Est-il un autre dieu que le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, pour dire avec une telle constance et une telle force : « Le jeûne que je préconise, n’est-ce pas plutôt détacher les chaînes de la méchanceté ; de dénouer les liens du joug ; de libérer ceux qu’on écrase ; de partager son pain avec celui qui a faim… ? » ou encore, avec Michée (6) : « Qu’est-ce que le Seigneur attend de toi, si ce n’est que tu agisses selon la justice… »
Quel autre Seigneur déclare : « Si tu vas présenter ton offrande sur l’autel - célébrer ton culte - mais que là, devant l’autel, tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel et va d’abord te réconcilier avec ton frère » ?
Au panthéon des religions, est-il un autre Dieu qui lie à ce point sa cause à celle de mon prochain ?
Un trésor caché
Je ne suis pas capable de penser aujourd’hui ma vie sans l’Évangile. Je vous propose donc non un scénario catastrophe, mais de lire cette absence si difficile à imaginer, comme l’ombre portée de ce que sa présence apporte. La question proposée nous confronte donc de façon directe au commandement évangélique : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Sachant qu’aimer n’est jamais passif et que la Bible pose ce commandement en nous privant du refuge d’un faux-semblant : « Si vous aimez seulement ceux qui vous aiment, que faites-vous de mieux que les païens ? ».
Ce commandement peut être soit une parole écrasante - si on le reçoit comme un jugement, comme une menace - soit une parole stimulante et encourageante, si on le reçoit comme une promesse que sur cette route exigeante l’Esprit du Seigneur nous accompagne.
Soit la parole nous fixe seulement un but à atteindre.
Soit la Parole nous accompagne vers cet horizon de la ressemblance à Jésus.
Voici une très courte parabole (Mt 13.44) :
Le règne des cieux est donc semblable à un trésor caché dans un champ. Certainement un jour tout œil le verra, mais pour le moment chacun le découvre pour lui même et cette découverte est si impressionnante que celui qui en est le sujet va vendre tout ce qu’il a pour acheter le champ. Celui qui voit surgir le règne de Dieu, là, inattendu, ne tergiverse pas, il ne fait pas les choses à moitié : il vend tout ce qu’il a. Il rompt avec sa sécurité antérieure ; il rompt avec une accumulation ; il remet tout en jeu avec pour seule ambition : se saisir du règne. Il y a un avant et il y a un après, entre les deux, ce qui s’est offert au regard.
Il ne vend pas ce qu’il ne veut plus, mais tout.
Le courage d’être
Cette parabole, si brève, manifeste un aspect fort mais peu exprimée de la vie évangélique : le courage !
Le courage de renoncer à une sécurité, à un passé, à une tradition, à un bien qui était peut être un héritage. Un courage fou de tout vendre pour se saisir d’une réalité nouvelle. Il faut que cette réalité soit vraiment bouleversante. Le désir du Règne de Dieu rend cet homme capable d’une prise de risque envers lui même, du courage de décider de l’impensable.
L’Évangile, chez ceux qui sont dans le désir d’Évangile, se manifeste par du courage d’être.
Évoquant le courage de l’Évangile, je ne pense pas à cette forme commune du courage qui se manifeste dans la confrontation aux autres, face à des situations périlleuses, comme le torero a du courage face au taureau. J’évoque ce courage qui surgit de la rencontre de l’Évangile, un courage en soi-même, sur soi-même, inattendu, courage de mourir à soi pour ressusciter avec le Christ. La foi, comme principe de vie, est inséparable de ce courage. C’est donc le courage de la confiance de ce que Dieu fait en moi avant que ce soit le courage de ce que Dieu fera par moi.
Au petit jeu des « si » :
• soit notre homme ne possède pas grand-chose ; à tout vendre, il a tout à gagner et rien à perdre.
• soit il a de grands biens, et il prend un risque ! Ne serait-ce pas pourquoi l’Évangile déclare qu’il est difficile à un riche d’entrer dans le Royaume ? Il faut beaucoup de ce courage d’être, de ce courage en soi même. Dans la foi, nous avons la relation personnelle à Dieu et le courage qui naît de cette relation et qui met ma vie en mouvement. Vous l’avez compris, ce n’est pas le courage d’aller frapper à la porte du voisin pour lui dire que Jésus l’aime. Ce courage-là est honorable et nous en manquons trop souvent, mais il n’est pas de nature différente du courage de celui qui va frapper à la même porte pour inviter le voisin à son meeting politique ou pour lui vendre un aspirateur. Celui-ci est le courage de la confrontation à l’autre, celui là qui est premier est le courage de la confrontation à soi.
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