III – LES DONNÉES DE BASE DE L'ÉCLOSIOLOGIE CATHOLIQUE
55. Pour faciliter au lecteur la compréhension de l’ecclésiologie catholique et les divergences qui demeurent avec la conception baptiste de l’Église, nous suivrons le même plan dans l’exposé. Ce parallèle soulignera donc les désaccords, sans aucune intention polémique, et permettra de préciser avec une exactitude respectueuse des uns et des autres l’état du contentieux ecclésial entre baptistes et catholiques. Cet exposé prendra comme base la Constitution Lumen Gentium du concile de Vatican II.
56. L’Église catholique reçoit la doctrine qui la concerne du message de l’Écriture, tel qu’il a été compris et vécu dans la Tradition et qu’il se trouve exposé dans un certain nombre de documents magistériels et cristallisé sur certains points par des définitions dogmatiques (6). Elle croit en effet que la révélation divine concernant le mystère de l’Église nous est transmise par l’enseignement vivant des apôtres, qu’elle a été ensuite mise par écrit dans les documents qui forment le Nouveau Testament et qu’enfin la « tradition qui vient des apôtres se poursuit dans l’Église sous l’assistance de l’Esprit Saint » (7), Tradition et Écriture « communiquent ainsi étroitement entre elles. Car toutes deux, jaillissant d’une source divine identique, ne forment pour ainsi dire qu’un tout et tendent à une même fin » (8). La charge d’interpréter la Parole de Dieu a été confiée au magistère vivant de l’Église, qui « n’est pas au-dessus de la Parole de Dieu, mais qui la sert en n’enseignant que ce qui fut transmis » (9). Il n’était pas inutile de rappeler ces convictions qui sous-tendent l’exposé qui va suivre et qui appartiennent en même temps à la doctrine catholique sur l’Église.
57. Dans le rapport entre exégèse scripturaire et exposé doctrinal, il faut bien distinguer ce qui vient de l’histoire et ce qui appartient à la foi. Si nous croyons que le mystère du Christ et de l’Église s’est réalisé dans l’histoire, ce n’est pas d’abord sur la recherche historique scientifique que nous appuyons notre exposé, mais sur la confession de foi. Nous connaissons la diversité des exégèses techniques dans le cadre de chacune de nos Confessions ; nous n’ignorons pas non plus la divergence de certaines exégèses confessionnelles au sujet de passages importants du Nouveau Testament. Notre exposé cherchera simplement à rendre compte de la manière dont la confession de foi reçue dans l’Église catholique interprète l’Écriture.
A- Une Église de baptisés
58. L’Église est d’abord et avant tout le peuple de Dieu, formé à partir des juifs et des païens (cf. Ép 2.11-18), selon le dessein éternel de Dieu le Père qui nous a tous prédestinés à ressembler à l’image de son Fils (cf. Rm 8.29). Ce peuple a été rassemblé dans l’unité par le mystère de mort et de résurrection du Christ, le Fils du Père, qui a opéré notre salut, et il constitue le Corps unique dont le Christ est la Tête. Ce peuple est sanctifié par l’Esprit Saint en qui nous avons accès au Père par le Fils (10).
59. L’incorporation au peuple de Dieu s’effectue par la foi et le baptême, sacrement de la foi et porte des sacrements. Car « les fidèles, incorporés à l’Église par le baptême, sont […] devenus fils de Dieu par une nouvelle naissance ; ils doivent professer devant les hommes la foi qu’ils ont reçue de Dieu par l’Église » (11). Pour cette raison l’Église catholique estime de son devoir de proposer le baptême aux croyants et à leurs enfants, même en bas âge, comme il a été dit dans notre document commun sur le baptême (n° 14).
60. Tous les baptisés sont investis du sacerdoce commun et universel. « Les baptisés, en effet, par la régénération et l’onction du Saint-Esprit, sont consacrés pour être une demeure spirituelle et un sacerdoce saint, pour offrir, par toutes les activités du chrétien, autant de sacrifices spirituels, et proclamer les merveilles de celui qui des ténèbres les a appelés à son admirable lumière (cf. 1 P 2.4-10) » (12). Les disciples du Christ peuvent ainsi s’offrir en victimes vivantes, saintes et agréables à Dieu (cf. Rm 12.1).
61. Ce sacerdoce commun des fidèles participe à la fonction du Christ Prophète et s’exprime par le témoignage de la foi donné dans la parole et dans la vie. Il participe à la fonction de sanctification du Christ Prêtre et s’exprime par le culte spirituel, la célébration des sacrements et l’engagement dans la mission salvifique de l’Église. Il participe à la dignité du Christ Roi et s’exprime par la gérance de la création pour la louange de Dieu et le bien des hommes, ainsi que par tous les services que le baptisé est invité à rendre à l’Église et au monde. Le sacerdoce commun habilite dans l’Église à l’accomplissement de certains ministères, dits baptismaux, selon la diversité des charismes reçus (cf. 1 Co 12.28-31). Il est ordonné à la construction du Corps du Christ et à l’avènement du Royaume.
B- Une Église apostolique
62. L’Église a été progressivement fondée par Jésus, le Christ, à travers un certain nombre d’actes institutionnels qui jalonnent son ministère et s’inscrivent dans une dynamique continue : l’invitation adressée à tous à se convertir et à croire à l’Évangile (Mc 1.15) ; l’appel et l’institution des Douze pour l’établissement du Nouvel Israël ; l’attribution du nom de Pierre à Simon et la responsabilité propre qui lui est conférée dans la construction de l’Église en raison de sa foi (Mt 16.18-19) ; l’institution de la Cène en présence des Douze à la veille de sa passion ; le relèvement par la grâce de sa résurrection, de la communauté des siens dispersée dans l’épreuve ; l’envoi des Douze en mission universelle pour faire des disciples et baptiser (Mt 28.18-20) ; et enfin le don de l’Esprit Saint aux siens pour la rémission des péchés (Jn 20.22-23), de même que la promesse de la venue de l’Esprit Saint sur la communauté de Jérusalem (Ac 1.8).
63. La Pentecôte est la naissance au grand jour de l’Église qui avait été conçue et formée auparavant par le ministère de Jésus. L’Esprit Saint est donné de manière spectaculaire aux cent vingt, dont le groupe des Douze. Pierre sort alors du Cénacle pour proclamer publiquement l’événement de salut accompli par Jésus le Nazaréen. Cette proclamation provoque la conversion à la foi et le baptême d’environ trois mille personnes. À partir de ce moment la première communauté chrétienne se manifeste à Jérusalem par son assiduité à l’enseignement des apôtres, sa fidélité à la fraction du pain et aux prières et le partage des biens (cf. Ac 2.42-47).
64. L’Église tout entière est donc apostolique, comme le professe le Credo. Elle est tout entière dans la succession apostolique. Mais les apôtres en étaient les grands responsables, tant à Jérusalem que dans les autres communautés qui essaimèrent rapidement, comme le montre le témoignage de Paul. Avec le temps, avec la disparition progressive des premiers témoins, le problème se posait inévitablement d’une succession dans la responsabilité des Églises. Nous voyons ainsi saint Paul préoccupé d’envoyer des collaborateurs aux communautés qu’il avait fondées et d’y reconnaître des responsables qu’il recommande aux fidèles. Cette activité dont témoignent ses lettres est interprétée dans les Actes des Apôtres comme l’établissement de « presbytres ». Elle donne progressivement lieu aux premières impositions des mains en vue du ministère. Certains documents du Nouveau Testament sont les témoins de cette préoccupation et du souci de rattacher les nouveaux responsables d’Église aux apôtres, au groupe symbolique des Douze et à l’envoi originel en mission donné par Jésus.
65. On doit donc aussi parler d’une succession apostolique dans le ministère à partir des apôtres. Celle-ci sera clairement thématisée à la fin du 1er siècle par Clément de Rome : Les apôtres ont reçu pour nous la bonne nouvelle par le Seigneur Jésus Christ ; Jésus, le Christ, a été envoyé par Dieu. Donc le Christ vient de Dieu, les apôtres viennent du Christ ; les deux choses sont sorties en bel ordre de la volonté de Dieu. […] Ils prêchaient dans les campagnes et dans les villes et ils en établissaient les prémices, ils les éprouvaient par l’Esprit, afin d’en faire les épiscopes et les diacres des futurs croyants. […] Nos apôtres aussi ont connu par notre Seigneur Jésus Christ qu’il y aurait querelle au sujet de la fonction épiscopale. C’est bien pour cette raison qu’ayant reçu une connaissance parfaite de l’avenir, ils établirent ceux dont il a été question plus haut, et posèrent ensuite comme règle qu’après la mort de ces derniers, d’autres hommes éprouvés leur succéderaient dans leur office (13).
Clément de Rome résume ainsi et formalise l’activité des apôtres, telle que nous la voyons attestée dans les derniers documents du Nouveau Testament. Cette apostolicité du ministère du Christ sert et garantit l’apostolicité de la communauté des croyants comme Corps du Christ.
66. Tout n’est pas transmissible dans la charge originelle des apôtres. Ceux qui n’ont pas vu le Christ ressuscité ne peuvent pas en témoigner de la même manière que les apôtres. Ils ne disposent donc pas d’une autorité fondatrice. C’est pourquoi ceux qui seront appelés à succéder dans la charge des apôtres doivent se soumettre eux-mêmes à leurs enseignements
67. Le canon des Écritures, en particulier celui du Nouveau Testament, est un aspect de l’apostolicité de l’Église. Ces Écritures ont été d’abord constituées par la génération des apôtres et ensuite reconnues comme canoniques, selon un principe posé par les Églises du 2ème siècle, sur la base de plusieurs critères dont le premier était qu’elles représentaient le témoignage originel des disciples de Jésus. Même si la chose est paradoxale, le canon des Écritures n’est pas scripturaire : il est ecclésial. C’est l’Eglise qui d’un même mouvement le détermine avec autorité et se soumet à son autorité par obéissance de la foi. Les Écritures elles-mêmes s’inscrivent dans le processus de la tradition apostolique. Le canon des Écritures est une règle de foi au même titre que le credo : le canon a valeur de symbole au sens fort. C’est sur ce double fondement que s’exerce la prédication de l’Église.
C. Les sacrements et les ministères dans l’Église
68. Non seulement l’Église annonce la Parole de Dieu attestée dans les Écritures, mais encore elle fait participer ses fidèles au don des sacrements institués par le Christ et célébrés avec l’invocation de l’Esprit Saint. Un sacrement est toujours un sacrement de la foi : il ne peut donc porter du fruit que moyennant sa réception dans un acte de foi. Un sacrement est la célébration ecclésiale d’un acte du Christ par lequel est conféré un don de grâce venu de lui. Car le Christ est le « sacrement » central et fondamental de tout don de Dieu aux hommes. Cette grâce est toujours et avant tout celle du salut ; mais elle se particularise en fonction de la situation concrète des fidèles au cours de leur existence et des besoins de la communauté ecclésiale. L’Église catholique, en accord avec les Églises orthodoxes et sur la base de la Tradition, reconnaît sept sacrements : le baptême, la confirmation-chrismation, l’eucharistie, la pénitence ou réconciliation, l’onction des malades, l’ordre et le mariage. Cette reconnaissance suppose que chaque sacrement a son origine dans une intention du Christ.
69. Parmi tous ces sacrements, les plus importants sont le baptême et l’eucharistie. Le baptême confère l’identité chrétienne. L’eucharistie, source et sommet de la vie de l’Église, fait participer les fidèles au mystère pascal de mort et de résurrection du Christ. Car elle le célèbre en mémorial, selon l’ordre de Jésus : « Faites ceci en mémoire de moi ». L’eucharistie est un mémorial sacramentel dans sa forme, puisqu’elle se fonde sur le récit institutionnel de la Cène ; elle est un mémorial sacrificiel dans son contenu, puisqu’elle rend présent l’unique sacrifice du Christ. Nous avons développé ces perspectives dans notre document commun sur la Cène-Eucharistie. (n° 7-10).
70. Le triple ministère de l’annonce de la Parole, de la célébration des sacrements et de la conduite de la communauté chrétienne dans son pèlerinage de foi est un ministère reconnu comme apostolique. Il continue dans l’Église la part transmissible de ce que fut le ministère des apôtres (14). C’est pourquoi il est conféré par un sacrement qui implore sur le récipiendaire les dons du Saint-Esprit pour le ministère, et l’inscrit dans la succession apostolique de ce même ministère. Ce sacrement comporte trois degrés : l’épiscopat, le presbytérat et le diaconat, dont les fonctions s’inscrivent dans une hiérarchie. L’épiscopat et le presbytérat confèrent le sacerdoce ministériel, distinct par essence du sacerdoce universel (15). Alors que ce dernier fait participer l’existence du chrétien à l’unique sacerdoce du Christ qui fait du chrétien un autre Christ, le premier est une participation ministérielle à ce même sacerdoce, qui confie à l’évêque et au prêtre la charge de représenter et d’accomplir par la Parole et les sacrements l’initiative constante du Christ envers son Église. Le diacre est ordonné au service de l’Église et du monde.
71. Ces trois ministères n’épuisent pas une responsabilité ministérielle qui est celle de toute l’Église. Le baptême et le sacerdoce commun des fidèles constituent chaque membre de l’Église dans une situation de responsabilité et de service à l’égard de l’Église et du monde. Cette responsabilité s’exerce en fonction de la diversité des charismes donnés à chacun. Certains de ces charismes peuvent donner lieu à l’exercice d’un véritable ministère, car si tout charisme n’est pas forcément ministère, tout ministère est charisme. Le ministère baptismal ou ministère des laïcs suppose une certaine forme de reconnaissance ecclésiale, une visibilité et une stabilité, parfois une investiture. De plus l’évêque peut donner mission à un ou une fidèle laïc, afin de lui permettre d’exercer un ministère de participation aux tâches du ministère apostolique et pastoral.
72. Dans l’Église, les charismes et les vocations sont multiples : ils peuvent conduire à la promotion de certains états de vie, comme la vie religieuse, soit sous sa forme contemplative, soit sous sa forme active, soit encore sous des formes mixtes. L’engagement appelé profession religieuse entend témoigner de manière plus radicale des grâces du baptême, de la vie nouvelle et éternelle acquise par la rédemption du Christ et annoncer la résurrection future dans la gloire céleste. La vie religieuse comporte le vœu de pratiquer, à la suite du Christ, les trois « conseils évangéliques » de pauvreté, de chasteté dans le célibat et d’obéissance ainsi que la vie en communauté. Cette vocation est vécue selon une règle de vie propre à chaque tradition spirituelle. D’autres formes de vie consacrée peuvent être vécues dans la société. Ces états de vie confirment et promeuvent l’appel à la sainteté de tout chrétien.
D.- Une ecclésiologie de communion
73. L’Église est faite de la communion des Églises locales ou particulières. « Le diocèse, lié à son pasteur et par lui rassemblé dans le Saint-Esprit grâce à l’Évangile et à l’eucharistie, constitue une Église particulière, en laquelle est vraiment présente et agissante l’Église du Christ, une, sainte, catholique et apostolique » (17). Cette Église particulière ou locale n’est donc pas la circonscription d’un organisme plus large qui s’appellerait l’Église universelle. Cette dernière est réellement présente en chaque Église vivant dans la communion de la foi, des sacrements et des ministères. Mais l’Église universelle n’est pas non plus un simple regroupement d’Églises particulières ou locales. Car la communion dont elle vit vient de la communion qu’elle reçoit du Christ. Celle-ci s’exprime par la structure ministérielle qui maintient les Églises dans l’unité selon une double dimension : la dimension verticale de l’union avec Dieu et la dimension horizontale de la communion entre les fidèles. L’Église une et universelle n’est pas le résultat de la communion des Églises locales, mais elle trouve en elle son expression et sa manifestation.
74. La communion entre les Églises est à la fois visible et invisible : son expression privilégiée est la célébration de l’eucharistie dont l’évêque est prioritairement le ministre. Dans l’articulation entre les Églises locales et l’Église universelle le ministère de l’évêque joue un rôle charnière. Dans la représentation conciliaire que se donne l’Église universelle l’évêque est le témoin de la foi de son peuple. Quand l’évêque revient auprès de son peuple, il est alors le témoin de la foi de l’Église universelle pour les décisions qui ont été prises. Cyprien de Carthage le disait dans une formule célèbre : « L’évêque est dans l’Église et l’Église est dans l’évêque » (18). Le collège des évêques, même quand il n’est pas rassemblé en concile, a une responsabilité à l’égard de l’Église universelle.
75. La visibilité de la communion de toute l’Église s’exprime et se vit à travers le ministère de communion universelle assumé par l’évêque de Rome. Successeur et vicaire de Pierre, gardien symbolique des tombeaux des apôtres Pierre et Paul, celui-ci préside à la double communion dans la foi et la charité entre toutes les Églises (19). Ce ministère a revêtu au cours des âges des figures historiques diverses qui peuvent encore évoluer ; le pape Jean-Paul II a exprimé le désir « de trouver une forme d’exercice de la primauté ouverte à une situation nouvelle, mais sans renoncement aucun à l’essentiel de sa mission » (20).
E. La mission et le but dernier de l’Église
76. L’Église a reçu mission d’annoncer l’Évangile à toute créature. Cette mission fait corps avec son être-même, tant et si bien qu’y renoncer serait pour elle une sorte de suicide. Suivant les temps et les lieux cette mission prend des formes différentes, mais elle doit toujours respecter la pleine liberté de ceux auxquels elle s’adresse. L’évangélisation doit renoncer à la pression d’un prosélytisme de mauvais aloi (21). Aujourd’hui la mission passe le plus souvent par la forme du dialogue fraternel.
77. L’Église terrestre est toujours en pèlerinage vers la rencontre eschatologique de son Seigneur. La fin des temps est déjà arrivée pour elle en raison de la résurrection du Christ. Cette fin des temps correspond aux temps de la fin entre la Résurrection et le retour du Christ. Mais ces temps sont encore marqués par le douloureux travail d’enfantement qui attend la révélation des fils de Dieu (cf. Rm 8). En elle germe et grandit le Royaume de Dieu de manière discrète et parfois secrète. Mais ce qui doit se manifester un jour dans ce Royaume dépasse infiniment ce qui est déjà réalisé en elle. L’Église de la terre vit en communion avec ceux et celles qui nous ont déjà quittés pour entrer dans la gloire céleste de ce Royaume. Tel est le mystère de la communion des saints.
IV - BILAN DE NOTRE RECHERCHEA. Convergences et divergences, à partir des attributs ou notes de l’Église
78. Pour conclure notre document, il nous a paru bon de récapituler ce qui fait nos convergences et nos divergences en ce qui concerne l’Église. Pour ce faire nous nous référons aux quatre notes de l’Église mentionnées dans le Credo, une, sainte, catholique et apostolique. Nous confessons ensemble ces quatre notes, et pourtant c’est dans la manière de les comprendre et de les mettre en œuvre que nous divergeons. Voici le bilan auquel nous sommes parvenus, qui n’oublie pas que les deux premières notes se trouvent clairement dans l’Écriture et que les deux dernières sont le fruit de la réflexion de la tradition la plus ancienne.
1) L’Église est une
79. L’Église est une, dans la multiplicité et la diversité de ses communautés, de même que Dieu est un dans la Trinité de ses personnes. Elle est une de par la volonté de son fondateur et fondement, le Christ Jésus, seul et unique Médiateur entre Dieu et les hommes. Elle est une de par la présence en elle et en chaque chrétien de l’unique Esprit. « Comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même il n’y a qu’un seul Corps et un seul Esprit. Il n’y a qu’un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous » (Ép 4. 4-6).
80. Pour les catholiques, cette unité est à la fois invisible, en tant qu’elle est un don proprement divin, et visible, c’est-à-dire qu’elle s’exprime dans la communion de tous les croyants et leur charité mutuelle « qui est le lien de la perfection » (Col 3.14) et dans la communion collégiale des évêques entre eux et avec le successeur de Pierre. Cette unité visible comporte la profession d’une seule et même foi, la célébration commune des mêmes sacrements, et le respect obéissant à la même hiérarchie des ministres ordonnés.
81. Pour les baptistes, cette unité de l’Église dépasse largement la communion des Églises baptistes et englobe tous les vrais chrétiens dont Dieu seul connaît le nombre. Elle se manifeste par la communion des chrétiens et des communautés à travers le monde. L’Église dans la diversité de ses expressions locales est appelée à être une. Ainsi chaque Église locale se doit de rechercher la communion avec les Églises qui l’entourent, afin de manifester cette unité fondamentale. Le cœur de cette unité, qui est la communion de foi, peut être exprimé à travers des théologies ou des cultures différentes. Cette unité est à la fois invisible et visible, invisible à cause du Christ et de l’œuvre de l’Esprit, visible, de manière imparfaite et partielle, dans la mesure de la présence de Dieu en elle.
2) L’Église est sainte
82. L’Église est sainte, parce qu’elle est fondée sur la sainteté de celui qui l’appelle, le Christ qui s’est livré pour elle et « a voulu ainsi la rendre sainte en la purifiant avec l’eau qui lave et cela par la Parole ; il a voulu se la présenter à lui-même splendide, sans tache ni ride, ni aucun défaut ; il a voulu son Église sainte et irréprochable » (Ép 5.25-27). Elle est donc sainte, parce qu’elle a reçu l’Esprit de sainteté et qu’en elle vit et agit le don de Dieu qui est « le seul Saint » : elle est le « Peuple saint de Dieu » et ses membres sont appelés les « saints » (Ac 9.13 ; 1 Co 6.1). Le « Soyez saints, car je suis Saint » (Lv 11.44) qui retentit à travers la révélation concerne chaque chrétien comme chaque communauté. L’Église est aussi celle dans laquelle de siècle en siècle vient à maturité une singulière moisson de saints. Elle est mise à part pour être dans le monde un signe de la présence de Dieu et une communauté annonciatrice du Royaume.
83. Pour les catholiques, l’Église, radicalement sanctifiée, devient à son tour sanctifiante, car son ministère est le service de la mission de l’annonce de l’Évangile, de la justification et de la sanctification qu’elle a reçue de Jésus-Christ. Elle est sainte, parce qu’en elle le ministère hiérarchique conduit de manière indéfectible au salut le peuple de Dieu en chemin vers Dieu. Mais l’Église sait aussi qu’elle demeure pécheresse en ses membres dont la conversion est toujours en devenir et qui sont souvent loin de donner l’exemple de la perfection morale. C’est pourquoi elle doit toujours chercher à se réformer et à se purifier aussi bien dans la vie et le témoignage de ses membres que dans son fonctionnement institutionnel.
84. Pour les baptistes, à l’évidence, l’Église est pécheresse du fait même que les chrétiens restent des pécheurs.
3) L’Église est catholique
85. L’Église est catholique. « Là où est le Christ Jésus, là est l’Église catholique », écrit Ignace d’Antioche (22), créant un néologisme du langage chrétien. Ce terme est à prendre non pas en son sens confessionnel moderne, mais en son sens originel, qui exprime la manière originale dont l’Église est universelle. L’Église est catholique dès le jour de la Pentecôte, parce qu’elle est envoyée à tous les hommes à travers l’espace et le temps. L’Église est catholique, parce qu’elle s’adresse à tous les hommes et à tout l’homme.
86. Pour les catholiques, l’Église, qui a reçu la « plénitude de grâce et de vérité » (234), est catholique en chaque Église particulière ou locale, parce que toutes « sont formées à l’image de l’Église universelle ; c’est en elles et à partir d’elles qu’existe l’Église catholique une et unique » (24). Chacune vit de tous ses dons en communion visible et institutionnelle avec les autres.
87. Pour les baptistes, l’Église est catholique, car elle demeure à travers le temps, l’histoire et la diversité des cultures dans lesquelles elle vit comme autant de formes particulières qu’elle peut prendre. Si nos communautés sont locales, enracinées dans leur propre culture, l’Église du Christ est universelle. Cette catholicité relativise les expressions particulières des Églises d’un lieu et rappelle à chaque Église qu’elle appartient à un corps infiniment plus vaste dans le temps et dans l’espace. La catholicité de l’Église s’exprime par la plénitude de la foi et de l’enseignement chrétien au-delà de ses formes particulières.
4) L’Église est apostolique
88. L’Église est apostolique, parce qu’elle est bâtie sur « le fondement des apôtres » (Ép 2.20 ; Ap 21.14) et de leur témoignage : elle est en continuité avec l’Église des apôtres et vit tout entière dans la « succession apostolique ». Elle garde fidèlement et transmet la foi des apôtres concernant le Christ, Seigneur et Sauveur. Elle est envoyée pour proclamer dans le monde l’Évangile qui fut celui des apôtres. Son apostolicité concerne donc sa mission : en elle chaque chrétien est un missionnaire.
89. Pour les catholiques, l’Église est marquée du signe de la succession apostolique par le ministère des évêques, des prêtres et des diacres.
90. Pour les baptistes, tous les membres de l’Église sont envoyés au même titre dans le monde pour proclamer la parole apostolique.
B. Difficultés majeures
91. Il ne s’agit pas ici de refaire un exposé systématique sur les conceptions baptistes et catholiques de l’Église, mais simplement de souligner quelques divergences entre nous qui appellent une poursuite du dialogue.
1) Qui est chrétien ?
92. Baptistes et catholiques répondent de façon différente à la question « qui est chrétien ? ». Pour les catholiques, c’est le baptême reçu dans la foi qui constitue l’entrée dans la vie chrétienne en tant que communion au Christ lui-même (Ac 2.38) (25). Pour les baptistes, l’entrée dans la vie chrétienne s’opère par la seule foi comprise comme démarche d’adhésion et de confiance, foi naissant de la Parole qui est le moyen de grâce par excellence (Rm 10.17), indépendamment du baptême. La tradition catholique fait bien sûr place à la foi personnelle (Mc 16.16), mais la lie étroitement à la foi de l’Église que les membres sont appelés à professer de façon toujours plus consciente et réfléchie. De son côté, la tradition baptiste fait évidemment place au baptême mais comme signe (donc aussi Parole visible) et non cause de la communication de la grâce.
93. Cette différence d’approche a des conséquences sur la définition du membre de l’Église.Pour les catholiques, elle est étendue à tous les baptisés, y compris à ceux qui, à une époque de leur vie, ou de manière plus durable, cessent la pratique religieuse, boudent le rassemblement communautaire ou ne savent plus dire exactement leur degré d’appartenance. Pour les baptistes, elle s’étend à ceux qui ont mis leur foi en Jésus-Christ et l’ont confessé en passant par les eaux du baptême (26). À ce titre, les enfants des croyants ne sont pas comme tels membres de l’Église, mais confiés à ses soins. Quant aux baptisés qui cessent de confesser la foi, ils ne sont plus membres de l’Église. Leur statut spirituel est incertain au regard des hommes.
2) Vis-à-vis du Christ et de l’Église
94. Depuis le Concile de Vatican II, les points de vue baptiste et catholique se sont rapprochés sur le plan théologique. Tous affirment désormais et une unité profonde entre le Christ et l’Eglise (cf. Rm 12.5 et 1 Co 12.12) et, en même temps, un face à face, une différence (cf. Ép 1.22ss ; 4.15ss) qui empêche d’identifier strictement l’Église au Christ.
95. Le souci des baptistes est que la « différence », le « face à face », ne soient pas oblitérés mais effectivement respectés. Les catholiques eux insistent sur l’unité du Christ et de l’Église, y compris dans sa dimension institutionnelle.
3) Rôle de l’Église dans le salut
96. Baptistes et catholiques se distinguent nettement sur le rôle de l’Église dans le salut. Pour ces derniers, l’Église est celle qui reçoit et qui communique le salut de Dieu accompli par le Christ. Elle est à la fois le lieu où se réalise le salut et l’instrument dans la communication du salut. Pour les baptistes, l’Église est d’abord le fruit de la Parole et de l’Esprit, même si, une fois constituée par la Parole, elle reçoit pour mission la charge de communiquer le salut par l’annonce de la Parole.
97. Cette divergence de vue quant au rôle de l’Église dans le salut conduit à deux façons distinctes d’envisager la relation entre la Bible et l’Église. Pour les catholiques, l’Église est le lieu et le moyen par lequel les fidèles accèdent à la Bible. Elle leur permet une lecture commune inscrite dans la Tradition et leur garantit l’apostolicité et la justesse de leur interprétation. Les baptistes, s’ils recommandent et pratiquent la lecture communautaire de l’Écriture, n’y voient pas forcément une garantie de l’apostolicité et de la justesse de l’interprétation. En effet, l’Ecriture reste juge (cf. Hé 4.12) pour eux des pensées et des pratiques de l’Église qui doit sans cesse se réformer.
4) Ministère et autorité
98. Le Concile de Vatican II a là encore rapproché les perspectives entre baptistes et catholiques dans la mesure où il rappelle : « Il n’y a donc aucun membre qui n’ait sa part dans la mission du corps tout entier ; chacun d’eux doitsanctifier Jésusdans son cœur (cf. 1 P 2.5 et 9) etrendre témoignage à Jésus par l’esprit de prophétie (cf. Ap 19.10) » (27).
99. Il reste néanmoins des divergences réelles quant au ministère pastoral. L’Église catholique estime que la communauté des croyants est structurée par un ministère sacramentellement ordonné et situé dans une hiérarchie pour la triple mission de l’annonce de la Parole, de la célébration des sacrements et de la conduite de la communauté dans l’unité. Les baptistes partent de l’autorité de la communauté rassemblée (appelée parfois congrégation) au sein de laquelle s’exercent les ministères. Même si chaque Église est indépendante, elle est insérée dans un réseau de communion plus vaste, régional, national et mondial. A tous ses niveaux, des ministères et des structures collégiales jouent un rôle de communion, de proposition et de stimulation.
100. Dans la pratique, le ministre ordonné de l’Église catholique tend à se situer face à la communauté dans l’exercice de son ministère, ministère dont il est responsable devant ses pairs et ses supérieurs. Le pasteur de l’Église baptiste est un membre de la communauté distingué par sa fonction ; la communauté reconnaît ses dons et confirme son appel au moyen d’un vote et c’est devant elle qu’il est responsable de l’exercice de son ministère. Dans le cadre fédératif, les instances nationales représentant les autres communautés participent à la reconnaissance du ministère.
101. On a vu plus haut -cf. n°56- comment l’autorité doctrinale s’exerce dans l’Église catholique. Les baptistes pensent que l’interprétation de l’Écriture Sainte doit être régulée par une confession de foi reçue par les Églises, mais ils ne reconnaissent ni magistère infaillible ni propositions irréformables.
5) Sacrements
102. Les positions baptistes et catholiques restent, à propos des sacrements, irréconciliées. Pour l’Église catholique, l’initiative et le don de Dieu sont premiers dans les sacrements qui accomplissent par les rites institués le don de la grâce de Dieu aux hommes. Cette initiative et ce don ne suppriment pas la libre réception du croyant, mais la suscitent. Pour les Églises baptistes, l’initiative et le don de Dieu sont premiers pour le salut, mais pas dans les sacrements. Quand ces Églises utilisent le terme de sacrement, elles le limitent au baptême et à la Cène. Ces sacrements sont une œuvre humaine accomplie en obéissance aux commandements du Seigneur. Leur célébration présuppose la confession de la foi en réponse à l’œuvre de Dieu. Elle n’exclut pas la libre communication de grâces par Dieu, mais les sacrements n’ont pas été institués à cette fin.
Paris, 27 mars 2006