’exclusivité au sein du christianisme, mais leur accentuation et leur combinaison permettent d’approcher leur identité.
La Bible comme autorité
Leur désignation même – évangéliques – traduit bien le désir de fidélité de ces chrétiens au message biblique, celui des origines (l’Évangile). Se défiant des médiations et des traditions humaines qui viendraient s’interposer dans leur relation à Dieu, les évangéliques affirment que la Bible, Parole de Dieu, est la source de leur foi et la norme de la vie de l’Église. C’est elle qui nourrit la foi des croyants et se trouve au centre de leurs rassemblements. Pour autant, leur lecture de la Bible n’est pas « bêtement » littérale. Au contraire, précisément parce qu’ils sont convaincus que Dieu a inspiré le texte biblique en parlant à travers des humains, les évangéliques veulent être attentifs au contexte dans lequel chaque auteur biblique a écrit. Il leur faut donc être attentifs à sa situation historique, culturelle, à son projet rédactionnel, au genre littéraire employé… sans que cette pâte humaine ne présuppose d’errance ou d’erreur dans les énoncés bibliques. C’est là le miracle de l’inspiration divine des Écritures bibliques, ce grand mystère par lequel Dieu nous permet de l’écouter.
La centralité de la croix
La mort de Jésus-Christ sur la croix est au centre de la spiritualité et de la prédication évangéliques. Leur noyau est en cela assez simple : Dieu a aimé l’humanité à en mourir. Il est mort sur une croix pour offrir aux hommes le pardon de leurs fautes et la possibilité d’une réconciliation avec leur Créateur. Les évangéliques considèrent ainsi la croix de Golgotha sur laquelle le Christ a offert sa vie comme le lieu culminant de l’histoire de l’humanité d’où coule l’amour de Dieu. En ce sens, l’un de leurs versets bibliques phare, souvent appris par cœur au catéchisme ou affiché dans leur lieu de culte le résume bien : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle*. »
La nécessité de la conversion
Ce pardon est précisément offert, jamais imposé. Les évangéliques représentent en cela un christianisme de conversion qui refuse l’identité chrétienne par héritage. Et s’il ne fallait retenir qu’une seule caractéristique de ce que sont les évangéliques, ce serait probablement cette idée-là. On ne naît pas chrétien, on le devient. Par conviction et adhésion personnelle dans la rencontre intérieure avec le Christ. Cette nouvelle naissance, selon l’expression de Jésus dans les évangiles, est une expérience spirituelle de transformation intérieure. Elle est vécue par celui qui s’ouvre par la foi à la vie avec Dieu et s’engage à la suite du Christ. Sauf de très rares exceptions, cette vie nouvelle s’exprime dans les Églises évangéliques par le baptême pris en conscience, à l’âge adulte ou dès l’adolescence.
L’engagement
Pour les évangéliques, la foi n’est pas juste une posture intérieure ou quelque chose à vivre dans l’entre-soi, mais elle se vit et se dit. En ce sens, le Conseil national des évangéliques en France (CNEF) propose dans sa vision de stimuler parmi ses membres le témoignage de l’Évangile en paroles et en actes, partout et dans toutes les sphères de la société. Si donc les évangéliques sont connus pour n’avoir pas leur foi dans leur poche, ils le sont aussi pour leur implication sociale et leur désir de faire du bien là où ils sont.
Une foi prosélyte et conquérante ?
Le terme « prosélyte » renvoie aujourd’hui à des pratiques de racolage, de manipulation ou d’embrigadement sectaire. Les évangéliques se refusent à ce type d’approche. Leur attachement à une foi personnelle, librement consentie, les a précisément toujours poussés à militer pour la liberté de conscience et d’expression de la foi là où ils se trouvent.
Quant au projet de conquête du monde qu’on leur prête parfois, il n’est dès lors certainement pas politique. Mais c’est simplement celui de faire connaître au monde le message de l’Évangile. S’ils savent, selon l’enseignement du Christ, que le royaume de Dieu n’est pas de ce monde**, ils sont aussi convaincus que Dieu les envoie pour annoncer cette bonne nouvelle : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle*. » Cet amour dont Dieu les remplit les pousse à vivre ce qu’ils croient et à témoigner de manière aimante et respectueuse de ce qu’ils vivent. C’est là leur principal projet, leur vocation.
Le CNEF : un rôle de rassembleur
L’aventure du Conseil national des évangéliques de France (CNEF), a démarré au début des années 2000 par un désir de réconciliation entre plusieurs familles du monde évangélique qui ne se parlaient plus. Ces pardons réciproques ont permis de rassembler les Églises évangéliques qui avaient appartenu jusque-là à des instances concurrentes et d’autres, notamment les Églises d’expression pentecôtiste et charismatique, qui étaient sans affiliation ni représentation.
C’est le 15 juin 2010 que le CNEF a été officiellement créé. Il rassemble aujourd’hui 34 unions d’Églises différentes (environ 70 % des Églises évangéliques en France) et 180 œuvres nationales (associations de jeunesse, de formation, d’édition, d’actions sociales, humanitaires, etc.).
Lieu d’échange, de réflexion, de concertation et de prière, le CNEF est aussi une plateforme qui renforce les liens et la visibilité du protestantisme évangélique français avec trois vocations :
- Approfondir et manifester l’unité de la famille évangélique.
- Représenter les évangéliques dans les médias et auprès des autorités civiles et religieuses.
- Promouvoir le témoignage de l’Évangile en paroles et en actes dans la société française.
Erwan Cloarec
Le centre évangélique, une édition spéciale en 2025
Depuis 1948, les professionnels du monde protestant évangélique ont l’habitude de se retrouver chaque année au Centre évangélique (CE) pour s’encourager, s’unir, s’informer et réfléchir ensemble. Un succès encore confirmé en novembre dernier avec plus de 1.100 participants et 130 exposants.
Son prochain rendez-vous sera une édition spéciale. Prévu du 8 au 10 mai 2025, il se tiendra au Parc Floral de Vincennes. Cet événement nommé « La Place » ne se limitera pas aux professionnels, mais sera également ouvert au grand public avec pour objectif de représenter et de rassembler tous les évangéliques de toutes les générations sur le thème « De la parole aux actes ».
Des évangéliques célèbres
William Wilberforce (1759-1833)
Homme politique et philanthrope britannique, William Wilberforce est élu à la Chambre des communes à seulement 21 ans. Sa conversion en 1785 bouleverse son existence et ses convictions. L’abolition de l’esclavage devient le combat de sa vie et son nom est indissociablement lié à ce progrès social.
Henry Dunant (1828-1910)
À 31 ans, Henry Dunant se rend sur le champ de bataille de Solférino où il espère rencontrer Napoléon III pour ses affaires. Le jeune Suisse y découvre les nombreux morts et blessés auxquels personne ne prête secours. Ce choc le pousse à fonder la Croix-Rouge, une initiative qui fera de lui le colauréat du premier prix Nobel de la Paix.
Hudson Taylor (1832-1905)
Sûrement l’un des missionnaires les plus célèbres, Hudson Taylor se rend en Chine où il travaillera une cinquantaine d’années jusqu’à sa mort. Le jeune Anglais y fonde la Mission à l'Intérieur de la Chine dont l’influence sera considérable. Son ministère se caractérise par un grand respect de la culture locale qui le conduit à apprendre de nombreux dialectes.
Catherine Booth-Clibborn (1858-1955)
Fille aînée de William Booth, le fondateur de l’Armée du Salut, Catherine Booth-Clibborn est celle qui va implanter l’organisation en France et en Suisse. Confrontée à une hostilité importante, la jeune anglaise – qui est surnommée « la Maréchale » – mène à la fois une œuvre d’évangélisation et un travail social auprès des plus démunis.
C.S. Lewis (1898-1963)
Écrivain et universitaire britannique, Clive Staples Lewis a été professeur de littérature à l’université d’Oxford. Surtout connu pour sa série d’ouvrages « Les Chroniques de Narnia », un classique de la littérature anglo-saxonne pour enfants, il est également l’auteur de nombreux livres dans lesquels il cherche à démontrer la pertinence de la foi chrétienne.
Billy Graham (1918-2018)
Sûrement le plus grand évangéliste du 20e siècle, le prédicateur américain Billy Graham a exhorté des dizaines de millions de personnes à se convertir à Jésus-Christ. Militant convaincu des droits civiques, il a également contribué à structurer le milieu évangélique en fondant avec d'autres le Mouvement de Lausanne et en lançant le magazine de référence Christianity Today.
Martin Luther King (1929-1968)
Ayant grandi dans le contexte de la ségrégation raciale aux États-Unis, le pasteur Martin Luther King s’engage sans relâche dans la lutte pour les droits civiques des Afro-Américains. Recourant à la désobéissance civile et à la non-violence, celui qui prononcera le célèbre discours « I have a dream » reçoit le prix Nobel de la Paix en 1965.
Denis Mukwege (1955- …)
Surnommé « l’homme qui répare les femmes », le docteur Denis Mukwege est un chirurgien et gynécologue congolais qui vient en aide aux femmes victimes de violences dans l’Est de son pays. Dénonçant, au péril de sa vie, le viol comme arme de guerre, il reçoit en 2018 le prix Nobel de la Paix en récompense pour son engagement dans ce combat.
Réalisation des portraits : Nicolas Fouquet