– Je fais un saut d’à peu près un millénaire et demi et je me réfère au discours de l’apôtre Étienne qui dit que Moïse a été instruit dans toute la sagesse des Égyptiens(1). Que pensez-vous des théories selon lesquelles Moïse aurait d’abord été prêtre d’Osiris, comme l’a prétendu l’historien Manéthon ?
– Là aussi, on est dans les conjectures. La seule chose qu’on peut affirmer avec certitude, c’est que l’écriture en Égypte était considérée comme un art sacré. Elle était donc entre les mains du clergé et était extrêmement codifiée : pour qu’un homme accède à une véritable instruction, il devait passer par le clergé, donc devenir prêtre. Il est ainsi quasiment certain que Moïse a été instruit en tant que prêtre. De quel dieu ? Peu importe, mais on peut s’émerveiller de ce fantastique retournement selon lequel Moïse, l’homme de la révélation des Dix Commandements, du Dieu unique révélé à Israël, soit à l’origine un prêtre d’une divinité païenne !
– Ce ne serait pas la première ni la dernière fois que Dieu recyclerait des matériaux païens.
– Je crois que Dieu a le talent d’utiliser tout ce qui est à sa disposition, ce que l’Église ne fait pas toujours, d’ailleurs. Jésus avait rendu attentifs ses disciples en leur conseillant de se faire des amis avec les richesses injustes(2). À Moïse, Dieu donne une instruction gratuite à partir des Égyptiens qui maîtrisaient très bien les mathématiques, l’astronomie, la technique (par exemple celle des chars de combat qui comptaient plusieurs centaines de pièces, très légers mais en même temps très résistants pour pouvoir évoluer rapidement sur les terrains caillouteux). Moïse a bénéficié de cette vaste culture ; en tant que membre de la famille royale, c’était presque le chemin obligatoire pour lui.
– On a compris que Moïse était une sorte d’Hébreu à la sauce égyptienne, mais on n’a pas raconté l’histoire de sa naissance ni la façon dont il a été trouvé dans le Nil.
– Les histoires merveilleuses ont souvent un parfum de tragédie. Moïse va naître pendant cette période de persécution où le pharaon interdit la naissance d’enfants mâles afin de diminuer le risque d’une révolte armée chez les Hébreux. Normalement, Moïse aurait dû mourir à sa naissance, mais les parents, avec la complicité de la sage-femme, vont sauver l’enfant pendant un certain temps. Et puis le jour vient où il commence à faire trop de bruit : ça devient dangereux, et on ne peut plus le garder à la maison. Comme les parents ne veulent pas le tuer, ils décident de le confier au Nil, le fleuve nourricier qui, dans la pensée égyptienne, est presque le dieu des dieux. On le place dans un petit panier en osier –une petite arche en osier… Il part au gré des flots et voilà que, hasard extraordinaire, la fille de Pharaon, en train de se baigner à quelques centaines de mètres de là, voit passer ce panier. Se demandant ce que c’est, elle l’intercepte, découvre le bébé, en tombe amoureuse et l’adopte !
– Elle arrive même à reconfier l’enfant à sa mère comme nourrice !
– Oui, parce que la petite sœur, qui ne voulait pas voir partir son frère comme cela, a suivi le panier depuis la berge aussi longtemps que possible ; elle est témoin de ce sauvetage et avec assez de finesse, elle propose à la princesse égyptienne : « Si tu as besoin d’une nourrice, je connais quelqu’un ». Le quelqu’un en question, c’est sa mère, la propre mère de Moïse, qui va reprendre l’enfant chez elle, le temps qu’il devienne totalement sevré, c’est-à-dire probablement les trois premières années de sa vie. Ensuite, il sera confié au palais.
– Donc Moïse a vraiment été élevé en milieu hébreu, puis à la cour d’Égypte.
– Oui, il a connu les deux milieux. Les premières années de sa vie, si importantes selon les psychologues pour la formation de la personnalité, vont se passer en milieu hébreu, puis à la cour égyptienne.