Certains commentateurs peu scrupuleux des évangiles exploitent le fait que les récits de la Passion parlent « des juifs » pour accuser ceux-ci d’antisémitisme(1). C’est faire là une bien mauvaise lecture et oublier que l’expression se réfère alors aux chefs des juifs et non à l’ensemble du peuple. De plus, n’oublions pas que Jésus, sa famille, ses disciples, les premiers chrétiens, et certains des auteurs des évangiles étaient eux-mêmes juifs !
Si les récits du procès de Jésus décrivent négativement les grands prêtres, les pharisiens et le Sanhédrin des juifs, c’est parce qu’ils ont encouragé ou intenté un procès qui manquait de crédibilité et ne relevait d’aucune quête de justice authentique. Les autorités juives étaient tout simplement déterminées à se débarrasser de Jésus. Mais pourquoi ? La réponse est complexe, parce qu’elle doit relater leurs motivations religieuses et politiques.
Des motifs peu avouables
À travers ses paroles et ses actions, Jésus s’est présenté, non sans ambiguïtés, comme le véritable interprète de la Loi (la Torah) et bâtisseur du temple. Il a ainsi relativisé l’autorité des chefs du peuple, ce qui ne pouvait que les irriter. Plus encore, son succès les rendait jaloux. Lors de son procès, les chefs d’inculpation ont donc mentionné certains aspects controversés du ministère de Jésus, mais avec une grande confusion et une mauvaise foi certaine(2). C’est certainement pour cela que Jésus a refusé de répondre aux accusations portées contre lui, jusqu’à ce que le grand prêtre l'interroge sur sa prétendue messianité : « Est-ce que tu es le Messie, le Fils du Dieu que nous adorons ? »(3). Ce à quoi Jésus lui a répondu : « C’est moi », suivi d’une prédiction sur sa propre justification(4). Jésus leur avait rendu le travail fort simple. Ils pouvaient maintenant l’accuser d’être un faux prophète coupable de blasphème, ce qui le rendait passible de mort selon leur loi(5).
Lorsque religion et politique se mêlent
Mais l'évangile de Jean révèle qu’au-delà d’une démarche religieuse, les autorités juives étaient anxieuses de l’avenir politique de leur nation. Elles craignaient en effet que l’activité de Jésus encourage le peuple tout entier à mettre sa foi en lui(6). En un sens, cette crainte était légitime. Les masses attendaient un messie qui viendrait délivrer Israël du joug des Romains. Leur foi en lui aurait été (mal) placée en un messie guerrier. Or, un tel mouvement aurait sans aucun doute été perçu par Rome comme une révolte, ce qui aurait mis en danger le temple, et la nation tout entière.
Voilà pourquoi les chefs des juifs, qui ne possédaient pas l’autorité de mettre un accusé à mort dans l’empire romain(7), ont emmené Jésus devant Pilate avec ces accusations : « Nous avons trouvé cet homme en train de pousser notre peuple à la révolte. Il empêche les gens de payer l’impôt à l’empereur. Il dit qu’il est lui-même le Messie, un roi. » (8). Pilate n’avait pas la réputation d’être un gouverneur honnête. Tout porte d’ailleurs à penser que la justice ne l’intéressait pas et qu’il prenait un malin plaisir à faire l’inverse de ce que les chefs des juifs demandaient. Voilà pourquoi il a tout d’abord refusé que Jésus soit exécuté(9). Il savait que ceux-ci avaient leurs propres raisons de vouloir la mort de Jésus et que sa soi-disant sédition ne tenait pas la route. Plus encore, Pilate était persuadé de l’innocence de Jésus. Mais, devant l’insistance des autorités juives qui rameutaient les foules, il a pris peur d’être lui-même accusé de trahison envers l’empereur(10). Nerveux pour son avenir, il a laissé le jeu politique prendre le pas sur la justice. On a souvent pensé qu’il était tout simplement coincé entre les juifs d’une part et l’empire de l’autre. Mais la scène le montrant se laver les mains est d’un cynisme parfait(11). En tant que gouverneur, il est responsable de la mort de Jésus car il aurait pu éviter cette mascarade de procès, et une exécution scandaleuse.
Un condamné consentant
La crucifixion de Jésus résulte donc des accusations mensongères des juifs comme de l’injustice des Romains, en la personne de Pilate. Mais attention, Jésus n’a pas été emmené à la croix en criant et en se débattant. Non, Jésus est allé à sa mort volontairement, délibérément. En fait, depuis le tout début de son ministère, il s’était consacré à une telle destinée, par fidélité envers Dieu, son Père(12). Ainsi, au-delà des accusations portées contre Jésus, nous ne pouvons ignorer la dimension selon laquelle le Père, par amour pour le monde, a envoyé son Fils, qui s’est abandonné entre les mains de ses bourreaux pour le salut de son peuple et bien au-delà(13).