Pourquoi avoir choisi le thème de l'identité pour votre livre?
Rentrés en Europe, mon épouse et moi-même avons assisté de loin aux massacres qui ont ensanglanté plusieurs pays d'Afrique durant les années 1990. Apprenant que des chrétiens étaient impliqués et constatant que les identités nationales ou ethniques passaient souvent avant l'identité chrétienne, nous avions le sentiment que le message de l'Évangile n'avait pas constitué le contrepoison qu'il aurait dû être et que nous étions personnellement passés à côté des vrais problèmes. Après un temps de réflexion, de lecture et d'entretiens quelques convictions se sont imposées, puis organisées autour de la notion d'identité. Le débat sur l'immigration choisie qui agitait l'opinion à cette époque a décidé du titre.
Comment ce sujet de l'identité est-il vécu en Afrique?
L'identité est encore très marquée par l'appartenance ethnique. Les alliances politiques et le jeu des solidarités économiques sont encore très largement dépendants de ces appartenances. Mais cela change. Lors de sa première élection comme Président de la République de Côte d'Ivoire en 2000, Laurent Gbagbo a été élu en grande partie grâce aux voix de Baoulé qui préféraient un président appartenant à une ethnie rivale plutôt qu'à leur ethnie au pouvoir depuis 40 ans. Il ne faudrait pas que les conflits ultérieurs qui ont assombri le pays nous fassent oublier ce fait encourageant. Mais, il ne faut pas nous attendre à des changements rapides. Combien de siècles et de guerres nous a-t-il fallu en Europe pour sortir du carcan de nos identités tribales?
L’identité africaine se remet-elle de son asservissement au «Blanc»?
L'Afrique ne s'est pas encore remise de sa confrontation avec l'Occident. Les identités portent encore souvent les stigmates de l'esclavage et de la colonisation. Les ravages provoqués par les produits censés blanchir la peau suffiraient à donner une idée de l'importance de cette blessure de la conscience collective. Mais ce sont surtout les retombées des problèmes économiques qui se conjuguent avec l'incurie de certains régimes politiques qui finissent par faire croire aux peuples noirs qu'ils sont des peuples maudits. Il n'y a peut-être pas loin entre la tragédie des pirogues de la mort et la question de l'identité.
Qu'est-ce qui fonde une identité? Une identité est-elle fixe ou évolutive?
La question de l'identité ne se pose plus aujourd'hui comme autrefois. Les institutions et les cadres de vie: famille, communauté, nation ne suffisent plus pour s'identifier. «L'invention de soi», comme l'a montré Jean-Claude Kaufmann, exige que l'on fasse feu de tout bois. La génération post-moderne n'hésite pas à emprunter des modes d'expression identitaires aux populations dites primitives. Qu'on songe au piercing et autre tatouage. En même temps, l'appartenance à un ou à des groupes demeure fondamentale. On ne peut vivre sans appartenir. Cela conduit à des comportements complètement contradictoires. N'a-t-on pas vu des représentants de la jeunesse de grandes villes africaines arborer des tee-shirts avec la figure de Georges Bush d'un côté et celle de Ben Laden de l'autre? Il s'agit souvent d'un véritable écartèlement. Jusqu'à récemment, l'identité représentait la pérennité, ce qui ne changeait pas et ne pouvait pas changer. Aujourd'hui, les conditions économiques et sociales, la prégnance de l'environnement technicien et le grand brassage des populations mettent les identités à rude épreuve.
Que nous dit la Bible sur le thème de l'identité et de l'accueil de l'autre?
À moins de considérer l'identité «comme la version moderne de l'âme», il est vrai qu'on ne trouve pas d'expression équivalente à celle d'identité dans la Bible. Or, si le mot n'y est pas, la notion peut y être décelée presque à chaque page. L'importance donnée aux noms et la charge symbolique dont ils sont porteurs suffirait à montrer cette omniprésence. Certaines images comme celle du «livre de vie» de l'Apocalypse y font explicitement référence.
Jésus a indiqué que tout homme devait naître de nouveau pour entrer dans son Royaume. Cela a-t-il un rapport avec la notion d’identité?
C'est peut-être la référence la plus importante! Je me dis même que si Jésus avait vécu en Europe en ce début de XXIème siècle, il aurait peut-être proposé une parabole sur ce thème en mettant en scène des «sans papiers»! On peut même imaginer un de ces renversements dont il avait le secret et où c'est un chef religieux qui serait refoulé à la frontière du royaume de Dieu! N'est-ce pas ce qu'il dit à ses contradicteurs qui essaient de faire valoir leur statut de fils d'Abraham(1)?
Être chrétien, est-ce en soi une identité? Si oui, en quoi se caractérise-t-elle?
Dans la plupart des religions, le profil identitaire réside dans la tenue vestimentaire, les interdits alimentaires ou des obligations rituelles. Rien de tout cela n'est imposé au chrétien. C'est pourquoi la foi chrétienne peut être vécue par des ressortissants de toutes les cultures sans qu'ils doivent renier leur identité culturelle. Le trait identitaire spécifiquement chrétien se résume dans ces quelques mots de Jésus: «Si vous vous aimez les uns les autres, alors tous sauront que vous êtes mes disciples»(2). On a quelquefois pensé que cet amour se limitait aux membres de la communauté chrétienne, mais cette réserve ne tient pas car le Christ fait de l'amour de l'ennemi un trait de ressemblance avec le Père céleste(3). La disposition au pardon fait donc aussi partie de l'identité chrétienne.
* Identité subie ou identité choisie?, Charles-Daniel Maire, 2009, Éditions Olivétan