Devant la mort*
Le 6 août 1916
Aujourd’hui, dimanche, repos complet ; messe militaire à 9 heures dans l’église de Cérisy, j’y suis allé. Tu dois penser, ma chère Corine, que moi qui n’allais pas souvent à la messe avant la guerre, maintenant j’y vais toutes les fois que j’ai l’occasion. Tu vas être obligée de croire que je suis redevenu chrétien. Eh bien, entre les deux, je veux qu’il n’y ait rien de caché, je veux te faire savoir tout ce que je pense et tout ce que je fais.
Je vais à la messe parce que le danger m’a effrayé, et m’a fait réfléchir à des choses auxquelles je ne voulais guère penser avant la guerre.
Lorsque j’étais avec toi, j’étais pris par mon travail, et je voulais en même temps me passer quelque plaisir, et je ne réfléchissais guère à ce qui devait m’attendre ici. Je ne pensais qu’au présent. Mais lorsque je me suis vu privé de tous les plaisirs, quand les obus et les balles m’ont mis devant la mort, et également en prenant les longues heures de garde au créneau que j’ai eu le temps de réfléchir, et maintenant j’ai pris au sérieux ces croyances avec lesquelles j’ai discuté si souvent avec les camarades. Voilà comment ça se passe et que l’on dise ce que l’on voudra, je sais que tu seras de mon avis.
Paul Heng
Sous-lieutenant au 178e régiment d’artillerie, ce licencié en philosophie écrivait tous les jours à sa fiancée.
Un bon Noël malgré tout*
Le 22 décembre 1914
Mon cher ami,
Laissez-moi vous envoyer un message à l’occasion de Noël. (…)
Vous devez être inquiet au sujet de votre chère femme et de votre enfant à moins qu’ils aient pu évacuer Lille.
Mais je connais votre foi et je ne doute pas que vous les remettrez entre les mains paternelles de Dieu…
Quand donc cesseront ces combats où tombent frappés tant et tant de nos chers amis, frères en Christ, parents de notre région du Nord, tant de jeunes gens dans la force de l’âge, souvent intelligents et chrétiens… ainsi Francis Monod ; le pasteur Morel de Roubaix a disparu pendant un combat, frappé sans qu’il y ait guère d’espoir pour lui. Nous pleurons.
Mais nous n’y pouvons rien. Ce n’est pas nous, pacifistes décidés, qui avons déchaîné ce fléau ; tout ce que nous pouvons faire, c’est prier, prier de toute l’ardeur de notre âme que le règne de Dieu, règne de paix et d’amour dont nous semblons si éloignés, vienne enfin. Prions avec plus d’intensité que nous ne l’avons jamais fait et sanctifions-nous afin que, quand la paix sera, nous travaillions à faire la France de demain, une France sobre, morale, pacifiste, dévouée, qui n’aura rien à redouter d’aucune invasion d’Allemands ou autres, car elle sera par là très forte.
Je me rappelle le mot que vous m’avez dit à votre départ : « Nous sommes des privilégiés, nous qui nous confions en Dieu. »
Nous pouvons avoir dans la tempête un bon Noël, car le motif de joie subsiste : un Sauveur nous est donné.
Pour tout ce qui peut nous inquiéter : Dieu y pourvoira.
Henri Nick
au soldat Thomas Rémy, loin des siens
*Noël 14. Des chrétiens dans la guerre. Patrice Cabanel, Éditions Ampelos.